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« Effacer l’historique », une comédie humaine face aux géants du numérique

Avec leur nouvelle comédie Effacer l’historique, le duo grolandais Benoit Delépine et Gustave Kervern s’attaque à l’absurdité de notre ère connectée. Un monde kafkaïen dans lequel se débattent joyeusement Blanche Gardin, Denis Podalydès et Corinne Masiero.

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« Effacer l’historique », une comédie humaine face aux géants du numérique

Dans une banlieue pavillonnaire, Marie, Bertrand et Christine vivent un enfer au quotidien, entre harcèlement, surendettement et dépendance aux « likes » : les tourments des outils numériques et de l’ubérisation. Anciens Gilets jaunes, ils se retrouvent pour un nouveau combat, contre les géants du numérique.

Gustave Kervern est seul pour parler de son film qu’il a co-réalisé, mais il utilise toujours le « on » ou le « nous », il arrive en nous proposant son poing pour « checker » et nous tutoie. Il est à l’inverse du monde qu’il dénonce : bienveillant et facile d’accès.

Bande annonce d’Effacer l’historique (Ad Vitam)

Rue89 Strasbourg : Vos trois personnages sont voisins dans un lotissement. Pourquoi avoir rapproché les thèmes de l’oppression numérique et du mode de vie périurbain ?

Gustave Kerven : C’est là où se trouvent les classes moyennes, la plus grande partie de la population française, que l’on voit rarement dans le cinéma français. Dans tous nos films, on parle des classes moyennes et des déclassés. D’autre part, les lotissements sont visuellement très intéressants. On en a visité une quinzaine. Les maisons se ressemblent toutes mais elles ont leurs petites différences : l’importance des garages par exemple, c’est fascinant !

De plus, le fait d’être largué par le numérique, ça appartient à tous. Au début on pensait que c’était juste nous, Benoit et moi : les gens qui ont 50 ou 60 ans, mais on s’est rendu compte que ça touchait tout le monde. On parle d’illectronisme : les illettrés du numérique.

Au contraire d’un lotissement très normé et cloisonné, le film donne à voir un espace poreux : les personnages vont et viennent facilement les uns chez les autres, de jour comme de nuit. On a l’impression que le lotissement est déconstruit.

C’est un lotissement « post- Gilets Jaunes », nos trois personnages se sont connus sur le rond-point de la commune. Ils sont amis et se soutiennent. Malgré tout, on sent encore une grande solitude, un isolement. Sur le lieu du tournage, on s’est rendu compte que les habitants ne se connaissaient pas, ils ont tous une tireuse à bières et un home cinéma, rentrent chez eux le soir et ne sortent plus. Lors des fêtes de tournage, ils se parlaient pour la première fois.  

Le film décrit un monde terriblement oppressant mais le mal est invisible.

C’est récurrent dans notre cinéma : nos personnages sont des Don Quichotte qui se battent contre des moulins à vent. Dans Louise-Michel par exemple, Yolande Moreau joue une ouvrière qui part à la recherche de ses patrons, mais elle est toujours renvoyée vers un ailleurs qui n’existe pas. C’est le principe de base du capitalisme sauvage : la déréalisation : il n’y a personne à qui l’on puisse réclamer quelque chose.

Bertrand (Denis Podalydès) et Christine (Corinne Masiero) font le tour du rond-point où ils se sont connus. (doc. remis)

Le combat semble impossible…

On n’apporte pas de solution, c’est avant tout une comédie. Mais il y a une part de rébellion chez chacun de nos personnages, beaucoup de dignité, comme dans l’univers de Kaurismäki qu’on adore. La solution se joue dans la solidarité, l’amitié. Mais le constat est pessimiste : l’ennemi est intouchable.

Denis Podalydès a plutôt l’habitude de jouer des hommes qui possèdent les codes, des intellos… ici il interprète un naïf, très subtilement. Pourquoi avez-vous pensé à lui ?

Ça fait longtemps que nous voulions travailler avec lui, c’est un acteur très fin, multiforme, il a un coté naïf, tendance Woody Allen. Il a trouvé quelque chose de très juste. On ne donne pas de direction aux acteurs et on ne travaille pas la psychologie des personnages – on a déjà du mal à trouver la nôtre ! Mais on tourne dans l’ordre pour que le personnage évolue dans le sens du scénario.

Comment s’est passé le travail avec Blanche Gardin, qui vient des spectacles solo en stand-up ?

C’est son premier grand rôle au cinéma, elle avait très peur. Nous aussi (rires), comme à chaque fois avant de démarrer un film. Tous les matins, elle refaisait les dialogues avec nous. Elle changeait un mot, rajoutait une blague. Elle est très exigeante sur son texte, mais nous on s’en fout, ça nous allait très bien.

Corinne Masiero, Denis Podalydès et Blanche Gardin (doc. remis)

Les personnages sont des anciens Gilets Jaunes. Vous portez sur eux un regard tendre.

Oui mais on ne voulait pas faire un film politique. Pour nous, il y a une limite au mouvement des Gilets jaunes : l’absence de leaders et d’idéologie clairs. Mais on est respectueux de l’acte de rébellion et d’une prise de parole nouvelle.

Le coronavirus a augmenté nos utilisations du numérique et a mis des gestes barrières, des vitres entre nous. On y pense en voyant le film : ce qu’il manque aux personnages pour accentuer l’absurdité des situations, c’est un masque…

Ne m’en parle pas ! Nous sommes présidents du Jury du Festival d’Angoulême (du 28 au 2 septembre) et le port du masque est obligatoire. Voir un film avec un masque est un non-sens pour moi, ça doit rester un plaisir !


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