Devant les locaux du District d’Alsace de football, à Entzheim mercredi 28 mai, Zoya fait partie des parents de footballeurs amateurs. Ils sont une quarantaine, enfants et adultes, a avoir fait le déplacement pour dénoncer la violence et le racisme sur les terrains et dans les vestiaires.
Elle se souvient d’un match contre le club de Schiltigheim, début mai. Son fils Miqayel, 8 ans et demi, membre de l’équipe de l’ASJK à Koenigshoffen, a fini à terre après avoir été bousculé par un adversaire :
« Les joueurs de l’équipe adverse étaient très agressifs dès le début. L’un d’eux a tapé mon fils brutalement, d’un coup d’épaule. Il est tombé par terre et les coachs ont dû arrêter le match pour contenir l’agressivité des enfants. »

À l’initiative de ce rassemblement, Sid Ahmed Cheaibi, co-président du club de football International Meinau Académie : « La violence grandit depuis plusieurs années, sur le terrain et en dehors. » En avril puis en mai, les arbitres du District ont déjà tenté de faire réagir leur hiérarchie et les clubs suite à des évènements violents, dont des menaces de mort envers l’un d’eux qui a depuis démissionné.
Responsabilité des adultes
Quatre clubs ont répondu à l’appel de Sid Ahmed Cheaibi : l’International Meinau Académie, l’AJSK, le club de la Cité de l’Ill et le Sporting Futsal Strasbourg. Vers 16h, les coachs installent des cages de foot et bloquent l’accès au parking. Trois agents de la gendarmerie encadrent la manifestation. Les responsables sifflent le début de leur rassemblement, qui prend la forme d’un mini-tournoi.
Sur le terrain, l’esprit de compétition échauffe les jeunes sportifs. Devant Miqayel, un des joueurs de la Meinau charrie son camarade en difficulté, de trois ans son cadet. Un autre finit par se moquer de son jeune âge. Sur le trottoir, les entraîneurs encadrent le match. Face à tous les enfants qui les sollicitent, la scène échappe aux adultes.

Parmi eux, un couple d’entraineurs de la Meinau observe la compétition : Roksana et Taregh Baghlani, respectivement 39 et 48 ans. Elle est secrétaire générale du club, lui est coach des U10 (équipe des enfants de 9 ans, NDLR) et responsable des sections U12 et U13.
« C’est le coach qui donne l’exemple aux enfants », déclare Roksana : « S’il ne joue pas correctement son rôle, les enfants se relâchent. » Elle se rappelle d’un évènement qui a eu lieu contre le F.C. Écrivains Schiltigheim-Bisch :
« On menait 5-0, c’était un match amical. L’un de nos joueurs a commencé à accélérer et un joueur adverse lui a tapé dans les pieds. Les enfants ont commencé à s’insulter et le coach, qui était avec moi, m’a menacé d’apporter un pistolet pour régler ses comptes. On a suspendu le match et on est partis. »
Pour prévenir de ce genre d’altercations et montrer l’exemple, Roksana Baghlani a mis en place une stratégie : « Je me mélange au camp adverse et j’encourage les autres enfants, il faut que ça reste un plaisir et pas que de la compétition. »

Le syndrome Mbappé
Comme son épouse, Taregh Baghlani constate lors des matchs que les tensions ne naissent pas uniquement dans les gradins. En 2024, alors que l’équipe des 6/7 ans de l’Inter Meinau jouait contre le club d’Erstein, deux parents auraient perturbé le match. « L’un des joueurs de notre équipe a fait une faute », se remémore l’entraineur :
« Deux parents sont entrés sur le terrain pour protester. Une altercation entre parents a débuté et on a suspendu totalement le match. À cet âge, la durée d’un match est de 12 à 13 minutes, on ne peut pas continuer à jouer alors que des tensions montent à la moitié du chronomètre ».
Pour Taregh Baghlani, ces tensions sont le fruit d’une pression exacerbée sur les enfants :
« Les parents souhaitent que leur enfant devienne le futur MBappé, un joueur professionnel et qu’il leur rapporte beaucoup d’argent. Ce genre de profil est souvent agressif et parfois s’attaque aux décisions des coachs. Selon une formation que j’ai suivie l’année dernière, près de 95% des enfants âgés de 14 ans arrêtent leur pratique sportive à cause de la pression qu’ils subissent. »
« Il y aurait 5 à 10 incidents par week-end sur le terrain selon les chiffres du District », affirme Sid Ahmed Cheaibi.
Le racisme en toile de fond
Sid Ahmed Cheaibi identifie une forme de rivalité entre les clubs des quartiers populaires de Strasbourg et ceux des communes alentours, ce qui amène à des incompréhensions lors des matchs. :
« Lorsqu’il y a des tensions, ce sont toujours les clubs des quartiers populaires qui sont sanctionnés. Ces joueurs sont des jeunes issus de l’immigration, parfois déscolarisés. Et pour eux, on joue parfois le rôle d’éducateurs. Ce n’est pas facile mais on paye entre 15 et 20 000 euros de cotisations annuelles à la Fédération alors on aimerait être aidés. »
Son collègue Nabil Cheriet, président de l’AJSK, constate également des manifestations racistes lors des rencontres :
« L’une de nos joueuses U18 portait un hijab sportif lors d’un match à Wittenheim. Elle a essuyé de nombreuses remarques racistes. À la fin du tournoi, le père de la sportive s’est emporté face à un supporter. Nous avons été pénalisés et les filles n’ont pas pu jouer pendant plusieurs matchs. Actuellement, le dossier est en instruction au District d’Alsace de Football. »
Devant le bâtiment de l’institution, Sid Ahmed Cheaibi et Nabil Cheriet demandent une réaction du président du District d’Alsace de football, Michel Aucourt, et de son vice-président, Roland Mehn. Mais ce dernier a refusé de recevoir une délégation des manifestants et de répondre aux questions de Rue89 Strasbourg.
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