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Avec Dimitri Konstantinidis, lumière sur 25 ans d’actions artistiques européennes chez Apollonia

Apollonia, association d’échanges artistiques européens, fête ses 25 ans. La structure mène des actions visant à mettre en valeur des artistes issus d’Europe ou d’ailleurs. L’occasion de revenir sur les valeurs et les projets d’un centre d’art qui se bat toujours pour exister sans renoncer à son autonomie ni à son indépendance. 

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Avec Dimitri Konstantinidis, lumière sur 25 ans d’actions artistiques européennes chez Apollonia
Dimitri Konstantinidis, devant l’installation de Philippe Jacq « En découdre ! », Mars 2024

En parcourant les archives d’Apollonia, l’origine de sa création apparait très vite : une envie d’Europe, mais une envie à la fois forte, originale et innovante. Dimitri Konstantinidis, 64 ans, directeur de l’association, le précise : « La chute du mur de Berlin en 1989 a été le démarrage symbolique de nos idées d’actions : l’objectif était d’effacer la distinction loufoque entre les deux pôles (l’Est “mauvais” et l’Ouest “bon”). Les projets s’articulaient avec un même fil conducteur et des volontés claires : faire coopérer les artistes et montrer des démarches artistiques inédites à travers l’Europe. »

Apollonia est mobile, volatile et même… nomade ! Elle aurait pu s’installer n’importe où en Europe. Pourtant, elle s’est posée à la Robertsau en 2018, dans une ancienne ferme d’élevage de taureaux. Sa situation géographique est assez stratégique pour « jouer un rôle d’intermédiaire entre le quartier historique et les institutions européennes ». Comme le précise Dimitri Konstantinidis, « contrairement aux structures qui ne dépendent que d’une ville ou d’une collectivité territoriale, le fondement de notre existence c’est la coopération européenne ». Pour le directeur d’Apollonia, « afin d’aller vers une véritable mobilité, l’idéal serait même la création d’un système associatif européen… » 

Des projets mobiles, une association nomade

Après huit années d’existence à la Robertsau, il se réjouit des travaux de rénovation que la Ville de Strasbourg va entreprendre et exprime sa crainte pour le devenir de l’espace qu’occupe la galerie, qui doit être rasé en 2026 en même temps que débuteront des travaux d’extension de l’École européenne.

Chez Apollonia, les projets se déplacent : la mobilité est une notion fondamentale. L’échange, la rencontre et la coopération ne sont possibles que si l’artiste et les œuvres peuvent se déplacer. L’association s’engage pour une Europe unie, à travers des cycles qui rassemblent des artistes originaires d’un même pays ou d’une même ville. Ainsi Rencontrer l’Europe avec la Lettonie, Chypre, la Hongrie, ou E-Cité avec Bucarest, Gdansk, Réthymnon, etc. « On s’adaptait aux spécificités des villes, explique Dimitri, un bateau militaire qui sillonnait la Mer Noire pendant deux mois ou même dix remorques de camions investies par dix artistes originaires de pays différents. »

Pour les Chemins de l’Europe en 2002, le musée était remplacé par le camion, symbole de mobilité et de rencontre. Après avoir investi la place de la Gare, cette opération s’est intégrée dans la cour du Parlement européen. Apollonia cherche à prouver que l’art contemporain dépasse les formats, mais aussi les époques… avec des expositions parfois plus historiques. « Pour la Lettonie, lors d’une visite à la mairie de Riga, nous avons constaté l’ampleur merveilleuse du fonds d’affiches lettonnes et celles-ci ont donné lieu à une exposition à Strasbourg », se souvient Dimitri Konstantinidis.

24 pays visités, des centaines d’artistes rencontrés

Le voyage provoque ses surprises et, visiblement, c’est le meilleur moyen pour accéder aux travaux d’artistes peu connus en France. Pour Dimitri Konstantinidis, « la seule méthode valable est de sortir des réseaux institutionnalisés – qui évidemment jouent un rôle – en allant rencontrer des artistes dans leurs contextes. En quatre à cinq jours de voyage, on rencontre du monde et on tente de ne pas louper la scène artistique du pays ! » Résultat : pendant les deux ou trois premières années, l’association a visité 24 pays et ne compte plus les centaines d’artistes rencontrés dans leurs ateliers.

