« La menace russe est là et touche les pays d’Europe. Notre sécurité est menacée. » déclarait Emmanuel Macron dans son allocution aux Français du mercredi 5 mars, souhaitant « renforcer notre indépendance en matière de défense ». En cause, la détérioration de l’historique alliance transatlantique, qui inquiète le Vieux Continent. Mais l’Eurocorps, un quartier général militaire européen basé à Strasbourg, n’a été mentionné ni dans le discours de 13 minutes d’Emmanuel Macron, ni dans les déclarations politiques appelant au renforcement de la défense européenne. Comme s’il avait été oublié.
Créé en 1992, l’Eurocorps émane d’une volonté de réconciliation franco-allemande, à l’initiative des présidents François Mitterrand et Helmut Kohl. Il rassemble un millier de soldats de six nations cadres (Allemagne, France, Belgique, Espagne, Luxembourg et Pologne) et de cinq pays associés (Autriche, Grèce, Italie, Roumanie et Turquie) qui n’ont pas de pouvoir décisionnaire. L’Eurocorps peut être engagé par l’Union européenne ou par l’Otan et pourrait en théorie fonctionner comme un état-major de corps d’armée.
Mais depuis sa création il y a 33 ans, l’Eurocorps n’a été engagé qu’à six reprises, pas uniquement en Europe : en Bosnie-Herzégovine (1998), au Kosovo (2000), en Afghanistan (2004, 2012), au Mali (2015, 2021) et en République centrafricaine (entre 2016 et 2022). En dehors de ces missions, il travaille à rester opérationnel et mobilisable, à Strasbourg.
L’état-major et la brigade multinationale d’appui au commandement sont situés au sud de l’aérodrome de Strasbourg, dans le quartier Aubert de Vincelles, sur 15 hectares. Entre la Meinau et le Neuhof, sur environ 7 hectares, le quartier Lizé est principalement occupé par le bataillon de soutien du quartier général. En face, environ 3 000 personnes, comprenant les militaires et leurs familles, sont logées dans le quartier Lyautey. Les militaires occupent leurs fonctions à temps plein à l’Eurocorps, pendant deux à quatre ans, voire six.
« Engagements très limités »
L’Institut français des relations internationales (Ifri) estime que « l’Eurocorps est devenu depuis de longues années une structure en sommeil, en dépit de sa certification par l’Otan comme l’un des sept états majors de réaction rapide » dans une étude menée en septembre 2023, signée Élie Tenenbaum et Léo Péria-Peigné.
Interrogé, le dernier chercheur développe :
« L’Eurocorps est utile car il ne relève pas de l’Otan ni de l’UE. Il n’a pas besoin de consulter tous ses états membres pour prendre une décision. Mais ses engagements sont très limités et ont souvent été accompagnés de l’aide logistique des États-Unis, comme dans les Balkans ou en Afghanistan. »
« Problème de notoriété »
Nicolas Gros-Verheyde, directeur du média Bruxelles 2 (B2), spécialisé dans la défense et la diplomatie européennes, avoue : « Je ne sais pas ce que fait vraiment l’Eurocorps. À B2, on n’écrit presque jamais dessus ». Il le considère en fin de vie :
« L’Eurocorps dépend du multinational pour le déploiement, mais les pays ne l’activent pas. Par exemple, il aurait pu être déployé pour la formation de soldats ukrainiens, pour l’opération Barkhane au Mali ou pour l’opération Aspides en mer Rouge. Mais il n’est jamais sollicité pour ce type de missions. Les politiques n’y pensent même pas, on l’a oublié et laissé sur une voie de garage. C’est une Belle au bois dormant qu’on n’ose pas supprimer. »
Il critique la posture de stand-by de l’Eurocorps : « Pour être opérationnel, il faut être déployé. Il ne pourrait pas intervenir en Ukraine car il n’est pas prêt. » Le journaliste évoque un cercle vicieux : « Comme on ne l’utilise pas une fois, on ne l’utilise pas la fois suivante. » Le chercheur Léo Péria-Peigné poursuit : « L’Eurocorps a un problème de notoriété. Je ne suis pas sûr que tous les dirigeants des nations cadres connaissent bien l’Eurocorps, ou ne le confondent pas avec une autre institution. »
« Entente difficile à atteindre »
Outre le défi de la notoriété, l’engagement de l’Eurocorps dépend de l’aval des nations cadres. Ce qui rend « automatiquement l’entente difficile à atteindre » selon Léo Péria-Peigné. Jean-Dominique Giuliani, président de la fondation Robert Schuman, un think tank pro-européen, interroge les différences militaires franco-allemandes :
« Traditionnellement, les Allemands sont réticents à l’idée de projeter des troupes, mais cela change. Les nouvelles autorités allemandes semblent plus ouvertes aux missions. Ils tendent vers des pratiques militaires plus françaises, c’est-à-dire plus interventionnistes. »
Le haut fonctionnaire regarde vers l’avenir :
« Quand il parle de structure en sommeil, l’Ifri a raison, dans le sens où l’Eurocorps n’a encore rien démontré dans le combat – heureusement. Mais il ne faut pas préjuger l’avenir. L’Eurocorps a longtemps été inutilisé mais on pense plus à l’utiliser davantage. Je sais par exemple qu’on envisage de déployer l’Eurocorps dans les pays Baltes, où de nombreuses forces de l’Otan sont déjà présentes. »
Loin d’être missionné en Ukraine
Le président Emmanuel Macron alertait dans son allocution : « La Russie continue à se réarmer, dépensant plus de 40% de son budget à cette fin ». Selon Euronews, la Russie et l’ensemble des pays de l’Union européenne comptent chacun 1,5 million de soldats environ.
Si l’Eurocorps fait partie des forces que l’Union européenne et l’Otan peuvent activer, il n’est pas évident qu’il soit missionné contre la menace russe. Piotr Blazeusz, général polonais, commandant de l’Eurocorps, a refusé de répondre aux questions de Rue89 Strasbourg mais il déclarait le 18 mars aux Dernières nouvelles d’Alsace : « Actuellement, nous sommes dimensionnés pour des missions de crise mais s’il s’agit d’assumer un conflit de haute intensité, il faudra un renforcement capacitaire et des entraînements supplémentaires. »
Le Varsovien s’inquiète pour l’Ukraine : « À Yalta (conférence préparant la fin de la Seconde guerre mondiale, NDLR), les grandes nations ont décidé sans les Polonais que la Pologne serait à l’est du rideau de fer. C’est le risque avec l’Ukraine, qu’elle soit laissée de côté, un peu oubliée. »
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