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Le dimanche des abstentionnistes du premier tour de la présidentielle : « Je ne vais pas être leur instrument »

L’abstention à l’élection présidentielle reste importante en France. En Alsace, ce 10 avril, elle était de 25,04 %, contre 21% au premier tour en 2017. Rue89 Strasbourg s’est rendu à Obernai et dans le quartier de la Musau à Strasbourg pour interroger celles et ceux qui décident de ne pas voter à l’élection présidentielle.

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Le dimanche des abstentionnistes du premier tour de la présidentielle : « Je ne vais pas être leur instrument »

Dans la petite ville d’Obernai, ce dimanche 10 avril, on ne sait pas trop si les dizaines de personnes présentes au centre-ville sont là pour l’élection présidentielle ou le soleil. Dans la mairie encastrée entre deux bâtiments et une église romane, deux bureaux de vote se font face et accueillent une soixantaine de personnes. « Je n’ai jamais vu ça, les urnes sont déjà à moitié pleines ! », s’exclame un homme en redescendant les marches de l’hôtel de ville. Vers 11h40, 644 bulletins avaient été comptabilisés sur 2 400 inscrits dans ce bureau. 

Pourtant, l’engouement du matin est vite retombé. La ville a enregistré 30,76% d’abstention au premier tour, soit l’un des taux les plus élevés d’Alsace, qui compte 25,04% d’électeurs abstentionnistes dans les deux départements. Magali est caissière dans un supermarché, elle passe devant le bureau de vote sans interrompre sa promenade dominicale en famille : 

« Il n’y a rien qui m’intéresse dans cette élection. Cela ne fait que se répéter de toute façon : ils annoncent déjà un deuxième tour Macron-Le Pen à la télé. »

Dans la mairie d’Obernai, les électeurs affluent le matin pour aller voter. Photo : DC / Rue89 Strasbourg / cc

Plus d’abstention et de votes à l’extrême droite 

Dans cette ville « de droite », les électeurs ont davantage voté pour François Fillon en 2017 qui avait obtenu 26,55% des voix. Cinq ans plus tard, 34,34% ont choisi le président sortant et 24,05% la candidate d’extrême-droite, reléguant Les Républicains à 4,52%. Une tendance que note Christian Bohn, horloger à la retraite, en rentrant dans son quartier résidentiel à deux pas du centre : 

« On est une ville privilégiée, il y a un côté un peu bourgeois quand même. Il y a du boulot et beaucoup d’entreprises autour. Les gens votent Macron ou Le Pen parce qu’ils pensent que c’est plus dans leur intérêt. »

Hubert, la soixantaine, presse sa famille dans une ruelle voisine vers le restaurant où ils iront manger ce midi. L’ancien gérant de boucherie revendique fièrement son vote pour le Rassemblement national. Marianne l’accompagne, la soixantaine aussi, et lui demande de parler moins fort. Elle ne veut pas voter parce que « les politiques ne tiennent pas leurs promesses » :

« Moi je travaille depuis que j’ai 14 ans et j’ai 760 euros de retraite. Marine Le Pen m’intéresse plus parce que Emmanuel Macron avait promis d’augmenter les retraites et qu’il ne l’a pas fait. »

Le centre-ville d’Obernai est fréquenté par les touristes en ce dimanche d’élection. Photo : DC / Rue89 Strasbourg / cc

« Pourquoi je voterais ? »

« Je n’ai pas lu les programmes, de toute façon ils n’ont jamais été respectés », affirme aussi Loïc, alors que sa bande de potes le raille parce qu’il n’a pas voté. Eux l’ont tous fait, mais le jeune étudiant en commerce se montre catégorique. De nombreux abstentionnistes interrogés remettent en cause l’utilité même du vote sur leurs vies.

« Personne ne devrait aller voter, pour montrer un désaccord avec ce système ! », insiste Loïc, qui ne sait pas dire ce qu’il voudrait mettre à la place. C’est aussi l’avis de Jérémy, qui marche pour rentrer chez lui, pâté emballé et miche de pain frais à la main :

« Je ne me fiche pas de l’élection, mais le principe de représentativité, c’est un peu old school. Je ne me reconnais dans aucun candidat. Là, j’ai choisi de ne pas m’exprimer. Je le fais plutôt en répondant à des sondages d’opinion sur internet. On pourrait faire des referendums pour chaque sujet, là je serais motivé à voter parce que je verrais concrètement les effets sur ma vie. »

Une politique « fourvoyée »

Même avis du côté de Lydia, qui est venue du Nord voir sa fille et son fils. Elle n’ira pas voter aujourd’hui car elle n’avait personne pour se déplacer dans son bureau de vote avec sa procuration. Elle avoue que c’était de toute manière « peu enthousiasmant ». Thibaut, son fils de 22 ans, renchérit :

« Entre promettre tout et n’importe quoi, comme le SMIC à 2 000 euros, et certains slogans… Je trouve que tout ça, ça paraît un peu lointain. Un président n’a de toute façon pas la capacité de faire ce qu’il veut. »

« Justement, si l’extrême droite passe au pouvoir, on sera bien contents que le président ne puisse pas faire ce qu’il veut ! », nuance Camille, 28 ans, sœur de Thibaut.

