

Edouard Martin pendant la projection du documentaire « La promesse de Florange », à Florange en avril 2013 (Photo Pascal Bastien)
La France a fait connaissance avec Édouard Martin lorsque le charismatique syndicaliste était juché sur des palettes de bois ou marchant des hauts-fourneaux de Florange vers Paris entouré de camarades de lutte… Le voilà propulsé à la tête des socialistes du grand Est pour les élections européennes, devant Catherine Trautmann. Le Parti socialiste a tout sacrifié pour engager Édouard Martin et redonner des couleurs à cette campagne qui s’annonce très difficile.
Lorsqu’en octobre, le sénateur PS Jean-Marc Todeschini propose à Édouard Martin d’aller prendre un café à Talange en Moselle, le syndicaliste CFDT de l’acierie ArcelorMittal de Florange soupire. « Il va encore me reprocher quelque chose » pense-t-il. Quelques jours plus tôt, François Hollande était allé se faire huer à Florange, notamment par des ouvriers siglés CFDT. Mais Édouard Martin et le sénateur socialiste se connaissent bien, ils sont presque voisins et se sont croisés à plusieurs reprises à l’occasion du dossier des hauts-fourneaux.
Lorsqu’il arrive au Café Pasteur à Talange, Édouard Martin s’entend dire par le sénateur Todeschini : « Tu vas me traiter de salaud, mais on a pensé à toi pour prendre la tête de la liste socialiste pour les élections européennes. » Le syndicaliste tombe de sa chaise. Il répond :
« – Mais vous êtes fous. C’est hors de question.
– Écoute, prend le temps de réfléchir, t’es pas obligé de répondre tout de suite.
– Mais c’est tout réfléchi, c’est non, non et non.
– Bon, tu es têtu, mais il se trouve que moi aussi. Je t’en reparlerai. »
Jean-Marc Todeschini n’agit pas en franc-tireur. Il a bordé l’affaire avec la direction nationale du PS et même avec François Hollande, selon des sources socialistes :
« J’avais eu tous les feux verts. Autour de moi, je n’avais que des retours positifs mais ils n’étaient pas très difficiles à obtenir, vu que personne n’y croyait. Il fallait aller vite, parce qu’il avait annoncé qu’il quitterait le groupe Mittal après la fin des reclassements et que d’autres groupes politiques lui avaient fait des propositions. »
Sur les rangs pour recruter Édouard Martin notamment, Europe Écologie – Les Verts (EELV) et le nouveau parti de Pierre Larrouturou, Nouvelle Donne. Députée européenne EELV et candidate à sa réélection, Sandrine Bélier confirme :
« On a eu avec Édouard Martin des discussions informelles sur l’engagement en politique dès 2010, notamment lors d’une résolution sur l’acier et pour un rapport sur la réindustrialisation de l’Europe. Mais à l’époque, le conflit à Florange n’était pas terminé et il m’avait indiqué que sa famille politique, c’était plutôt le socialisme, version Jaurès. De toutes façons, il fallait que les écologistes valident les listes militantes avant de proposer des places extérieures, et le conseil fédéral n’a eu lieu que le samedi 14 décembre. Trois jours plus tard, il a annoncé sa candidature avec le PS. »
« Evidemment en première place »
Autre souci, la liste écologiste ne pouvait offrir que la seconde place à Édouard Martin tandis que pour les socialistes, c’était « évidemment » la première comme l’explique Christophe Borgel, député de la Vienne et chargé des élections au PS :
« On peut discuter de l’intérêt d’ouvrir la liste à une personnalité forte comme celle d’Édouard Martin, mais si on estime que c’est une bonne idée, alors il faut aller au bout de la logique et lui offrir la première. Surtout que Liêm Hoang-Ngoc n’a pas été reconduit et que la deuxième place n’obère pas les chances de réélection de Catherine Trautmann. »
Voire. Car en 2009, le PS n’a envoyé que deux députés par grande région au Parlement européen. Et compte-tenu des records d’impopularité du gouvernement socialiste en France, le score du PS en mai 2014 pourrait bien tomber sous les 15%, ce qui fermerait la porte du Parlement à Catherine Trautmann.
