Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

« Power Up » à la Kunsthalle : une exploration militante des réseaux invisibles

Du 16 février au 28 avril, l’exposition « Power Up, imaginaires techniques et utopies sociales » à la Kunsthalle de Mulhouse dévoile les œuvres de 10 artistes qui remettent en cause la vision des infrastructures d’eau, gaz, assainissement, électricité… Par le biais de l’histoire des résistances et des luttes, la Kunsthalle fait revivre des réseaux d’énergies invisibles. 

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.

« Power Up » à la Kunsthalle : une exploration militante des réseaux invisibles
Maya Mihindou, « Fondation d’un système énergétique féministe d’après Cara New Daggett, réhaussé des propositions de Solange Fernex, Fatima Ouassak et Vandana Shiva », 2024

Issue d’un commissariat d’exposition collectif, « Power Up » construit un axe de réflexion autour des énergies qui font vivre nos quotidiens tout en s’efforçant d’interroger leurs imaginaires. Fanny Lopez, historienne de l’architecture et des techniques, Géraldine Gourbe, autrice, philosophe et commissaire d’exposition, ainsi que Sandrine Wymann, directrice de la Kunsthalle et commissaire d’exposition se sont associées pour dépeindre les infrastructures d’un nouvel angle et tenter de changer les regards qui y sont portés. 

L’exposition est imaginée tel un cheminement en trois chapitres. Un premier groupe d’œuvres s’attache à contester « l’ordre électrique et ses imaginaires ». Ensuite, « le mythe et le culte du nucléaire » sont remis en question par le biais des résistances et des luttes. Puis l’exposition s’achève sur une critique féministe des techniques et sur la réappropriation du champ de l’ingénierie par les femmes artistes. 

Déconstruire l’omnipotence de l’ordre électrique

L’exposition s’ouvre sur une « carte mentale » mise en image par Jérome Saint-Loubert Bié, qui retrace une histoire alternative des techniques qui apparaissent dès la fin du XIXe siècle. Des images d’archives s’y entremêlent, mettant en exergue des projets d’architecture et d’ingénierie oubliés, desquels la fresque tire son nom : « Les outsiders de l’infrastructure ».

Vue de l’exposition « Power Up, imaginaires techniques et utopies sociales », 2024 | Jérôme Saint-Loubert Bié, Tomi Ungerer, Jessica Arseneau

De l’autre côté de cette cartographie, le dessin d’une centrale introduite dans un environnement utopiste réalisée par Claude Parent tapisse le mur comme le feraient les motifs d’un papier peint. Ces reproductions répondent aux trois photographies de Jürgen Nefzger, exposées sur le même mur. Tirés d’une série de 75 images, ces paysages bucoliques et harmonieux plongent les spectateurs et les spectatrices dans une certaine sérénité, qui se veut pourtant troublée par la présence, presque cachée, des centrales nucléaires. Celles-ci sont esthétisées par le photographe, qui souligne leur omniprésence, quelque soit le paysage qui les accueille. L’étrangeté de ces cartes postales évoque la dépendance, presque malsaine, que nous entretenons envers ces structures, que nous acceptons pourtant, par habitude ou par commodité. 

Claude Parent, « Un nouvel état du paysage », 1975
Vue de l’exposition « Power Up, imaginaires techniques et utopies sociales », 2024 | Jürgen Nefzger, série « Fluffy Clouds », 2003-2005 – sur une tapisserie réalisée à partir d’un dessin de Claude Parent

Une histoire des résistances

Le parcours de l’exposition se poursuit par un tour d’horizon de l’histoire des luttes antinucléaires : dès les années 1970 des résistances de plus en plus radicales se déploient, via des collectifs qui se forgent rapidement.

L’installation de Hilary Galbreaith met ces problématiques en lumière, en questionnant les imaginaires techniques et sociaux qu’elle concilie avec la question des activismes féministes. Dans sa vidéo haute en couleur et volontairement absurde, l’artiste rend hommage à celles que l’on appelait les « Guêpes de Fessenheim », un groupe de trois femmes qui se sont mobilisées contre l’installation de la centrale nucléaire de Fessenheim dans les années 1970 (voir « Les femmes de Fessenheim »).

L’artiste les met en relation avec les hôtesses de la centrale de Chinon. Recrutées spécifiquement par EDF pour accueillir et accompagner le public dans leur visite du site nucléaire, elles avaient pour objectif de participer à sa promotion. Dans l’imaginaire collectif, la présence de femmes sur un site confère intrinsèquement une certaine douceur à celui-ci, le rendant plus accueillant et chaleureux. 

Vue de l’exposition « Power Up, imaginaires techniques et utopies sociales », 2024 | Hilary Galbreaith, « Atomes », 2024

Un peu plus loin, « Ganthophonie » de l’artiste Carla Adra occupe le sol de l’espace d’exposition : des mains en béton émergent tel un hommage à Solange Fernex, pionnière des luttes écologistes et féministes. Elle disait elle-même que la terre était le fondement de sa force de vie : c’est elle qui l’encourageait à combattre, d’où la présence de ces mains dressées vers le haut.

Avec cette œuvre, Carla Aura et la Kunsthalle s’attachent à faire passer Solange Fernex de la mémoire à l’histoire : il est question de transmettre aux plus jeunes l’histoire encore trop oubliée de cette figure d’une lutte pacifique, qui fut souvent joyeuse et festive. La militante, déployée dans l’espace d’exposition par un portrait collectif, devient la preuve d’un lien entre luttes anti-infrastructures et luttes féministes. Les femmes sont sorties de leur foyer, de leur domesticité habituelle, pour, d’abord, se documenter quant aux faiblesses des infrastructures, afin d’éduquer les autres, et proposer des alternatives.

Vue de l’exposition « Power Up, imaginaires techniques et utopies sociales », 2024 | Suzanne Treister, Marjolijn Dijkman, Carla Adra, Maya Mihindou

Alternatives féministes : la réappropriation de l’industrie par les femmes artistes

Dans le même désir de faire émaner des figures de proue des combats écologistes et féministes, et de leur conférer une certaine reconnaissance, le centre d’art de Mulhouse commanda une fresque à l’artiste Maya Mihindou.

Basé sur l’ouvrage de la politologue Cara New Daggett, Pétromasculinité, le dessin mural en résultant est une réelle constellation de figures fortes du féministe des années 1970. De cette fresque émane visuellement la densité de pensées — entre féminisme, décolonialisme et écologisme — et la complexité du monde technique, qui se déploie ici comme un réseau sur lequel l’œil ne peut réellement se poser. 

L’exposition, qui ne se veut pas solutionniste, propose cependant des pistes de réflexion qui pourraient mener à des changements liées à ces infrastructures, mais surtout, au démantèlement des idéaux associés. 


#énergie

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles
Plus d'options