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Le Dernier des Juifs, le premier film mélancolique et drôle du Strasbourgeois Noé Debré

Noé Debré, créateur de la géniale série Parlement, réalise son premier long métrage : Le Dernier des Juifs, où l’on regarde vivre le duo attachant d’un fils de 26 ans et de sa mère en Seine-saint-Denis. Rencontre

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Le Dernier des Juifs, le premier film mélancolique et drôle du Strasbourgeois Noé Debré
Dans « Le Dernier des Juifs », Bellisha (Michael Zindel) vit toujours chez sa mère (Agnès Jaoui).

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Bande annonce

À 26 ans, Bellisha (Michael Zindel) vit toujours chez sa mère (Agnès Jaoui). Il fait les courses comme un retraité, raconte ses cours de Krav-maga imaginaires, traîne – en espérant que rien ne bouge et que sa mère, malade, ne meurt pas. Pour lui faire plaisir, il va commencer à chercher du travail et à élaborer des plans pour tenter de quitter le quartier. Noé Debré parle de la fin d’une époque, où les Juifs séfarades pouvaient être nombreux dans certains quartiers populaires de France. Il aborde l’antisémitisme et le racisme sous un prisme différent, loin des clichés sur la banlieue. Mais le film dresse aussi le portrait d’un personnage totalement singulier, lunaire et poétique, touchant et drôle, interprété par un jeune inconnu : Michael Zindel, une révélation.

Rue89 Strasbourg : Souvent les premiers films sont autobiographiques, ce n’est pas le cas ici. Qu’est-ce qui vous a donné envie de traiter ce sujet ?

Noé Debré : Au festival de Court-métrages de Clermont-Ferrand où je montrais l’un de mes courts, j’ai vu une comédie qui racontait l’histoire d’un jeune Juif russe en Allemagne, avec cette image qui m’est restée d’un jeune qui se baladait entre des tours HLM. Je me suis dit que cette histoire des Juifs qui ont quitté ou quittent les quartiers populaires n’avait pas été racontée. Comme ce n’est pas mon monde – moi j’ai grandi aux Contades – je m’étais fixé une règle : tout ce qui serait dans le film devait être issu de témoignages.

Avec un ami, nous sommes allés à la rencontre des gens, dans le 93 (Seine-Saint-Denis, NDLR), à la sortie des synagogues et nous avons interviewé des personnes qui habitaient encore dans leur quartier mais beaucoup qui en étaient également partis. Nous avons parlé avec des personnes de tous les âges. Je ne suis pas sociologue, je ne cherchais pas à dresser un portrait exhaustif non plus mais à trouver des bonnes histoires.

Bellisha (Michael Zindel), invité à une cérémonie œcuménique parce que dernier Juif du quartier.

Vous apportez un regard doux sur la banlieue, loin des clichés, sans pour autant occulter le racisme et l’antisémitisme.

La douceur du film vient beaucoup du personnage de Bellisha, joué par Michael Zindel. Le film est une ode à Michael, qui a cette présence poétique au monde. Le film s’amuse beaucoup des préjugés racistes. Qu’est-ce que c’est que le racisme à part de la paresse intellectuelle ? C’est ridicule ! Et la bêtise est toujours assez drôle quand elle est racontée d’une certaine façon.

Le personnage de Bellisha est effectivement complètement atypique. Il flotte dans un univers très réaliste, complètement déconnecté. Comment vous êtes-vous posé la question de sa crédibilité ?

C’est l’obsession du réalisateur, de se demander si le public va y croire. C’est vrai qu’il est à côté, mais c’est ce qui le rend intéressant. Le jeu de Michael me touche, me fait rire. Dans beaucoup de réalisation, le jeu des comédiens est aplati, j’avais envie d’essayer autre chose.

Bellisha a une relation cachée avec une femme mariée, ils ont su créer un espace de liberté dans un environnement assez glauque… Cela sonne très juste, d’où vous est venue cette idée ?

Parmi les questions que nous avons posées lors de la phase de documentation, nous demandions s’il était possible qu’un Juif sorte avec une Arabe. Les réponses étaient parfois désarmantes, comme le jour où l’on m’a dit : « Mais personne ne sort avec personne, les gens ne sortent pas ensemble ! ». Pour des questions de réputation, cette modalité-là n’existe pas au sein du quartier. Il y avait une violence inouïe dans ce qu’ils nous disaient, sans forcément qu’ils s’en rendent compte.

J’ai donc inventé cette relation joyeuse, facétieuse, inspirée du cinéma italien. Les relations amoureuses sont souvent abordées de façon dramatique au cinéma et je voulais quelque chose de léger, tout en donnant une sexualité à Bellisha, pour ne pas qu’il soit trop enfantin, trop mignon… Au départ, sa maîtresse devait être une femme plus âgée que lui, mais j’ai découvert Eva Huault dans un court-métrage et j’ai changé le personnage.

Giselle (Agnès Jaoui) au bras de son fils Photo : Michael Zindel

Le film est drôle mais empreint d’une grande mélancolie. On est très loin de Parlement (série comique diffusée sur France.tv, créée par Noé Debré, sur la découverte du Parlement Européen par un jeune assistant parlementaire, NDLR).

Le sujet est mélancolique, crépusculaire puisqu’il raconte la fin d’une époque. Le film est né d’une inquiétude chez moi : est-ce que tout cela va perdurer, les Juifs et la France ? Il pose aussi la question de comment vivre sans sa mère. Mais on sent que le personnage a quelque chose de miraculeux, d’invulnérable. Je ne suis pas inquiet pour lui.

La qualité de l’image crée une ambiance un peu crade qui fonctionne très bien avec cette mélancolie. Comment avez-vous travaillé l’image ?

Avec le chef opérateur, Boris Lévy, nous voulions une image humble. D’habitude, les réalisateurs tournent en grande qualité puis utilisent des filtres numériques pour donner un style pellicule ou vintage : à mon sens, c’est factice et mortifère, ça se sent. On a tourné dans un format faible, déjà dégradé, avec le risque de ne pas pouvoir retravailler les images. Mais c’est cohérent avec le personnage et l’histoire, ça donne un côté vidéo assumé.


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