Le parc n’est plus entretenu ou si peu. Seul le pavillon à verrière en bordure du parc côté rue (photo ci-dessus) est encore utilisé par l’association Kartier nord, qui y démarre sa saison culturelle dans quelques semaines. La villa Wach, du nom de ses derniers locataires qui l’ont quittée en 2006, ou Kaysersguet, propriété de la ville de Strasbourg depuis les années 1920, est entourée de barrières de chantier. Les travaux ont démarré en janvier et devraient être terminés à la rentrée. La pose de la première pierre est prévue pour le 23 mai, en plein « mois de l’Europe » à Strasbourg, l’inauguration pour le 10 décembre de cette année, jour de la remise du prix Sakharov.
La maison a été vidée, les planchers supprimés. Sur le pourtour de la villa, des dalles de béton ont été coulées pour bâtir dessus les extensions vitrées dessinées par le cabinet d’architectes Weber et Keiling. Au total, le Lieu d’Europe devrait s’étendre sur 630 m², comprenant un espace d’exposition permanente sur l’Europe, dont la scénographie a été confiée à Mouvement Etik, un collectif strasbourgeois retenu à l’issu d’un appel d’offres, un « espace de convivialité », une salle d’exposition et le CIIE (Centre d’information sur les institutions européennes). Le tout pour un budget de 2 millions d’euros, dont un à la charge de la ville de Strasbourg.
Des travaux déjà bien avancés
Ce à quoi ressemblera la villa fin 2013
Un « Lieu d’Europe » trop éloigné du Parlement
Malgré l’état d’avancement du projet, « dans les temps », précise Nawel Rafik-Elmrini, adjointe au maire en charge des relations internationales, et « à l’issue d’une large concertation », il ne fait toujours pas l’unanimité. Il est attaqué sur trois fronts. D’abord, son relatif éloignement par rapport au Parlement européen (deux stations de tram). C’est l’angle d’attaque de Robert Grossmann, ex-président de la communauté urbaine de Strasbourg et habitant de la Robertsau, qui aurait bien vu ce Lieu d’Europe là où s’élèvent encore les Halls 9, 10 et 11 au Wacken. Le conseiller municipal UMP grogne :
« C’est une incongruité et une grave erreur de placer ce Lieu d’Europe à 800 mètres du Parlement, avec des routes à franchir (sic). J’ai toujours préconisé un Lieu d’Europe immédiatement à côté du Parlement où les gens viennent et ne peuvent pas rentrer. De plus, cette villa Wach, qui a un intérêt patrimonial et historique certain, est défigurée. »
Pour tenir sa revanche, même s’il sait que le dossier « est plié », le conseiller municipal UMP a écrit à deux reprises à l’architecte des bâtiments de France (ABF), Serge Brentrup, qui lui a répondu franchement :
Le dossier serait-il « sensible » entre les services de l’Etat et la Ville ? Le qualificatif semble exagéré à Nawel Rafik-Elmrini. Le domaine n’est ni inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques et encore moins classé. Mais il se trouve à proximité de bâtiments eux protégés, une maison allée Kastner, une autre rue des Fleurs, l’ABF aurait donc pu rendre un avis sur le projet. A lire le courrier de Serge Brentrup, l’ancien préfet du Bas-Rhin n’aurait pas souhaité mettre de bâtons dans les roues de la municipalité. L’ABF n’a donc pas rendu d’avis, ce qui équivaut à un blanc-seing. Qu’il s’exprime aujourd’hui sur « l’approche architecturale » retenue agace l’adjointe. Elle relativise : « C’est l’opinion personnelle d’un architecte ».
Un « agencement historique saccagé »
C’est donc là la seconde critique faite au Lieu d’Europe tel que conçu par l’équipe en place. Faisant peu de cas de la villa dans son intégrité, il ruine les espoirs de la voir réhabilitée dans ses formes originelles, un souhait notamment formulé par l’Adir (association pour la défense des intérêts de la Robertsau). Un responsable de cette association publiait sur le blog de l’Adir en juin 2012 :
« Les projets qui nous ont été présentés [en conseil de quartier] ne constituent pas une rénovation du principal bâtiment mais une extension qui portera un préjudice irréversible à l’unité de ce domaine de la fin du XVIIIème siècle, unique à Strasbourg. L’aménagement intérieur saccagera l’agencement historique, notamment le grand escalier. »
Une demande de protection du domaine serait parvenue à la Drac (direction régionale des affaires culturelles) au milieu des années 2000, alors que la municipalité UMP et Robert Grossmann en tête décidaient de la localisation de la station de tram Robertsau-Bœcklin le long du parc, obligeant à déplacer la clôture. Il semblerait que le dossier ait ensuite été enterré, si bien qu’aujourd’hui, « il ne reste plus grand-chose à protéger », glisse-t-on. Un cas de figure qui ressemble beaucoup à celui de la maison de l’Aran, sur les fronts de Neudorf, condamnée faute d’entretien de son propriétaire… la Ville de Strasbourg.
« Une maisonnette de l’Europe »
Troisième et dernier reproche dont est gratifié le projet, son sous-dimensionnement supposé. Robert Grossmann, provocateur, parle carrément de « maisonnette de l’Europe ». Alors que la première phase de création du Lieu d’Europe est bien engagée, la seconde phase a fait l’objet de deux études successives, commandées à deux cabinets différents. Le premier, Kanopée, préconisait la construction d’un bâtiment de 6 600 mètres carrés, dont 4 000 d’emprise sur le parc à côté de la villa ancienne, qui aurait accueilli une cafétéria, un musée, une boutique, etc. et aurait drainé des cars de touristes à l’année.
Mais l’idée n’a pas plu à l’association Kartier nord, qui occupe le domaine depuis 4 ans, et s’est élevée contre « un Vaisseau sur le thème de l’Europe ». Jean-Claude Luttmann, son président, associé à la réflexion sur le contenu du Lieu depuis ses prémisses, précise :
« Pour nous, l’idée n’est pas de faire là un musée figé, sur le passé ou l’histoire de l’Europe, mais de montrer la recherche européenne en matière artistique, politique, sociale. Pour cela, ce Vaisseau de 6 000 mètres carrés était une hérésie. Le second cabinet, Aubry et Guiguet, a repris notre idée de réseau modulaire, avec des petits bâtiments dispersés dans le parc. Mais selon moi, cette seconde phase est très hypothétique. Elle dépendra des financements et des élections l’année prochaine… »
« C’est vrai, confirme Nawel Rafik-Elmrini. L’objectif est d’inscrire la seconde phase dans le contrat triennal 2015-2017 et d’obtenir un co-financement avec l’Etat et les autres collectivités. » Mais rien n’est encore fait. On ignore d’ailleurs encore combien de « villas européennes » seront érigées dans le parc, si « villas » il y a un jour.
Aller plus loin
Sur Strasbourg.eu : Délibération du conseil municipal (novembre 2010) entérinant la création du Lieu d’Europe (PDF)
Sur Archi-Strasbourg : la fiche sur le domaine du Kaysersguet, 18 rue Boecklin à Strasbourg
Sur Rue89 Strasbourg : fronts de Neudorf, la maison de l’Aran condamnée
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