Elle, c’est Isabelle Huppert, chef d’entreprise, femme de tête et de poigne, qui ne manque ni d’amis, ni d’amants, ni d’argent. Elle est violée, battue par un agresseur masqué, dans son salon et en plein jour. Et elle se refuse à porter plainte.
« Elle » devait être le quota choc et le parfum de soufre de la dernière sélection cannoise. Premier film français de celui que les américains avaient surnommé le Hollandais fou, ce thriller bourgeois ne satisfait aucunement à ses promesses de subversion. On le sait, Paul Verhoeven est un cinéaste aussi surdoué qu’espiègle. Bien sûr, il s’amuse là de la bourgeoisie offensée et des catholiques engoncés dans le paraître, comme il a pu, en d’autres temps, se moquer des dérives militaristes dans Starship Troopers ou du capitalisme forcené dans Robocop. Mais il serait dommage de réduire un auteur aussi important à son insolence.
L’agression sexuelle, un argument secondaire
Le viol, vendu comme le fait majeur du film, comme son socle narratif, n’est qu’un déclencheur, un incident, un évènement parmi d’autres. Il permet à Verhoeven de poursuivre une quête, l’exploration d’une problématique abordée dans les années 90 et qui pourrait se résumer de la manière suivante : comment le pouvoir vient aux femmes et comment choisissent-elles d’en user ?
« Elle » est bien le récit d’une prise de pouvoir.
Il serait mensonger et malhonnête de laisser croire qu’il narre le plaisir féminin dans la contrainte et sous la violence. La question de savoir si le film est un pamphlet réactionnaire ou une œuvre féministe ne se pose pas. Parce qu’il ne prend pas la peine d’être militant.
Et, qui plus est, Verhoeven se désintéresse ouvertement de la dramaturgie. Savoir qui est le violeur cagoulé devient rapidement aussi accessoire que de savoir si Catherine Tramell, protagoniste de Basic Instinct, était bien la meurtrière au pic à glace.
Comme François Truffaut, comme Luis Bunuel, le réalisateur hollandais est fasciné par la Femme, et il s’attache à la voir prendre l’ascendant, par le biais du sexe, de l’argent, de la violence.
L’agression sexuelle permet au personnage d’Isabelle Huppert de prendre conscience de sa propre puissance. Elle domine, par le fric, la vie sentimentale de son fils. Elle commande au destin professionnel de son ex-mari. Elle est libre de briser d’un mot le couple de sa meilleure amie. Elle réalise qu’en dominant son désir, en invitant le violeur à recommencer, elle ne pourra que le déposséder de sa puissance et l’émasculer.
Faire naître un sexe fort
Cette idée d’empowerment, terme anglophone ici difficilement traduisible, traverse l’œuvre de Verhoeven depuis deux décennies.
Dans Basic Instinct, Sharon Stone devient une icône en conjuguant sexe et meurtre. Dans Showgirls, Elizabeth Berkley se fait objet de pur désir pour connaitre le succès et grimper l’échelle sociale. Dans Black Book, l’espionne est pute et la pute espionne. Elle monnaye son corps pour accéder à la plus grande des richesses, l’information.
Ce qui passionne Paul Verhoeven, c’est ce grand écart, l’illusion de l’avilissement qui aboutit à une forme de puissance.
Qu’il tourne à Amsterdam, à Los Angeles ou enfin à Paris, le vieux cinéaste en revient aux mêmes enjeux.
On lui colle, depuis toujours, l’étiquette du provocateur. Mais Paul Verhoeven est un cinéaste tendre qui, sous couvert d’un humour désabusé, rend les armes au prétendu sexe faible.
Chargement des commentaires…