M. le président de la République,
En limitant l’accès des étudiants aux cours en présentiel, c’est toute une génération que vous sacrifiez et l’avenir du pays que vous mettez en danger.
À Mulhouse, en mars, alors que la France entière avait les yeux rivés sur notre cluster et que la vie autour de nos facultés s’évanouissait, les cours, eux, continuaient. Avec l’annonce du confinement, l’université a fermé ses portes afin d’endiguer la pandémie, que nous méconnaissions alors et que nous avions du mal à appréhender.
Étudiants comme enseignants, nous avons attendu les directives gouvernementales, qui tardaient à venir et nous laissaient là, incrédules, dans l’attente de connaître notre sort.
Pourtant, même sans qu’un horizon clair ne soit dégagé, nous avons pris notre mal en patience et avons composé. Nous nous sommes adaptés tant bien que mal à cette nouvelle situation de l’enseignement à distance. Nous avions alors vu cette solution comme transitoire, persuadés que, d’ici septembre, nous pourrions à nouveau faire cours en présentiel, dans des conditions respectant un protocole sanitaire strict.
« En novembre, retour à l’anormal »
Nous, étudiants, avions alors confié notre avenir entre les mains du gouvernement, les yeux fermés, en pensant que les moyens financiers importants débloqués pour venir en aide à certains secteurs allaient aussi nous être destinés.
Pourtant, en novembre : retour à l’anormal. Si nous avons eu la chance de
pouvoir assister aux cours en présentiel, dans de bonnes conditions, jusqu’aux vacances de la Toussaint, quel ne fut pas notre désarroi face à l’annonce de la reprise du distanciel. Déjà, certains d’entre nous, venus de l’étranger, des quatre coins de la France ou du Grand Est, se demandaient où ils allaient se confiner. Pour beaucoup, le choix fut cornélien, entre des situations familiales complexes, des connexions internet médiocres, voire un manque de matériel numérique à nos domiciles, ou bien le silence d’un
confinement, seul entre ses quatre murs.
Nous avons, fort heureusement, pu compter sur le soutien de nos pairs avec qui nous avons tenté de créer de nouvelles formes de sociabilités et de solidarités. Nos professeurs aussi étaient là, répondant à nos mails, s’efforçant de maintenir un minimum de lien avec leurs étudiants afin d’éviter tout décrochage ou détresse psychologique. Pour certains, la figure professorale fut notre seule compagnie de la journée, au milieu des vignettes grises et des powerpoints. Plus que jamais, nous avons mesuré l’importance du lien entre professeurs et étudiants dans l’apprentissage et la formation de citoyens éclairés.
« Nos appels à l’aide sont ignorés »
Pourtant, madame la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ne prêtait pas attention à nos appels à l’aide, ou du moins ne semblait pas les entendre. Ce n’est pas évident, en effet, de faire entendre sa voix lorsque l’on est étudiant. Pourtant, comme vous le savez, les étudiants ont été la figure de proue de mouvements sociaux porteurs de grandes avancées sociales dans l’Histoire.
Mais notre répertoire d’action collective s’est appauvri avec le confinement et le distanciel : difficile de manifester notre détresse en respectant le protocole sanitaire, difficile d’alerter sur notre précarité quand nous n’avons aucune visibilité collective et que nos droits semblent menacés, difficile de signer des pétitions et de se mobiliser lors d’assemblées générales étudiantes quand notre sociabilité est réduite à néant.
Nous avons donc serré les dents, nous avons tenu bon pour limiter les risques de décrochage, nous avons lutté pour sauvegarder notre propre santé mentale. Certains d’entre nous ont perdu leur emploi à cause de la crise, certains d’entre nous ont perdu un proche, certains d’entre nous ont pensé au suicide. Face à la précarité, au risque d’échec et à l’indifférence du gouvernement malgré les signaux de détresse envoyés par des camarades, des professeurs ou présidents d’université, notre seul espoir résidait dans l’attente du mois de janvier.
Alors que nous étions parmi les premiers de cordée quand il s’agissait de fermer les universités, nous voilà les derniers déconfinés. Dans l’échelle de « l’essentiel » du gouvernement, l’enseignement supérieur est à la traîne, derrière les restaurants et les bars. Même les lieux de culte ont pu rouvrir, avec une jauge de 30 personnes, quand les lieux de culture et de connaissance ne peuvent reprendre leurs activités.
« Nous n’avons plus d’espoir »
Début janvier, les étudiants n’ont plus espoir. Nous ne croyons plus à une reprise des cours en présentiel avant des mois. Les étudiants de troisième année voient leur « désintégration » approcher à mesure que leurs perspectives d’avenir s’éloignent et partent en fumée. Les premières années semblent entrevoir une éclaircie, mais le flou est tellement prégnant dans les circulaires ministérielles qu’il est difficile de saisir l’organisation des prochaines semaines, d’autant plus lorsque l’on patauge encore dans
une institution que l’on a à peine eu le temps de découvrir.
Dès lors, sur quels critères s’appuyer pour définir qui serait prioritaire à un retour en salle, alors même que c’est toute la communauté étudiante qui est concernée ?
La belle promesse de l’université ouverte, permettant l’égalité des chances, semble envolée. Comment assurer une telle égalité alors que la fracture ne cesse de s’agrandir entre les étudiants ayant des conditions décentes de travail (tant au niveau du logement, du numérique que du point de vue financier) et les laissés-pour-compte ? Comment l’État peut-il sacrifier toute une génération sans se poser les questions essentielles ?
Nous vous remercions, monsieur le président de la République, pour vos pensées à notre égard, mais ce que nous demandons, ce sont des investissements concrets dans l’Université (notamment en direction des fonctionnaires, mais aussi des travaux de rénovation en matière d’aération et d’infrastructures) ainsi qu’un protocole sanitaire permettant un
retour au présentiel dans les plus brefs délais, pour tous les niveaux d’études. Nous demandons que le ministère de l’Enseignement supérieur permette que des universités de proximité, servant de filet social, comme la nôtre, puissent, de toute urgence, reprendre vie et sauver ce qu’il reste
à sauver.
Nous demandons également que les étudiants soient davantage pris en compte pour de pareilles décisions, mais aussi dans la vie universitaire en général.
Pour reprendre l’Abbé Sieyès à propos du Tiers-État : qu’avons-nous été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien. Que demandons-nous ? À y être quelque chose. Cette comparaison n’est pas vaine puisque des États Généraux de la formation ont été organisés dans certaines universités comme la nôtre. Les contributions y ont été riches et intéressantes, malgré l’absence des étudiants. Leur présence sera désormais essentielle.
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