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Forum de bioéthique aux petits oignons, la recette d’un succès

Du 28 janvier au 2 février, le Forum européen de bioéthique investit Strasbourg avec ses 135 intervenants. 6 500 participants lors de la première édition et 9 000 lors de la deuxième l’an dernier : les organisateurs semblent avoir trouvé la bonne recette pour faire choux gras, alors que la bioéthique, ce n’est pas de prime abord un hobby grand public. Le secret : mettre les petits plats dans les grands.

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Forum de bioéthique aux petits oignons, la recette d’un succès

Détail de l'affiche du Forum européen de bioéthique. (Document remis)

Pendant six jours, le Forum européen de bioéthique propose d’analyser « Le corps humain en pièces détachées ». Pour préciser cette métaphore aguichante, Jean-Louis Mandel, son président, écrit :

« En effet, du corps humain, plus rien à jeter : organes malades, urine, sang, cornées, moelle osseuse, sperme, fœtus… tout peut être utilisé, recyclé, mais plus inquiétant, commercialisé sur le marché mondial du kit humain. »

Bref, une aubaine pour la santé, un risque pour l’humain et des conséquences peu mesurées. Avec ce thème, la troisième édition du Forum espère battre son record d’audience de l’an dernier, 9000 visiteurs pour « La famille en chantier ». C’est que l’élitisme, Israël Nisand, vice-président, ne veut pas en entendre parler :

« Le but est d’offrir la possibilité à tout un chacun de s’approcher avec ses propres valeurs de ces questions. C’est gratuit. C’est un cadeau de la collectivité aux Strasbourgeois et aux Alsaciens. »

Un talent de chef cuisinier

« Un filon incroyable » dont il se saisit et qui devient du pain béni. Pour autant, il semble lui-même surpris de son propre succès. Petit tour dans les cuisines du Forum : c’est qu’avant toute chose, Israël Nisand, chef cuisinier, sait profiter de son influence médiatique pour attirer les foules… et le gratin.

« Il y a trois ans, lorsque l’on appelait des spécialistes pour intervenir au Forum, ils étaient surpris et demandaient de quoi il s’agissait. Aujourd’hui, certains viennent spontanément, ce sont eux qui appellent pour participer. »

De plus, côté budget, le Forum a ses biscuits : la ville de Strasbourg – dont Israël Nisand est un élu de la majorité – finance l’événement à hauteur de 100 000 €, la CUS tout autant et la Région Alsace met 50 000 € sur la table. Une belle enveloppe de 250 000 € de subvention suffit à faire bouillir sa marmite.

Bien choisir les ingrédients

Pour que la mayonnaise prenne, Israël Nisand a son astuce :

« On veut éviter de donner l’impression que les universitaires parisiens viennent parler aux benêts. »

Pascal Bruckner, à la recherche du corps perdu (Document remis)

Un savant dosage, donc, entre produits locaux – de l’Université de Strasbourg (UdS) aux Hôpitaux universitaires, on ne manque pas de spécialistes renommés – et têtes d’affiches médiatiques venues de la capitale. Par exemple, le 31 janvier, de 14h à 16h l’Aubette, la rencontre « A la recherche du corps perdu » se penchera sur difficulté de penser le corps, avec le philosophe Pascal Bruckner et le journaliste et universitaire Antoine Spire. Pour la cueillette locale : Marie-Jo Thiel, directrice du Centre européen d’enseignement et de recherche en éthique de Strasbourg (Ceere), Michel Deneken, vice-président de l’Université de Strasbourg, René Gutman, Grand rabbin du Bas-Rhin et Jean-Richard Freymann, psychiatre et président de la Fédération européenne de psychanalyse.

Tous sont briefés : pas d’excès de jargon, discours accessible, 40 minutes maximum et obligation de dialogue avec le public. Garantie, donc : ne pas sortir du festin avec la tête comme une citrouille.

En garant, chaque débat sera suivi et conclu par un « grand témoin » : un auditeur connu, mais pas forcément spécialiste du sujet : Alain Beretz, président de l’UdS, Fabienne Keller, l’ancienne maire de Strasbourg, ou l’actuel, Roland Ries, Najat Valaud-Belkacem, ministre des Droits de femmes…

En faire pour tous les goûts

Pour choisir ces 135 intervenants, le conseil scientifique, conscient de marcher sur des œufs, ratisse large. Lui-même est composé de sensibilités différentes dont Driss Ayachour, vice-président du Conseil régional du culte musulman, le Grand rabbin René Gutman, Christian Kratz, évêque auxiliaire de Strasbourg et Olivier Wang-Ganh Reigen, président de l’Union bouddhiste de France et du Dojo Zen de Strasbourg. Si avec tout ça, le programme ne fait pas consensus !

