« J’ai l’impression d’avoir mis ma vie en pause. » Depuis l’assassinat de sa sœur par son mari le 17 avril 2010, Hager Sehili n’a jamais cessé de se battre contre les violences faites aux femmes. Jeudi 23 décembre 2021, la mère de famille s’est donc rendu devant l’immeuble où vivait Yasemin Cetindag, victime de féminicide un an plus tôt. Grelottant dans son écharpe et son pull noir, elle prend la parole devant le petit groupe venu rendre hommage. La militante dénonce l’inaction de l’État face aux féminicides :
« Encore cette année, 110 femmes sont mortes sous les coups de leur mari. L’année dernière, c’étaient 102 victimes. Le gouvernement parle de grande cause nationale, mais je ne vois pas les effets de cette annonce. Ces mortes, ce sont avant tout des femmes qui n’ont pas été entendues, parce que l’État n’a pas agi. »
Ahlam Sehili a voulu porter plainte
Comme le famille Cetindag, Hager Sehili a aussi subi ces dysfonctionnements des services de l’État. La veille de son assassinat par son mari, sa sœur Ahlam Sehili a tenté de porter plainte au commissariat central de Strasbourg, le 16 avril 2010. Elle était d’abord allée à la Préfecture pour demander d’arrêter la procédure de régularisation de titre de séjour de son mari. Dans une lettre rédigée à cet effet, la mère d’un garçon de deux mois dénonce des violences, des menaces d’enlever leur enfant ou de la brûler vive s’il devait quitter la France. Face à ce témoignage, les agents préfectoraux l’avaient incité à se rendre au commissariat.
En compagnie de sa mère, Ahlam Sehili s’était rendue au poste de police. Une enquête administrative a confirmé sa présence la veille de son décès, de 10h22 et 10h38. Mais aucune plainte ou main courante n’a été enregistrée ce jour-là. Le policier en poste face à la victime de violences conjugales lui a conseillé de se rendre au bureau de police de son domicile… qui était en travaux au moment des faits.
Dix ans de procédure pour une condamnation de l’État
« J’avais promis deux choses à ma sœur, quand je l’ai vue pour la dernière fois à la morgue : m’occuper de son fils comme s’il était le mien et que justice soit faite », affirme Hager Sehili. Commence alors un parcours judiciaire de plus d’une décennie pour la mère de famille installée à Nice. Plus de quatre ans après le féminicide d’Ahlam Sehili, le tribunal pénal de Strasbourg s’estime incompétent pour juger « l’action en réparation du fait d’un dommage subi par ricochet en suite d’un dysfonctionnement du service public de la justice. » Peu après, le tribunal administratif se déclare aussi incompétent en la matière. « Ils savaient que l’État devait être condamné, alors ils se refilaient la patate chaude », commente Hager Sehili.
Ce n’est donc qu’en mars 2021 que la chambre civile du tribunal judiciaire de Strasbourg a condamné l’État « à réparer, au titre de la perte de chance d’éviter le dommage, la faute lourde pour dysfonctionnement du service public de la justice ». Dans ses motivations, le tribunal estime qu’il « est dès lors établi que ces abstentions fautives réitérées (du policier, NDLR) constituent une faute lourde. Cette analyse est renforcée par la lettre d’excuses adressées à la mère d’Ahlam Sehili par le directeur départemental de la sécurité publique du Bas-Rhin évoquant sans détour un dysfonctionnement de ses services. »
Le policier fautif jamais identifié
L’État a aussi été condamné à verser une somme au titre du « préjudice d’affection personnel » au fils d’Ahlam Sehili. Hager Sehili a aussi obtenu une réparation du préjudice financier. Elle n’a pas souhaité rendre public le montant des versements.
Seule regret de la militante contre les violences faites aux femmes : que le policier fautif n’ait jamais été identifié :
« Pour moi, il aurait dû être démis de ses fonctions. Mais même sans condamnation, il vivra toute sa vie avec sur sa conscience le fait d’avoir ignoré une femme qui venait porter plainte pour violences conjugales et qui a été assassinée le lendemain. »
Satisfaite d’avoir honoré ses promesses à sa sœur défunte, Hager Sehili vient de déposer les statuts de son association A l’âme (en référence au prénom de sa sœur Ahlam). Elle espère ainsi « travailler avec d’autres structures existantes pour soutenir sur le plan juridique, matériel ou psychologique les victimes de violences conjugales. »
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