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Des mondes à créer avec les jeux vidéo à l’expo WorldBuilding du Centre Pompidou-Metz

Organisée en premier lieu à la Fondation Julia Stoschek à Düsseldorf, WorldBuilding au Centre Pompidou-Metz est l’une des plus importantes expositions sur le jeu vidéo dans l’art contemporain.

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Des mondes à créer avec les jeux vidéo à l’expo WorldBuilding du Centre Pompidou-Metz

Au Centre Pompidou Metz, le monde de l’art contemporain a pu une nouvelle fois resserrer le lien qu’il occupe avec le jeu vidéo à l’occasion de l’exposition WorldBuilding. Hans Ulrich Obrist, son commissaire d’exposition, y voit l’opportunité de proposer une expérience de spectateur active, qui se retrouve dans la posture de joueur.

Cory Arcangel, Totally Fucked, 2003, cartouche Super Mario Bros. faite main, piratée, système de jeu vidéo Nintendo NES, logiciel de l‘artiste.Photo : ADAGP, Paris.

Située au troisième étage du musée, l’exposition bénéficie d’un grand espace hermétique abandonné par la lumière naturelle. Les différentes pièces sont dessinées par des cimaises détruites, qui laissent entrevoir la globalité de l’espace au travers des trous irréguliers. Arrivé devant le seuil, le visiteur pénètre dans un « espace d’entre-deux », une sorte de grande boîte noire où les principales sources de lumière sont de grandes fenêtres lumineuses qui donnent à voir d’étranges réalités virtuelles.

Avec la perception des limites du réel et du virtuel brouillées, le spectateur entreprend son propre voyage immersif dans des œuvres qui suscitent l’interaction.

JODI, Untitled-Game (CTRL-Space). Modification of Video Game (Quake 1), 1998-2001, Installation de jeu vidéo, noir et blanc, sonore.Photo : ADAGP, Paris.

L’œuvre Untitled Game (CTRL-Space) Modification of a Video Game (Quake 1), qui s’impose dès l’entrée de l’exposition par l’image et le son, propose un visuel décomposé de Quake, un jeu de tir à la première personne majeur dans les années 90. Créé par le collectif Jodi, cette installation de jeu vidéo jouable (avec manette, instructions et siège disponibles devant la projection murale) propose au joueur de naviguer dans le premier niveau du jeu en ne se repérant que par le son, l’image étant remplacée par des bandes noires et blanches abstraites. Cette installation propose une déconstruction du jeu vidéo pour le détourner de son but initial et présenter le modding, qui rassemble les diverses pratiques visant à modifier un jeu vidéo, comme une forme d’art. 

Des années 90 et 2000…

Plus loin se trouve une œuvre de Rebecca Allen, artiste américaine pionnière de la création artistique et numérique. The Bush Soul #3 est une installation interactive qui permet de se déplacer au moyen d’un des premiers prototypes de joystick à retour dans un environnement généré aléatoirement, projeté sur le mur. En simulant un contact physique par les vibrations de l’appareil analogique, l’univers en 3D simpliste devient étrangement tactile, vivant et réactif. Les avatars de ces mondes inconnus semblent avoir leur mot à dire dans cette exposition.

Rebecca Allen, The Bush Soul #3, 1999Photo : Marc Domage / Centre Pompidou-Metz

Un peu plus loin encore, plusieurs artistes français représentent Annlee, un personnage de manga, au travers d’œuvre intitulée No Ghost Just a Shell, un projet collectif majeur l’histoire de l’art contemporain et numérique. Dans la vidéo Anywhere Out the World de Philippe Parreno (2000), Annlee, représentée par une figure humanoïde 3D lisse et sans identité claire, prononce face au visiteur un monologue existentiel sur les usages de ses représentations et montre sa précédente forme en 2D. En 2002, Pierre Huyghes et Philippe Parreno cèdent les droits du personnage à Annlee elle-même, devenant alors la première image « autoresponsable » dans une tentative des artistes de la passer de personnage fictif à personne morale. 

Philippe Parreno, Anywhere Out of the World, 2000.Photo : ADAGP, Paris.

… à aujourd’hui !

Après ces références de l’art numérique et contemporain originaires des années 90 et 2000, l’exposition passe le flambeau aux créations plus récentes. Parmi les multiples fenêtres qui donnent à voir des univers surréalistes, abstraits et hauts en couleur, une grande projection attire l’attention. Des parties de plusieurs jeux vidéo se succèdent dans de lents fondus, jusqu’à se répéter en boucle. Permanent Sunset est un machinima, un film réalisé dans un ou plusieurs jeux vidéo. Ici, l’artiste s’enregistre en plein jeu, complètement inactif et contemplatif devant les divers paysages vidéoludiques qui représentent chacun le crépuscule à leur manière. 

L’auteur de l’œuvre, LaTurbo Avedon, ne se présente qu’au travers de cet avatar qu’il utilise pour filmer ces scènes : en braquant les projecteurs sur la nature dans l’environnement vidéoludique, l’artiste brouille les limites du réel et de l’identité en incarnant son activité artistique directement dans la réalité virtuelle. 

LaTurbo Avedon, Permanent Sunset, 2020-présent.Photo : Marc Domage / Centre Pompidou-Metz

Après la visite et l’expérience des autres univers virtuels qu’elle propose, WorldBuilding adresse un dernier clin d’œil virtuel au spectateur. Un téléviseur cathodique diffuse une partie de Super Mario Bros lancée sur une console de jeu vidéo NES posée juste à côté. Le jeu, hacké par l’auteur de l’œuvre, Cory Arcangel, ne propose plus que Mario, personnage éminent de l’histoire du jeu vidéo, abandonné au milieu du vide complet, sur un bloc « ? », sans aucune alternative possible. Totally Fucked montre la condamnation du personnage par l’artiste qui exprime la frustration ressentie face à une technologie incapable d’aider l’humanité.

Totally Fucked, 2003.Photo : Cory Arcangel / ADAGP

Sur sa fin, Worldbuilding peut laisser une impression en demi-teinte, ce qui met à rude épreuve l’imaginaire coloré et onirique du jeu vidéo proposé par les multiples installations de l’exposition. Mais elle parvient à lever ce doute : le jeu vidéo ne sera pas cette fin tragique de la réalité par la dématérialisation.

En comprenant les multiples facettes des jeux vidéo, de leurs modes de fonctionnement, de leurs représentations et utilisations, les êtres humains devraient être capables de s’adapter, de les comprendre et de les utiliser comme des portes ouvertes sur de nouveaux possibles. WorldBuilding répond à cette nécessité de construire ces nouveaux mondes.


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