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Domial et la CAF prononcent le décès de Sidi, qui a dû prouver qu’il était toujours en vie

Sidi, 45 ans, a dû prouver à la Caisse d’allocations familiales qu’il était bien vivant pour continuer à percevoir ses allocations. Après que Domial, son ancien bailleur social, l’a déclaré mort, il a dû entamer une série de démarches afin de ne pas perdre son existence légale.

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Domial et la CAF prononcent le décès de Sidi, qui a dû prouver qu’il était toujours en vie
La déclaration intempestive, non vérifiée, a provoqué une série de problèmes pour Sidi.

« Apparemment mon ancien bailleur social pensait que j’étais mort mais franchement c’est très bizarre parce qu’en fait, je suis vivant. » Cette situation ubuesque est celle de Sidi, 45 ans. Dans sa chambre au rez-de-chaussée d’un immeuble bas de Lingolsheim, aux volets fermés, il a préparé tous les documents qu’il consigne précieusement dans une pochette en carton depuis juillet 2023. Parmi ceux-là, un certificat de vie.

Au début de l’été, Sidi a été averti par Ophéa, son bailleur social actuel, que le prélèvement pour payer son loyer n’a pas pu aboutir, faute de fonds suffisants. Après vérification de son relevé bancaire, le père de famille constate que la Caisse des allocations familiales (CAF) du Bas-Rhin, dont il dépend en partie financièrement, ne lui a pas versé les allocations auxquelles il a droit. « Je paye toujours mon loyer à temps, ça m’a tout de suite alerté car ce n’était pas normal », explique Sidi.

Il informe immédiatement son assistante sociale de la situation. Aux sollicitations de cette dernière, la CAF du Bas-Rhin répond le 17 juillet dans un document scanné que Sidi a été déclaré mort par son précédent bailleur social, Domial. « Je ne suis plus locataire chez eux depuis décembre 2022 », explique Sidi, qui peine encore à comprendre.

« Bonjour,

Nous avons suspendu le dossier de l’allocataire suite au signalement du bailleur Domial nous informant du décès de l’allocataire.

Nous avons demandé confirmation à la Ville de Lingolsheim sans réponse à ce jour.

J’ai fait une note en urgent dans le dossier de l’allocataire afin de régulariser les droits prochainement.

Cordialement. »

Mail envoyé par la CAF du Bas-Rhin à l’assistante sociale de Sidi

Contactée, la chargée de communication du bailleur social Domial, Magali Ritzman, explique ne pas avoir la trace d’une telle déclaration transmise à la CAF. « J’ai fait le tour de nos équipes et en aucun cas nous n’avons annoncé le décès » de Sidi, assure-t-elle, déplorant que la vérité soit entre « la parole de la CAF contre la nôtre » et réitérant la bonne foi de Domial. « D’autant plus que Monsieur n’est plus locataire chez nous depuis mi-décembre 2022 et que l’état des lieux s’est bien passé », conclut-elle.

Pas de problème pour la CAF

Du côté de la CAF, la communication de son antenne Bas-Rhinoise confirme par écrit à Rue89 Strasbourg la suspension des allocations, sur la seule foi du signalement de Domial. Le mail s’attache ensuite à assurer que cette affaire a été régularisée rapidement :

« À réception de l’information du décès de cette personne (adressée par son bailleur), nous avons pris contact avec sa commune de résidence afin d’obtenir un certificat de décès (pièce permettant d’attester de ce décès) et les droits de cet allocataire ont alors été suspendus dans l’attente de la confirmation ou non.

Avant d’avoir un retour de la commune, grâce à un contact pris par le travailleur social en charge du suivi de cet allocataire, l’ensemble des droits de cet usager ont pu être à nouveau ouverts et ses prestations versées. »

Communication écrite de la CAF 67 à Rue89 Strasbourg, mardi 21 novembre 2023
Sidi Seck
Sidi, 45 ans, a été considéré comme mort par la CAF du Bas-Rhin pendant quelques semaines.

Le décès administratif de Sidi aura tout de même duré plusieurs semaines. Et les implications de cette erreur ont été plus importantes que l’arrêt temporaire du versement de ses allocations.

Malade chronique, Sidi a dû être hospitalisé en urgence pendant quatre jours en octobre 2023. Mais l’hôpital a refusé d’avancer le montant pris en charge par la Sécurité sociale, car la carte vitale de Sidi ne fonctionnait pas. « Pour la première fois, j’ai eu une facture de l’hôpital, je devais la payer », déplore-t-il. « Au laboratoire aussi, j’ai dû payer pour la première fois en 20 ans », poursuit-il. Avec environ 1 300 euros de revenus mensuels, impossible pour le père de quatre enfants de payer toutes ces factures. « J’ai même arrêté de chauffer chez moi par peur de ne pas être en mesure de régler mes frais de santé », poursuit-il.

Le 16 octobre, Sidi a pu se rendre à la Caisse primaire d’assurance maladie pour actualiser sa carte vitale. Depuis, elle fonctionne à nouveau à la pharmacie. « Je pense qu’eux aussi pensaient que j’étais mort », confie-t-il.

Un millier de « je suis vivant » par an

De même, Sidi est titulaire d’un titre de séjour, qu’il doit renouveler tous les dix ans. « Je ne sais pas s’il est encore valable ou si là aussi, je dois effectuer des démarches », explique-t-il. « Est-ce que je peux même aller en Allemagne ? Si on me contrôle, est ce que je suis en règle ? », poursuit Sidi. Ses craintes se sont multipliées et ses démarches, amoncelées.

Pour prouver qu’il est en vie, Sidi est finalement allé faire établir un certificat de vie auprès de la Ville de Strasbourg en octobre 2023. Un acte que les services municipaux ont tout de même produit 1 055 fois en 2022, explique Djemel Kharradji, adjoint au chef du service accueil de la population – soit un pour cent des 200 000 pièces produites par son service. « Si la personne est en état de se déplacer, il suffit de venir se présenter aux services avec une pièce d’identité pour que nous établissions un certificat de vie », explique-t-il.

« Si la personne est âgée ou alitée, un tiers peut demander ce certificat et nous l’établissons sur présentation d’une pièce d’identité et d’un certificat médical datant de moins de 24 heures », poursuit Djemel Kharradji. Selon lui, la majorité des gens qui demandent ces pièces en ont besoin pour continuer de percevoir une prestation sociale, en France ou à l’étranger. « La plupart du temps, une attestation sur l’honneur suffit à prouver qu’une personne est vivante, mais le certificat de la Ville a une plus grande force probante », conclut-il.

Depuis le 22 novembre, la carte vitale de Sidi fonctionne à nouveau correctement, il n’a plus à payer pour ses médicaments ni ses analyses en laboratoire. « C’est comme avant », explique-t-il, « mais je me demande toujours ce qu’il s’est passé chez Domial ». De son côté, la préfecture du Bas-Rhin lui a confirmé que son titre de séjour était toujours valide. « Je suis rassuré », affirme-t-il même s’il s’est désormais engagé dans des démarches pour être remboursé de ses frais d’hospitalisation, a posteriori.


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