Apollonia rapproche des artistes issus de pays en conflit, même lorsque cela semble inconcevable. Un artiste arménien et un artiste azéri, une jeune femme artiste palestinienne et un artiste israélien, entre autres ont vécu ces rapprochements. Dimitri Konstantinidis explique :

« Il y a ici toute une série de projets où l’aspect purement esthétique n’est plus dissocié des principes qui font la démarche d’un artiste, lui-même toujours inclus dans un contexte socio-politique. Avec le cycle « Dialogues », nous faisions appel à des artistes issus de pays en conflit pour une exposition commune. Ce ne sont pas des rapprochements anodins ! Chaque fois, c’est un risque à prendre. Mais cela se passe bien, les artistes trouvent des arrangements. »

Apollonia n’exclut pas les artistes alsaciens ou strasbourgeois. « Si on voit qu’il y a une idée qui correspond à notre ADN, à notre manière de concevoir la démarche artistique dans la cité, c’est avec plaisir qu’on se lance dans un projet ! », assure Dimitri Konstantinidis. En 2023, lors de l’exposition des artistes iraniennes qui se battaient pour la liberté, la vidéo d’une artiste d’Iran vivant à Strasbourg ressortait… Pour Dimitri Konstantinidis, c’était « difficile à justifier mais sa proposition artistique rentrait dans le concept du projet et nous touchait, alors c’était suffisant »

L’environnement interrogé au quotidien

Apollonia, c’est aussi la nature, l’urbanisme, la cité. Après Rencontrer l’Europe et E-Cité, Artecitya a marqué un nouveau cycle d’opérations en 2014 avec des projets plus théoriques. « Ce n’est finalement qu’une une progression naturelle vers des questions qui s’affinent, notamment car les artistes eux-mêmes avancent ! », précise Dimitri. En effet, Artecitya s’attardait sur le rôle de l’artiste dans la cité, Vivacité concernait davantage le rôle du végétal vivant dans la cité, tandis que Vital correspondait à la participation citoyenne, aux énergies renouvelables, aux ré-emplois des matériaux… 

Les thématiques environnementales évoluent et, surtout, s’aiguisent au fil des années. Dimitri Konstantinidis tente de l’expliquer :

« Les gens s’intéressent au contexte environnemental et social. Cette volonté participative témoigne d’une sensibilité pour des questions qui sont souvent évacuées. Et les artistes s’emparent de ces problèmes. En allant dans l’espace public, ils font déjà preuve d’engagement ! Un fil conducteur traverse alors les projets qui progressent en prenant en considération les démarches des artistes. »

Les actions artistiques menées poussent à s’interroger, à adopter une autre posture, à développer un autre regard, à s’engager aux côtés des artistes. Se promener par exemple, cela peut paraître anodin. Avec Vivacité, « nous cherchions à appréhender la ville avec une vitesse qui n’est ni celle de la course, ni celle du vélo, ni celle des transports afin d’interroger le rapport de l’individu à son environnement ». Dimitri Konstantinidis constate « qu’en marchant, notre regard est autre : nous pouvons voir des tas de choses et se faire une nouvelle idée de la ville ».

Le jardin participatif et artistique, situé dans le prolongement du site de la Robertsau, témoigne de cette volonté de « sortir de l’espace intérieur pour aller vers la cité ». En plus d’être une zone d’expérimentation pour les artistes, « c’est comme un tremplin vers l’extérieur, un moyen d’ouvrir notre opération à un plus grand public », explique Dimitri Konstantinidis.

Et aujourd’hui ?

Créée en 1998, l’association s’est attachée à conserver ses valeurs, faire évoluer ses projets et tout ça, au rythme des préoccupations politiques. En observant ce qu’elle est devenue, Dimitri Konstantinidis affirme :

« Nos principes fondamentaux sont restés les mêmes : création innovante, artistes engagés qui viennent de partout sans se poser la question de la localisation, démocratie, écologie, citoyenneté. Mais, les engagements se sont précisés. Nous réagissons aux propositions artistiques, en les accompagnant aussi bien que l’on peut. On considère que lorsqu’une discussion s’opère autour de sujets concrets, à partir des œuvres, on peut déclencher des prises de conscience. »

Alors que l’unité européenne est toujours en débat, Dimitri Konstantinidis et son équipe poursuivent leurs actions dans l’espoir de ne plus avoir à exister le jour où l’Europe sera devenue banale dans la vie des Européens. Sans relâche, ils montrent que l’art contemporain a un rôle à jouer pour la démocratie, la liberté et l’ouverture à l’autre. 

Vue de l’exposition « En Découdre ! », installation de Philippe Jacq, Mars 2024Photo : Apollonia

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