Catherine Trautmann mise devant le fait accompli
L’élue strasbourgeoise, ancienne maire de Strasbourg et députée européenne depuis 2004, a donc peu goûté d’apprendre la nomination d’Édouard Martin comme tête de liste devant elle. Mais, en femme politique d’expérience, elle a déjà tourné cette page :
« D’évidence, les grands partis français considèrent toujours cette élection comme secondaire. Le parti socialiste a écarté de nombreux élus sortants, ce qui affaiblit la position des députés français dans l’hémicycle européen. Au SPD, les députés allemands font en moyenne trois mandats. Sur Édouard Martin, j’ai regretté de ne pas avoir été associée aux discussions préliminaires. C’est toujours désagréable quand certaines décisions ne sont pas anticipées, ça aurait permis d’éviter de vexer les militants par exemple, qui m’avaient choisie comme tête de liste. Mais je reste chef de la délégation socialiste et je me réjouis de faire campagne avec Édouard Martin, dont l’engagement européen est une chance. »
« Les copains m’ont bien engueulé »
Une chance qu’il a fallu provoquer quand même. Parce qu’après le refus initial d’Édouard Martin, Jean-Marc Todeschini a rivalisé d’ingéniosité pour le faire changer d’avis. L’ancien syndicaliste témoigne :
« Il m’a appelé plusieurs fois par semaine pour m’en reparler et à chaque fois je lui répondais non. Puis il y a eu des rumeurs dans la presse sur ma possible candidature. Et l’élément déclencheur, ça a été une discussion avec les copains de Florange fin novembre. Ils m’ont demandé si c’était vrai qu’on m’avait proposé d’être député européen. Je leur ai dit que c’était vrai, et que j’avais refusé. Ils m’ont sévèrement engueulé : “pour une fois qu’on a l’occasion d’avoir un ouvrier qui nous représente… On a suffisamment dit que les politiques étaient des énarques éloignés des réalités, qui ne pensent pas comme nous, etc.” Ça m’a bien secoué et j’ai commencé à cogiter. Je n’en dormais plus la nuit. »
Édouard Martin a commencé à « consulter », Roger Briesch par exemple, qu’il qualifie de « père spirituel ». Ce militant CFDT aujourd’hui âgé de 85 ans qui a été président du Conseil économique et social européen (CESE) lui a dit « si tu refuses cette proposition, t’es un con. C’est une occasion unique de changer les choses à un niveau où ça compte vraiment ».
Jacques Chérèque également, le père de François, qui l’a averti : « Tu vas en prendre plein la gueule, mais ça vaut le coup. » A la maison, sa compagne était contre : « que vas-tu faire là-bas, c’est un monde de requins, pas pour toi… »
Et puis des discussions sur les piquets de grève remontent à la surface :
« Quand on était dans le froid avec les copains, on refaisait le monde bien souvent. Et on a plus d’une fois conclu qu’il n’y avait rien à attendre des politiques, malgré nos actions coup de poings, nos enchaînements aux grilles, etc. La seule chose qui les fait réagir, qu’ils craignent, c’est l’engagement politique. Pour certains élus, la politique c’est « réservé aux grands » et ils goûtent peu que des gars comme nous s’en mêlent. Pourtant j’ai bien vu quand j’étais au comité de groupe européen chez Mittal que c’est à ce niveau que sont prises les décisions qui nous impactent ensuite. »
« Ils se servent de moi, et moi je vais me servir d’eux »
Alors que les reclassements des anciens de Florange se poursuivaient à un bon rythme, le syndicaliste a décidé de prendre au mot les Socialistes :
« Je sais bien que les Socialistes ne m’ont pas proposé ça dans un élan du cœur. Ils se servent de moi et moi je vais me servir d’eux, comme lorsque François Hollande est venu à Florange comme candidat. On savait que c’était une manœuvre politique mais on a joué le jeu pour profiter de l’exposition médiatique fournie par les 400 journalistes qui le suivaient à la trace pour notre combat. Au Parlement européen si je suis élu grâce au soutien des Socialistes, je poursuivrai l’action en faveur d’une réindustrialisation de l’Europe et en défense des droits des ouvriers européens. »
En position de force, Édouard Martin rencontre alors le 17 décembre à Paris Harlem Désir, premier secrétaire du PS, et pose ses conditions : pas d’adhésion au PS, une totale liberté de parole et d’action et la possibilité de constituer sa propre équipe. Harlem Désir accepte et demande seulement qu’une fois élu, Édouard Martin rejoigne le groupe parlementaire des socialistes européens.
« J’ai voulu vérifier s’ils étaient sérieux… et quand j’ai réexpliqué les conditions aux copains, ils m’ont répondu que je ne pouvais plus dire non. Quant à Catherine Trautmann, elle m’a appelé quelques jours plus tôt pour savoir si être tête de liste était pour moi “une condition ou une exigence”… J’ai beaucoup de respect pour Catherine Trautmann, qui nous a ouvert les portes du Parlement européen, alors je lui ai expliqué que le PS était venu me chercher et j’ai demandé ce qu’il en était à Harlem Désir qui m’a répondu que c’était “vu avec elle”… »
Et le soir même, Édouard Martin annonce qu’il sera en tête de la liste socialiste pour le grand Est aux élections européennes :
Aller plus loin
Sur Le Parisien.fr : Européennes: le PS bas-rhinois digère mal la tête de liste confiée à Edouard Martin
Sur Le Monde.fr : « Je n’ai aucune leçon à recevoir » (interview d’Edouard Martin)
C'est ça, le socialisme français !?