Odile Bagot, gynécologue et formée en éthique au Ceere strasbourgeois prévient d’un écueil possible :

« On risque de tomber dans le show médiatique, avec, dans l’auditoire, des représentants de courants de pensée extrêmes, fussent-ils conservateurs ou libéraux, qui s’emparent de la scène comme tribune. Le débat éthique ne peut se limiter à l’expression de diverses opinions mais nécessite des règles de délibération et de distribution de la parole, le respect du pluralisme des idées, la solidité de l’argumentation. »

Mais il y aura du débat, assure le comité organisateur, qui ne veut pas traîner ce genre de casseroles. Ainsi le débat du 2 février (de 16h à 18h à l’Aubette), « Louer son corps : la prostitution »,  verra s’opposer des intervenants qui ont peu en commun : Chloé Navarro, déléguée nationale du Syndicat du travail sexuel (Strass) défendra une option libérale de la prostitution face à la strasbourgeois Isabelle Collot, coordinatrice départementale du Nid à Strasbourg, clairement abolitionniste. A leurs côtés : Muriel Salmona, psychiatre et responsable de l’antenne 92 de l’institut de victimologie, Ruth Wolff Bonsirven, pasteure et Grégoire Thery, représentant de la fédération internationale de la ligue des droits de l’Homme (et, accessoirement, secrétaire général du Nid). Bon, en fait, il se pourrait bien que Chloé Navarro se sente un peu seule, mais au moins sa position sera entendue.

Bien faire mousser

Pour assurer une large visibilité de l’événement, les grands acteurs culturels strasbourgeois sont dans le coup : le Club de la presse est partenaire, la librairie Kléber accueille des débats. Le Maillon et le TJP proposent des pièces de théâtre dans le cadre de la partie culturelle du Forum. Notamment « This is how you will disappear », une réflexion sur l’instinct, la beauté, l’ivresse et le rapport charnel au monde. A voir au Maillon Wacken, le 30 janvier à 20h30.

L’Odyssée projette aussi, le 1er février à 20h, le documentaire sur la route du transhumanisme, aussi flippant que brillant de Philippe Borel : « Un monde sans humains ». Extrait :

De plus, les médiathèques de la CUS proposent une sélection de 50 livres qui interrogent l’éthique et les nouvelles technologies. Histoire de bien préparer ou d’approfondir les sujets abordés dans le cadre du Forum.

Par ailleurs, l’Académie de Strasbourg n’est pas en reste. Quinze établissements participent au Forum des jeunes, avec des prises de parole, des articles de lycéens et une exposition d’œuvres à la Région Alsace. Manière aussi de sensibiliser les plus jeunes… et de drainer leur famille.

Côté médias, les DNA offrent un large relais. Notamment avec la parution avant-hier d’un supplément spécial de quinze pages. Et nouveau venu dans la liste des partenaires cette année : France Culture assure plusieurs émissions depuis le Forum. Là, il faut dire que ça en jette.

Ne pas oublier les épices

Pour éviter le caractère ronflant des spécialistes qui viendraient se gausser entre eux tout en laissant quelques miettes de leur savoir aux pécores, le Forum rajoute une pincée d’originaux. Le 31 janvier, de 18h à 20h à l’Aubette, la rencontre « Mon corps, mon image, jeux d’identités » opposera l’artiste plasticienne qui fait œuvre de son corps ORLAN et le jeune Strasbourgeois transformiste Logan au pédopsychiatre Marcel Rufo, à l’anthropologue David Le Breton. Entre eux, cerise sur le gâteau : le chirurgien esthétique Jean-Claude Guimberteau et le directeur du Théâtre Jeune Public de Strasbourg Renaud Herbin.

La matière de l'oeuvre d'ORLAN: son propre corps. (Document remis)

Sans oublier de saupoudrer le tout d’un peu de tendresse : le 30 janvier, de 16h à 18h à l’Aubette, Marc Merger et Angèle Liéby sont invités au débat « Suis-je un corps, suis-je mon corps ? ». Le premier raconte comment il a donné son corps paraplégique à la science dans le livre « Lève-toi et marche ». La seconde, à travers un autre livre, « Une larme m’a sauvée », relate l’histoire de son coma, puis de sa paralysie totale au point de ne pouvoir bouger un cil… Mais elle entendait tout. Y compris lorsque les médecins l’ont prise pour morte et conseillé à sa famille de la débrancher.

Qui a dit que les épinards n’étaient pas bons ?

Il est vrai que de prime abord, le mot bioéthique sonne un peu comme une punition, lorsqu’il s’agit d’aller voir un débat après une lourde journée de travail. Un peu comme les épinards à la cantine. Sauf qu’en feuilleté avec de la feta, ça passe déjà mieux. Et c’est bon pour la santé. Alors, si la bioéthique, c’était plus bandant que ça en a l’air ? Le Forum a déjà réussi à le prouver les deux dernières années. Le programme 2013 est aussi concocté avec soin. Parce qu’au fond, l’état actuel du progrès scientifique concerne nos vies et nos corps, si bien que personne n’est à l’abri de certaines questions sur le monde post-humain qui pourrait nous attendre, les greffes, le don qui n’est pas à l’abri du trafic d’organes, la surveillance par la biométrie médicale,  l’humain comme cobaye… Qu’on le veuille ou non, ces questions font partie de notre temps.

Y aller

Forum européen de bioéthique, du 28 janvier au 2 février à Strasbourg (Aubette et librairie Kléber). Gratuit. Programme, intervenants et infos pratiques sur le site du Forum.


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