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Après le théâtre au TJP, « on se parle, on s’écoute » au collège de l’Elsau

Huit mois, trois spectacles et quinze séances plus tard, les élèves de 6e des classes à horaires aménagés théâtre ont beaucoup appris. Arrivés bientôt au terme de cette année scolaire, que retiennent-ils et comment ont-ils évolué ?

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Après le théâtre au TJP, « on se parle, on s’écoute » au collège de l’Elsau

Jeudi 31 mai, dans la salle de répétition du théâtre TJP de Strasbourg, Marie, Emma et Laurence demandent toute leur attention aux élèves de 6e du collège Hans Arp, un établissement de l’Elsau, quartier populaire à l’est de Strasbourg. Il est 16h45 et cette dernière séance de pratique théâtrale au TJP touche à sa fin. Les prochains ateliers correspondront au second « temps fort » de l’année, dernière ligne droite avant le spectacle. Une semaine intense durant laquelle « il faut savoir gérer sa fatigue et se faire confiance ». Marie en profite pour les féliciter :

« D’ores et déjà vous pouvez être fiers du travail que vous avez accompli. Mais là on va aller plus loin et l’amener aux spectateurs, à vos parents… et aux autres camarades. »

Les élèves travaillent sur l’espace lors d’une séance au TJP (Photo Florence Vaira / TJP / doc remis)

Qu’ils souhaitent devenir acteur ou actrice comme Waïl et Talita, chirurgien comme Marwan ou mécanicienne comme Inès, ces jeunes se sont familiarisés avec le théâtre cette année dans le cadre des classes à horaires aménagés. Des classes exigeantes car elles requièrent une motivation et un investissement importants de la part des élèves comme l’explique Waïl :

« On a plus de travail à faire chez soi que les autres classes, on travaille plus. On doit connaître notre texte, savoir nos leçons… Les horaires sont aussi plus compliqués. »

« Ça a l’air plus facile à la télé »

Les ateliers de pratique notamment ont un côté ludique puisque Marie et Emma leur enseignent le jeu, cela dit ils demandent aussi une bonne dose de sérieux. Les élèves apprennent que jouer la comédie n’est pas si aisé qu’ils auraient pu le croire : « je pensais que c’était salement facile mais en fait non » dit Amina. Talita raconte :

« J’aime le cinéma, j’ai voulu faire du théâtre pour être actrice. En fait je me suis rendue compte que le théâtre n’est pas comme du cinéma, c’est plus complexe. Il y a beaucoup de choses à faire. Ça a l’air plus facile à la télé que de le faire en direct. »

Pour Marie qui les a accompagnés tout au long de l’année, l’important c’est de leur apprendre à travailler en groupe. Fil rouge des ateliers de pratique, ils ont aiguisé cette énergie au travers d’exercices de plus en plus pointus : de celui des « bancs de poissons », qui consiste à créer des images de groupes, à celui sur le « focus » (le centre d’attention), où un des élèves doit spontanément être capable de prendre le leadership et de le signifier aux autres. Un travail primordial :

« Travailler en groupe c’est apprendre à trouver sa place, pouvoir en sortir et devenir un individu que l’on voit puis retourner dans le groupe. Ce travail fortifie l’individu, pour moi c’est un apprentissage de la vie : comment je peux me faire entendre, exprimer clairement ma pensée, exprimer mes émotions. »

Les différents groupes se montrent à tour de rôle les scènes qu’ils ont préparées (Photo : Florence Vaira / TJP / doc remis)

Travailler ensemble c’est aussi savoir regarder, pouvoir avoir de la distance pendant le temps d’observation, voir ce qui fonctionne ou non, pourquoi et le rendre clair. Comme jeudi 5 avril, au Conservatoire. La classe est séparée en deux groupes, l’un prépare une scène de l’Ogrelet : celle où la mère reçoit une lettre de la maîtresse. Comment jouer à six une scène pour un seul personnage ? Ils ont cinq minutes pour préparer une improvisation avec pour seul accessoire une feuille de papier.

Pendant ce temps de préparation, les idées fusent, ils se partagent des rôles : certains se décident pour jouer des éléments du décor, d’autres le personnage ou le narrateur. Une fois leur présentation faite, l’autre groupe s’interroge sur leur improvisation et ensemble ils cherchent à améliorer des idées. Desmond et Hamza font partie de ceux qui sont particulièrement attentifs aux détails, qui participent souvent à ces moments et proposent des idées de mises en scène.

« Dans la classe, il y a beaucoup plus d’ambiance »

Forcément, tout ce travail collectif sur l’écoute ou le fait de s’exprimer a un impact sur la classe. Pour leur professeure, Laurence Guillemaut, les classes théâtre sont tout à la fois très soudées et très extrêmes aussi. Talita précise :

« Dans la classe il y a plus d’ambiance, on partage beaucoup de choses, on se voit aussi en dehors. On se parle, on se dit ce qu’on ressent, on est vraiment sincères avec tout le monde. Et aussi qu’on soit fille ou garçon, c’est pareil. »

L’ambiance générale de la classe n’épargne bien sûr pas des conflits, « dans la classe c’est pas toujours rose, des fois c’est plutôt violet ou rouge » comme le dit Waïl. Mais pour Talita et Amina, « ici quand on s’explique on se pardonne vite. »  Marie, de son côté rappelle que la période du collège peut aussi être remplie de difficultés sur lesquelles il ne faut pas fermer les yeux :

