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Des hommes de Lucas Belvaux revient sur la guerre d’Algérie et ses stigmates, 40 ans plus tard

Premier film historique du cinéaste engagé Lucas Belvaux, Des hommes raconte la guerre d’Algérie de deux appelés, rentrés dans leur village ensemble et qui, pendant 40 ans, vont se taire. Retour sur ces non-dits avec le réalisateur.

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Des hommes de Lucas Belvaux revient sur la guerre d’Algérie et ses stigmates, 40 ans plus tard

Lors du soixantième anniversaire de sa sœur (Catherine Frot), Bernard, interprété par Gérard Depardieu, laisse éclater sa colère et son racisme. Il est écarté. Cette altercation fait remonter à la surface toute la rancœur et les secrets accumulés par cette famille qui a vécu, de près ou de loin, la guerre d’Algérie. Adapté du roman de Laurent Mauvignier, Des hommes plonge dans le quotidien de ces jeunes appelés et raconte comment cette guerre enfouie reste porteuse de violence.

Bande annonce (Ad Vitam)

Rue89 Strasbourg : Quand Solange (Catherine Frot) relit les lettres envoyées d’Algérie par son frère, la voix off de Bernard (Gérard Depardieu) rajoute : « Je ne t’ai pas parlé de ça ». Et vous, vous montrez ce que Bernard n’a pas écrit dans ses lettres : qu’est-ce que vous vouliez dire, encore aujourd’hui, de la guerre d’Algérie ?

Lucas Belvaux : Je voulais parler de ces jeunes nés entre 1934 et 1942, qui viennent d’une France rurale, qui découvrent un pays et la guerre en même temps, dire leur ennui, leurs peurs. Je voulais raconter aussi les fouilles des villages, les populations déplacées des « zones interdites » vers des camps de regroupement (zones vidées de leurs habitants par l’armée française pour priver le FLN d’appuis, ndlr), les villages brûlés par le napalm parce qu’il fallait affamer le maquis. La partie du film sur la guerre se déroule entre 1960 et 1962, c’est la pire période. Tous les appelés n’ont pas vécu la même chose, selon l’année et le lieu où ils étaient.

Les appelés français font leur service militaire en Algérie, en pleine guerre. Photo : doc. remis

Pourquoi est-ce que cette guerre reste si mal connue des Français ?

Parce que c’est une histoire honteuse : l’historien Benjamin Stora en parle comme « le secret de famille de la France ». Après les accords d’Evian en 1962, De Gaulle a mis la poussière sous le tapis : avec la double clause d’amnistie, pour la France et pour l’Algérie, il n’y a eu aucun procès. Pas de procès, pas de coupable. Tous les appelés portent le poids de cette responsabilité qui n’a été endossée par personne.

Dès 1956, la France sait ce qu’il se passe en Algérie, il y a des mouvements pacifistes, des intellectuels comme François Mauriac dénoncent la guerre. Mais le gouvernement veut étouffer les choses, il parle des « événements », pas d’une guerre. Quand plusieurs morts doivent être rapatriés dans une même commune, on fait revenir les corps un par un, en les gardant en chambre froide, pour ne pas faire trop de bruit… C’est difficile de parler de ça.

Il est temps d’avoir une attitude saine face à l’Histoire, du côté algérien comme du côté français. En partant du principe simple que ceux qui sont nés après la guerre d’Algérie ne sont coupables de rien. Il ne faut pas instrumentaliser ce récit comme peut le faire encore l’extrême-droite en France, mais raconter la multiplicité des souffrances.

Bernard (Gérard Depardieu), 40 ans après son retour de la guerre d’Algérie, est toujours rempli de colère vis à vis de son cousin (Jean-Pierre Darroussin) Photo : Doc. remis

Le film aborde de nombreux thèmes : le silence des anciens appelés, leur vie en Algérie, les harkis, la guerre entre Algériens, le retour des pieds-noirs… Quel a été votre fil conducteur pour raconter cette histoire complexe ?

Pendant le film, j’ai souvent pensé à la chanson La butte rouge qui a été écrite juste après la Première guerre mondiale et qui raconte que « les bandits qui sont cause des guerres n’en meurent jamais, on ne tue que les innocents ». C’est un premier fil rouge. Le deuxième repose sur le fait d’accepter l’expression de tous les points de vue, de toutes les subjectivités, les confronter et voir en quoi on peut, non pas les réconcilier, mais en faire une histoire que tout le monde pourra entendre parce qu’on y trouvera la voix de chacun.

Le jeune appelé Bertrand (Yoann Zimmer) Photo : Doc. remis

À travers les flash-backs, on voit évoluer le personnage de Depardieu : un jeune homme plutôt sûr de lui qui se transforme en vieillard raciste et plein de colère…

Le personnage de Bernard quitte le Morvan des années 50, c’est une région très rurale, catholique, qui n’est pas sortie de la reconstruction d’après-guerre. Il n’a pas fait d’études, sa conscience politique est très vague. Quand il arrive en Algérie, c’est à la fois une révélation – la beauté des paysages, l’amour – et l’horreur de la guerre. Il n’a pas les armes pour faire la synthèse de tout ça et il ne surmontera pas cette souffrance.

Vous avez tourné au Maroc, est-ce que vous auriez aimé tourner en Algérie ?

Oui, mais ça aurait nécessité beaucoup trop d’énergie. Venir avec une équipe de tournage en Algérie, ça reste compliqué.

Est-ce que c’est difficile de monter un film en France, sur la guerre d’Algérie ?

Non, pas particulièrement, ce qui est difficile c’est de trouver des financements pour un film qui n’est pas du divertissement.

La fin du film reste en suspens, comme dans le roman de Laurent Mauvignier ?

Oui, j’aime beaucoup cette fin dans le livre. La production a voulu qu’on la change, que quelque chose soit résolu. On a essayé mais ça ne marchait pas. Pour moi, tout est dit et ce qu’il se passe après ne regarde plus personne.


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