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L’exil et l’accueil en spectacles, conférence et performances au Maillon

Entre le 25 janvier et le 4 février, le Maillon devient une terre d’asile, accueillant spectacles, lectures, performance et conférence autour de l’exil.

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L’exil et l’accueil en spectacles, conférence et performances au Maillon

En 2021, Strasbourg a vu arriver des centaines de réfugiés en provenance d’Afghanistan. En 2022, ce sont des réfugiés fuyant la guerre en Ukraine qui ont été accueillis. Mais, à quoi ressemble la vie de ceux qui ont dû s’arracher à leur pays et à leurs familles, pour certains sans certitude de les revoir un jour ? À quelles difficultés sont-ils confrontés une fois arrivés dans un continent de plus en plus frileux, replié voire nationaliste ? Le Maillon s’empare de ces thèmes pour leur « focus » de l’année 2023, intitulé « Espaces d’exil » avec une programmation de spectacles, lectures et performances entre le 25 janvier et le 4 février.

Exils d’hier et d’aujourd’hui

Le coup d’envoi de cette programmation thématique revient au metteur en scène iranien Amir Reza Koohestani, avec sa pièce En Transit. Le spectacle, comme ses quatre comédiennes, est multilingue, on y entend du farsi (une langue d’Iran et d’Afghanistan), de l’allemand, du français et du portugais, le tout surtitré en français. Avec une mise en scène froide et contemporaine, utilisant la vidéo, la pièce immerge le spectateur dans les affres d’une administration de l’asile déshumanisée aux exigences kafkaïennes.

Extrait de En Transit, Amir Reza Koohestani Photo : / Magalie Dougados

En Transit est née suite à une mésaventure du metteur en scène lui-même. En 2018, il est arrêté à l’aéroport de Munich suite à l’expiration de son visa cinq jours plus tôt, puis remis dans un avion à destination de Téhéran. Il a avec lui ce jour là, le livre Transit d’Anna Seghers qui raconte l’exil de ceux qui fuyait le nazisme lors de la Seconde guerre mondiale.

La pièce questionne le système d’asile européen, implacable avec les réfugiés alors que 80 ans plus tôt, les Européens fuyaient le fascisme et la guerre. Une position peu appréciée par certains critiques de théâtre. Actrice d’En Transit et doctorante en droit international, Khazar Masoumi détaille :

« Pour les critiques de théâtre, de façon consciente ou non, la place des artistes étrangers est de faire pleurer le public européen, comme pour laver leurs consciences de peuple privilégié, mais certainement pas de se montrer critique envers le système qui a pu les accueillir. »

Un système pourtant éprouvé par la comédienne et sa consœur Mahin Sadri. Lors de la création du spectacle en Suisse, elles se sont rendues au consulat français de Genève afin d’obtenir un visa leur permettant de jouer le spectacle en France :

« Pour l’administration et ses critères arbitraires, je suis considérée comme “une bonne étrangère”. J’ai la peau claire pour une iranienne, je maîtrise le français et j’ai un doctorat de l’Université de Strasbourg. La fonctionnaire m’a dit que j’obtiendrais sans souci le visa. En revanche, elle était très méprisante avec Mahin Sadri qui ne parle pas français, allant jusqu’à me demander si elle était vraiment indispensable dans le spectacle. »

Pourtant la pièce En Transit est loin d’être manichéenne. Le personnage du metteur en scène n’est pas vraiment sympathique. De même, l’avocate en charge de la défense des droits des réfugiés joue un double jeu, en faisant parfois passer ses relations avec l’administration avant les intérêts de ses clients.

Extrait de En Transit, Amir Reza Koohestani Photo : Magalie Dougados / doc remis

Une pièce engagée puisqu’elle se charge de poser des questions plutôt que d’y répondre.

Huit femmes et hommes afghans à la rencontre de leur nouveau public

En été 2021, les Américains se retirent de l’Afghanistan, les talibans s’emparent du pouvoir et privent les femmes de leurs droits civiques. Les artistes Narges Ahmadi, Noorullah Azizi, Ahmad Ali Ebrahimi, Bas Gul Karimi, Mohammad Ali Mirzayee, Ali Baba Safdari, Mohammadullah Taheri, Razia Wafaei Zada sont « extradées » en urgence par l’État français avec l’aide de plusieurs théâtres, dont huit structures strasbourgeoises.

Elles vivent depuis lors à Strasbourg où elles peuvent exprimer leurs arts. Samedi 28 janvier, la journée sera consacrée à les rencontrer de manière informelle dans l’enceinte publique du Maillon tandis que leurs propositions pourraient inclure une exposition photographique, une chorégraphie, un concert, des lectures ou des performances… Le programme n’est volontairement pas détaillé.

Coup de projecteur sur des guerrières de l’ombre

En 2018, le metteur en scène et performeur iranien Gurshad Shaheman a présenté sa dernière création à Avignon : Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète. Sa mère et ses tantes viennent assister au spectacle, se retrouvant toutes trois après onze ans d’éloignement. Il s’est inspiré de ces retrouvailles pour écrire un nouveau spectacle, Les Forteresses.

Extrait Les Forteresses, Gurshad Shaheman Photo : Agnès Melon / doc remis

Avec Les Forteresses, il raconte l’histoire de ces trois sœurs dans un décor immersif imprégné de culture azérie. Des tranches de vies qui auraient pu être communes, si elles n’étaient pas nées en Iran dans les années 1950, les plongeant dans une lutte perpétuelle contre les systèmes patriarcaux. Ainsi le récit conte tant leurs destins intimes que leur engagement militant dans la révolution contre le Shah en 1979. À cela s’ajoute la guerre et la souffrance de la séparation suite à l’exil de l’une des sœurs en Allemagne, de l’autre en France alors que la troisième restait à Téhéran.

Utiliser l’intime au théâtre pour raconter l’histoire collective n’est plus une nouveauté, cependant l’artiste réinvente cet exercice en installant directement les concernées sur les planches. Elles sont présentes tout au long de la pièce, pour reproduire des gestes de leur quotidien ou mimer certaines scènes de leur passé, ramenant alors le rire sur scène. Trois comédiennes franco-iraniennes font progresser la narration, en usant de monologues touchants et entremêlés. La musique électroacoustique du compositeur Lucien Gaudon, jouée en direct, accompagne le texte tout au long du spectacle.

Le texte au lyrisme maîtrisé de Gurshad Shaheman, une œuvre personnelle au discours universel, ne manque pas d’émouvoir sans jamais tomber dans le pathos, même lorsque les actes mis en scène sont très graves.

Extrait Les Forteresses, Gurshad Shaheman Photo : Agnès Melon / doc remis

En parallèle des spectacles, l’anthropologue et ethnologue Michel Agier donnera une conférence gratuite et ouverte à tous la notion d’hostipitalité, un néologisme construit par le philosophe français Jacques Derrida, définissant l’union indissociable entre l’hostilité et l’hospitalité et ce qui lui est lié dans les débats publics. Une projection du film documentaire Ma vie en papier de la réalisatrice Vida Dena, sera également organisée à la BNU.


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