« Il ne faut pas non plus tomber dans l’angélisme, il peut y avoir des problèmes. Le théâtre ne règle pas tout, mais il permet de s’ouvrir, de s’exprimer, ça brasse de l’émotion. »

Lors d’une répétition, Inès lit un passage de l’Ogrelet (Photo Florence Vaira / TJP / doc remis)

Au terme de cette année, les jeunes comédiens ont déjà un aperçu de ce que cette expérience théâtrale a pu changer chez eux, chez leurs camarades, ou encore des progrès qu’ils ont pu accomplir. Salma par exemple suit la classe théâtre depuis le CM1, l’art dramatique fait partie de ses passions avec la danse qu’elle pratique en UNSS au collège. Si de son côté elle avoue qu’au début c’était bizarre de faire des exercices qu’elle connaissait déjà, elle remarque les progrès accomplis par certains comme Mathilde, Helena ou Ilyana qui se sont affirmées petit à petit.

« Je suis beaucoup plus calme qu’avant le théâtre »

Elève plutôt discret, Marwan a 11 ans et vient de la Montagne Verte. Il aime sortir et jouer à la PS4, Fortnite en ce moment. L’année dernière, il était à l’école Gutenberg où sa classe a monté un spectacle, ce qui lui a donné envie de poursuivre en classe théâtre. Il retient de cette année :

« C’est beaucoup plus physique et beaucoup plus dur que je pensais, mais cette année je me suis vraiment mis dedans. Avec l’accumulation des années, j’aime bien l’odeur des théâtres, dire des choses avec les yeux. Je suis aussi plus calme qu’avant. Avant je me battais souvent, si on me disait juste “la ferme” je m’énervais direct. Cette année j’essaye plus de chercher pourquoi les gens se comportent comme ça. Mes parents me disent que je suis beaucoup plus calme qu’avant ; ils m’encouragent à continuer. »

Mathilde vit également à la Montagne Verte. À la différence de certains de ses camarades, elle baignait déjà dans l’univers théâtral, son père est scénographe. D’une nature assez timide, ses parents l’ont encouragée à s’inscrire dans cette classe. Si elle pense que le théâtre l’a « un peu aidée » sur ce point, elle fait partie des élèves qui se sont nettement affirmés lors des ateliers.

Plus excentrique que ses deux camarades, Waïl habite à Lingolsheim et n’a pas rejoint ses amis dans son collège de secteur pour intégrer Hans Arp. Dans la classe, il se démarque par son humour et sa vitalité : « Waïl, avec Talita, ils mettent l’ambiance ! » lance Marwan. Il aime lire, dessiner, faire rire son petit frère ou faire des cascades avec, courir, grimper… En somme beaucoup d’énergie ; « c’est des fois ce qu’on me reproche » ajoute-t-il non sans malice. Pourtant lors des répétitions, il se montre d’une concentration impeccable au moment réciter son texte.

L’Ogrelet est le conte que les sixièmes présenteront (Photo Florence Vaira / TJP / doc remis)

« On n’est pas pareils »

Bientôt ils interprèteront l’Ogrelet, de Suzanne Lebeau ; un conte qui traite de la différence chez les enfants et les jeunes adolescents. Le choix des œuvres s’opère du côté des encadrants du projet, le conte choisi parle de la problématique de la différence, et touche des thèmes corollaires comme le fait de trouver sa place et le harcèlement. Ce texte enthousiasme des élèves, dont Mamé :

« C’est totalement différent des contes qu’on connait d’habitude où c’est souvent des princesses. Dans l’Ogrelet, j’aime bien le côté ogre-humain. Tout le monde a un côté sauvage. »

Et Salma, elle :

« Ce que je trouve intéressant, c’est que dans la pièce on explique qu’on n’est pas pareils. Parfois on le cache mais des fois on voit notre vraie personnalité. »

« Sortir de leur zone de confort »

En ce 31 mai, l’ambiance de fin d’année scolaire se fait sentir. Les jeunes théâtreux sont particulièrement agités, Emma leur demande de profiter de la pause pour revenir plus calmes. Réunis dans la cafétéria, Thalya et Waïl improvisent un concours de danse, d’autres s’installent autour des tables. Laurence en profite pour les féliciter du travail qu’ils ont accompli depuis le début de l’année : « ce n’est vraiment pas facile ce qu’on vous demande et vous vous en sortez très bien. »

Malgré une certaine agitation, des élèves se révèlent au cours de ces dernières séances, c’est le cas d’Ilyana :

« Aujourd’hui Ilyana est vraiment sortie de sa coquille en improvisation : elle a donné son texte avec émotion. Elle s’en est rendue compte mais pas vraiment. Si on peut pousser ça plus loin, que ça donne le courage aux autres d’y aller, de sortir de leur zone de confort. »

Une improvisation de Mathilde et Hamza offre également une scène de théâtre d’une très belle justesse. Les deux collégiens interprètent la mère et l’ogrelet, ils font résonner leurs peurs, laissent passer des silences. C’est avec de beaux moments de jeu comme ceux-là que les séances au TJP se clôturent. Le prochain rendez-vous est donné au conservatoire pour la fin du second temps fort et leur représentation publique.


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