Regarder ce qu'il s'est passer au brésil depuis Lula Da Silva est arrivé au pouvoir les changement qu'il y a eu la bas depuis
moi je dit bravo il en faudrait un peu plus qui est des couilles au cul même s'ils se font taper dessus par des pequenos qui ne pense qu'a brailler mais ne font rien pour que ça change
Oui au renouvellement de la classe politique par des hommes et des femmes "de la vraie vie", en particulier par des ouvriers et... des entrepreneurs. Quand bien même les partis ont des experts en sciences éco. ils n'y connaissent généralement rien au monde de l'entreprise.
Bon courage, Martin !
1. Avoir un ouvrier au PS est tellement exceptionnel (cf. les bobos de Strasbourg) que ça ne peut pas faire de mal.
2. Les poids-lourds des grands partis se désintéressent de toute façon du parlement européen. N'y vont que ceux qui sont grillés en France. Quand ils sont élus, ils ne vont pas souvent siéger. Martin sera peut-être enfin un député à plein temps. (Vous avez vu le nombre de fonctions que cumule Catherine Trautman ?)
3. S'il croit vraiment à sa démarche (pourquoi pas après tout), il est évidemment naïf : les députés européens ne contrôlent pas cette machinerie devenue folle, au plus grand profit des actionnaires. Le pouvoir est à la Commission, où il n'y a ni élus ni ouvriers.
4. Les "gens de gôche" n'avaient pas reproché à Lula, président du Brésil, d'être un ancien syndicaliste. Idem pour Delors et (à vérifier) Bérégovoy.
5. Tout ceci étant dit, vous ne serez pas la seule à ne pas voter pour le PS dans les prochains temps. ;-)
Lula avait une autre envergure !
Le problème ne réside pas dans le fait qu'il soit candidat pour les européennes, mais qu'il soit candidat pour le ps, qui a supporté la traitrise de hollande et ayrault sur l'affaire mittal...
Je constate néanmoins que le ps a bien pris en compte le déclin de la sidérurgie...
Là où il offrait des postes de ministres et de préfets à Chérèque père, il n'offre aujourd'hui que des strapontins de député....
1) les autres partis démocratiques se seraient pris pour avoir Edouard sur leur liste?
2) Que doit il prouver encore? son combat avec ses copains étaient un combat juste et celà a permis a toutes les personnes d etre reclassées, d avoir des investissement que Sarko n a jamais donné
3)Pourquoi une personne issue de la classe ouvriere doit faire son mea culpa 1000 fois plus qu un avocat ou à un medecin pour accéder à un poste en politique?
4) De plus entouré et conseillé par Catherine , ils feront un bon tandem alliant l'experience , efficacité et volontarisme
Oui , mon Edouard a droit au respect ...combien de nuits ai je passé avec lui et ses copains devant le feu , parfois en doutant , mais aussi en riant , la lutte ce n est pas une mince affaire ...nous le soutenons dans son combat futur pour les européennes ...Edouard en a trop bavé...lui l Europe il la dans ses tripes ....il a connu l Europe des frontiéres et des dictatures et franchement je vous invite à le rencontrer et à échanger avec lui ..il en vaut la peine ..et entre une Morano et un Phlippot il n y a pas photo c est Edouard qu il nous faut........
Je n'irais pas dire que c'est un mauvais article... mais de là à écrire que "beau travail journalistique", cela m'échappe un peu...
Et si c'était le cas, le journaliste aurait pu interrogé Harlem pour infirmer ou confirmer les propos de Edouard Martin, non ?
Soit de l'ironie (et je ne comprends pas plus) ou Pierre vous finance pour cette publi. ?
Vous pouvez m'éclairer ?
On voit que les syndicats ont eu une réaction pragmatique. C'est au niveau européen que la désindustrialisation se joue. L'Etat ne peut pleut plus tout. Au Parlement européen, les rapports de force sont différents. La gauche a souvent besoin de la droite pour faire passer une loi et réciproquement. Même sur une législation de droite, la gauche peut faire passer des amendements clés. Il ne faut pas être sectariste pour faire avancer les choses. Son attitude, c'est l'inverse de celle de Mélenchon (député européen également) qui par principe refuse de discuter avec Barroso, trop libéral pour lui.
Maintenant que les histoires de personnes ont été largement évoquées il serait bien de voir quelles idées concrètes il veut porter au Parlement européen pour lutter contre la désindustrialisation. Et dans quelle mesure le PS le soutient là-dessus.
un pur politicien dans l'ame.
Juste un détail pas vraiment évoqué : le programme du PS (proche du Modem) ... et son BILAN ("on fait d'not'mieux, vous savez, c'est difficile ...").
Edouard Martin sera pris au piège, comme beaucoup avant lui, de la cohérence du projet qu'il aura à promouvoir, et de la solidarité électorale qu'il aura à assumer.
Je doute qu'il ne l'ait pas prévu, ce qui le rend beaucoup moins sympathique.