À Obernai, plusieurs abstentionnistes se désespèrent de l’offre politique. Photo : DC / Rue89 Strasbourg / cc

« Il n’y a plus de conscience sociale »

À quelques rues de là, Miloud raccompagne ses enfants à sa voiture. Il semble désabusé quand on aborde le sujet des élections. Pour ce gérant d’une entreprise de l’agroalimentaire, « le vrai problème, c’est que les politiques ne peuvent plus rien faire » :

« Il y a des lobbys et d’autres pays qui orientent les décisions. C’est très présent dans l’agroalimentaire par exemple. »

Alors qu’il suit la politique depuis ses études à Sciences Po, il refuse de voter aujourd’hui. Pour lui, c’est peine perdue :

« Il n’y a plus de conscience sociale. Ce n’est plus possible de créer de gros mouvements collectifs ou des changements nationaux. Les gens ne votent que pour leurs intérêts. Je crois que la seule façon d’avoir un impact, c’est d’agir au niveau du quartier, de la ville… Je suis dans plusieurs associations d’aide aux sans-abris par exemple et je me sens plus utile. »

Les étrangers sur la touche 

Loin des discussions de la ville, à quelques rues de là, Majeh émerge de sa matinée de sommeil. Dans l’encadrure de sa porte d’entrée, il explique avoir quitté l’Algérie pour trouver un job en France. Il en cumule deux, un la journée en tant que livreur de colis, et un la nuit pour distribuer des journaux. Il n’a pas fait la démarche administrative nécessaire pour voter :

« Oui, le vote c’est bien pour exprimer son opinion. Mais sachant qu’ils ne font pas ce qu’ils disent, même à l’extrême droite, ça ne me dérange pas. C’était pareil avec Trump qui avait dit qu’il construirait un mur et qui ne l’a jamais fait. »

Rumen, venu de Bulgarie il y a 12 ans, peut quant à lui voter car il a la nationalité française. Mais ce scrutin ne l’intéresse pas non plus. Il n’aurait d’ailleurs pas eu le temps, puisqu’il part tous les dimanches vers midi pour travailler en tant que bûcheron dans la région parisienne et revient le week-end dans sa famille. La politique ne l’intéresse pas :

« J’ai signé pour être inscrit sur les listes électorales. Macron ne me dérange pas, je ne sais pas grand-chose sur lui. De toute façon, en Bulgarie, tu travailles 8 heures et tu gagnes 30 euros par jour. Après c’est vrai qu’avec les charges et les prix en France, c’est de plus en plus difficile… S’ils pouvaient augmenter les salaires ce serait bien. »

Des électeurs strasbourgeois désabusés

À la Musau, un petit quartier populaire de Strasbourg, des familles se regroupent dans le parc Kurgarten. Ce dimanche après-midi, les abstentionnistes préfèrent profiter de l’air frais que d’aller voter. Ils sont principalement de gauche et attribuent leur inaction à la déception.

Gilles, un homme de la quarantaine, se promène avec ses enfants. Il est toujours intéressé par la politique mais prend ses distances avec cette élection :

« J’ai toujours voté, mais ces dernières années, j’ai perdu espoir. C’est toujours les mêmes personnes, avec les mêmes types d’idées. Ils parlent et rien ne change. J’ai voté pour la dernière fois à l’élection présidentielle en 2017. Je n’ai ni voté aux élections législatives, ni municipales. Je ne vote plus, et ça ne me stresse pas parce que je sais que rien d’important ne changera. »

Le petit quartier de la Musau à Neudorf rassemble des foyers et du logement social. Photo : MM / Rue89 Strasbourg

« Je ne veux pas être leur instrument »

À l’arrêt de tram Aristide Briand, Gérard, 65 ans, quitte le Mansau pour observer des oiseaux. Le temps maussade concorde bien avec sa déception de la politique des dernières années :

« Ce sont des hypocrites. Ils ne parlent pas de la terre, seulement de la croissance. Même les verts, je n’y crois pas. Mélenchon est le plus proche de la nature. Si je pensais qu’il passerait au deuxième tour, je voterais aujourd’hui. Les politiques pensent que nous sommes des machines à voter, mais je ne vais pas être leur instrument. Je ne vote pas blanc parce que je ne vais pas me déplacer pour ces gens. Ils prennent déjà tout mon argent. J’ai calculé et, après le loyer et les charges, il me reste 346 euros par mois pour vivre. J’habite en HLM et les politiques prennent mon argent au lieu de l’argent des riches. Je veux juste vivre décemment. »

Une abstentionniste en série va voter

Jade, un homme de 30 ans, qui « ne vote pas d’habitude », quitte son appartement de Neudorf pour aller glisser un bulletin Jean-Luc Mélenchon (LFI). Il est intéressé par son programme qui crée une rupture dans le paysage politique :

« Je veux empêcher un deuxième tour capitalisme contre fascisme. La France Insoumise est le seul parti qui n’est pas islamophobe, et qui offre une politique cohérente de gauche. Le système a besoin de changer. Le président a beaucoup trop de pouvoir dans la cinquième république et Mélenchon propose d’agir sur ce problème. »

En revanche, il rejoindra les abstentionnistes au deuxième tour :

« Le Pen est ouvertement fasciste, mais Macron a produit de nombreuses lois fascistes pendant son quinquennat. Il ne respecte ni la liberté de manifester, ni la liberté de la presse. Quand quelqu’un vote pour Macron contre le fascisme, il légitime ses actions. Je pense que c’est à cause de lui que nous avons un candidat comme Zemmour cette année. »


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