Le gouvernement a précédé in-extremis l’avis du Conseil national de protection de la nature (CNPN) concernant le Grand contournement ouest de Strasbourg. Le ministre de la transition écologique Nicolas Hulot a donné son feu-vert pour les travaux à la rocade payante de 24 kilomètres en anticipant d’un jour un deuxième avis défavorable, comme le laissaient entendre les échos.
En octobre, il avait pourtant affirmé l’inverse, en suspendant les travaux préparatoires « tant qu’un nouvel avis du CNPN n’aura pas été rendu ». Le gouvernement voulait « permettre la réalisation de ce projet attendu localement, et s’assurer qu’il apporte les meilleures garanties en matière environnementale. »
En fixant lui-même cette règle, Nicolas Hulot a accru l’attention sur ce deuxième passage, facultatif. La plupart des parties prenantes avaient alors compris qu’il faudrait un avis positif pour reprendre les travaux préparatoires en forêt et lancer une enquête publique de trois mois préalable aux « vrais travaux ».
En visite à Strasbourg à l’automne, la ministre des Transport Elisabeth Borne assurait confiante aux DNA : « Ils l’auront [l’avis positif]. Ils savent très bien faire un bon dossier et ils vont nous faire un bon dossier. » Mais lorsque les ministres se sont rendus compte que le second avis serait négatif, les deux ministres ont indiqué qu’ils délivreraient les autorisations pour débuter tout de même les travaux à l’été.
« réduire, éviter, compenser »… ou pas
Le principe, c’est qu’une autoroute doit limiter son impact sur les champs et la nature. Mais comme le goudronnage est indispensable, on essaie de recréer d’autres zones naturelles ailleurs. On appelle cette démarche REC : « réduire, éviter, compenser ».
Le 15 décembre, les concepteurs de Vinci et du Département du Bas-Rhin en charge de l’aménagement foncier agricole ont été auditionnés à Paris par 20 scientifiques indépendants qui composent le CNPN.
Le CNPN relève des progrès. En particulier, « l’effet barrière » est limité de manière satisfaisante. « Sur ce point il y a eu beaucoup d’efforts entre les deux versions et c’est quelque chose d’assez exemplaire », remarque d’ailleurs un membre de la commission. Au total, 104 passages à faune sont installés le long des 24 kilomètres, notamment sous l’autoroute.
De 20 votes négatifs à 2 favorables
Mais pour autant, l’objectif « d’absence de perte nette de biodiversité », consacré par la loi de biodiversité n’est pas atteint, contrairement à ce qui était soutenu lors de l’examen. Le vote final au sein du CNPN s’est soldé par 2 avis favorables, 12 abstentions et 8 votes défavorables. Lors du premier examen le 11 juillet, les 20 votes étaient négatifs. Le CNPN pouvait donner un avis positif, négatif, mais aussi « positif sous conditions ».
Avec les années, le retour sur expérience de « mesures compensatoires » qui n’étaient jamais mises en œuvre et/ou que l’Etat ne pouvait pas contrôler a incité l’instance à être un peu plus sévère dans ses avis.
Un déboisement non-compensé
Au total, 26 hectares vont être déboisés pour construire le GCO, dont 17 de manière définitive. Et seuls 4 hectares seront replantés. Les autres hectares sont « compensés » par 76 hectares de forêts dont on s’assure simplement qu’ils ne soient pas coupés. Or, « d’habitude, ces améliorations de gestion viennent en plus des hectares reboisés, car un jeune arbre planté n’est pas équivalent à un arbre de plusieurs décennies », explique un connaisseur du dossier.
Plusieurs zones de compensations se situent au bord de l’autoroute, ce qui n’est guère comparable pour les oiseaux ou d’autres animaux en raison des nuisances qu’elle génère.
Pas de rachat de la base aérienne
Au gré de l’examen du dossier, on apprend que le projet de renaturation de l’ancienne base militaire près de l’aéroport d’Entzheim est abandonné. Le ministère de la Défense et de l’aviation civile ont estimé qu’avoir une zone avec des espèces protégées à proximité de l’aéroport pouvait perturber les plans de vol.
À la place, plusieurs prairies vont être davantage humidifiées (on dit « étréper« ), mais le gain est minime et difficile à quantifier, selon le CNPN. Pas le moindre centimètre carré ne sera déminéralisé. Ainsi, ces mesures sont sous-dimensionnées selon les scientifiques.
Erreurs et légèretés
Dans le détail, les scientifiques indépendants relèvent plusieurs erreurs (confusion entre « restauration » et « création » de zones humides) ou légèretés dans le dossier. Exemple, « le crapaud vert, espèce identifiée à « fort enjeu » dans l’état initial apparaît à enjeu « modérés » dans l’évaluation des impacts résiduels. »
Le CNPN justifie son avis négatif par « l’absence de calendrier des travaux » pour les mesures de réduction. Il regrette que seuls les impacts de l’aménagement foncier sur le hamster sont étudiés, alors que « tous les autres groupes d’espèces protégées sont susceptibles d’être fortement impactés par ces travaux. » Dans les champs, « aucune compensation n’est proposée pour les 15 espèces d’oiseaux nicheurs ».
« Il y a un travail intéressant sur le grand hamster, mais en même temps certains oiseaux également en danger d’extinction critique comme le pic cendré ou le bruant des roseaux ne sont pas pris en compte », résume un participant.
Autre souci, « la difficulté de s’engager sur le long terme avec des particuliers comme les agriculteurs. » Au-delà de 10 ans, le CNPN n’est pas sûr que les compensations aujourd’hui négociées soient pérennes.
Comme lors de son premier avis, le CNPN estime que, malgré certains efforts, les franchissements de cours d’eau pourraient être plus modernes et avoir moins d’impacts négatifs.
Enfin, aucune étude d’impact du vaste remembrement agricole (environ 11 000 hectares) qui découle de la construction de l’autoroute n’a été transmis. Or, il est recommandé de joindre les incidences des projets connexes.
Au tour de la Sanef pour l’échangeur
En début d’année, le président de l’Eurométropole Robert Herrmann (PS) avait notamment avancé que par leur position, les scientifiques du CNPN ne prennent en compte que les impacts sur la nature, en occultant les autres aspects du projets. Les défenseurs du GCO, dont il fait partie, arguent que près d’un camion sur quatre qui traverse Strasbourg sera détournés sur le GCO, selon une étude de 2013. La pollution qu’ils génèrent sera déplacée de Strasbourg, zone critique, vers la campagne. Même si le but est aussi de capter une part supplémentaire du trafic européen de poids lourds.
Le président du Grand Est Jean Rottner ou même Nicolas Hulot ont affirmé qu’il faudrait néanmoins tenir compte des remarques du CNPN, pour à nouveau améliorer le projet. Mais difficile de voir ce qui garantit des évolutions…
En juillet, Arcos et La Sanef – qui prend en charge l’échangeur au nord avec l’A35 et l’A4 qu’elle gère au quotidien – avaient présenté un dossier commun. Cette fois-ci. La Sanef présentera un deuxième dossier au CNPN au printemps. L’exercice s’annonce difficile car la société autoroutière intervient uniquement dans une partie boisée, la forêt du Krittwald à Vendenheim.
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