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Froufrous, corsets et paillettes : quand Strasbourg s’effeuille

De Vegas à Munich en passant par Bruxelles ou Londres, les Pin-up d’Alsace participent aux plus grands festivals burlesque. À Strasbourg, les femmes sont nombreuses à suivre leur exemple et à se laisser tenter par l’effeuillage. Mais qu’on ne s’y trompe pas, c’est avant tout par coquetterie personnelle et non pour séduire ces messieurs.

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Cours de Luna Moka

Cours de Luna Moka
Les élèves de la Luna Moka burlesque school présenteront leur numéro le 13 juin, durant la Guinguette du Rhin. (Photo : Rue89 Strasbourg / ACG)

Dans une salle de danse de la Meinau à Strasbourg, une dizaine de filles en robe noire, talons, collier de perle et accessoires dans les cheveux répètent leurs pas de danse sur un fond de rock. « C’est en huit temps, pas en quatre », corrige Luna Moka, « pendant le charleston regardez à gauche ». La Luna Moka Burlesque school fête ses cinq ans. À son ouverture, en 2010, cela relevait du pari : rien de tel n’existait encore dans l’Est de la France.

Claire, plus connue sous le nom de Luna Moka, avait découvert le burlesque, cet art de se déshabiller de manière glamour et amusante, durant ses années passées à Londres. Après avoir pris des cours à l’école des Filles de Joie de Juliette Dragon  à Paris, elle ouvre sa propre école en Alsace. Une quinzaine d’élèves, des filles de 25 à 55 ans, suit régulièrement les cours, sans compter les stages que propose l’effeuilleuse.

La vitrine glamour de l’Alsace

Les Pin-up d’Alsace revendiquent leur attachement à leur région, posant volontiers avec la coiffe alsacienne. Présentes à de nombreux événements, elles participent notamment chaque année à la Foire aux vins de Colmar. Un moyen de donner une nouvelle image à la région, loin des clichés. « On veut montrer le côté glamour de l’Alsace, pas à la Jean-Pierre Pernaut avec l’accent », plaisante Coco das Vegas. Elle a d’ailleurs tenu à faire un clin d’œil à l’Alsace jusque dans son nom de scène, avec le « das » en référence alsacienne. Ruby Schatzi a, elle, tiré son surnom d’une chanson intitulée « Schatzi schenk mir ein Foto ».

Les Pin-up d’Alsace affirment que Strasbourg est devenue la deuxième capitale du burlesque en France, derrière Paris. Lorsqu’elles se comparent aux autres effeuilleuses, elles assurent qu’elles sont beaucoup plus détendues. Selon Coco, « elles sont trop sérieuses, les Parisiennes, elles répètent à fond ! ».

Ruby Schatzi
Ruby Schatzi aime l’Alsace et veut sortir sa région des clichés. Par fierté, elle aimerait un jour pouvoir parfaitement parler alsacien. (Photo ACG / Rue89 Strasbourg)

Pin-up et burlesque ne vont pas toujours de pair. Être une pin-up, c’est avant tout un look, celui de la femme fatale des années 50 : rouge à lèvre, cheveux parfaitement travaillés, robe et talons. Mais Coco das Vegas, Lemm Rollicking, Luna Moka et Ruby Schatzi, les quatre Pin-up d’Alsace, oscillent entre burlesque et pin-up. Tant et si bien qu’à Strasbourg, les deux semblent intimement liées. Pourtant, même parmi les filles, certaines se sentent plus effeuilleuses que pin-up.

Luna Moka a importé le burlesque à Strasbourg et se considère avant tout comme une performeuse. La pin-up n’est que l’un des rôles qu’elle joue sur scène :

« Dans la vie de tous les jours, je ne m’habille pas comme ça, je ne mets pas de talons mais des bottes et puis je suis plutôt du genre à écouter de l’électro. »

Luna Moka
Luna Moka ne se cantonne pas aux classiques du burlesque, elle aime aussi se rapprocher d’un univers plus sombre. (Photo ACG / Rue89 Strasbourg)

Luna Moka : effeuillage revisité, âmes sensibles s’abstenir

Surtout connue pour ses prestations d’effeuillage, Luna aime changer de registre. Lors d’un spectacle éclair à la Popartiserie mi-avril, la voilà dans un univers sombre, loin des classiques du burlesque. Bougies, prie-Dieu et ambiance tamisée : Luna Moka entre vêtue d’une robe blanche, un voile cache ses yeux, sa tête est ornée de fleurs.

Dans son cou sont plantées deux aiguilles qu’elle retire. Quelques cris de douleur se font entendre dans le public. Mais même dans ces numéros, l’effeuillage reste présent en filigrane. Enlevant sa robe, la voilà presque nue. Saisissant les bougies les unes après les autres, elle déverse la cire sur son corps, laissant les spectateurs sans voix.

Coco das Vegas
Robe, talons, rouge à lèvre et regard félin : Coco a tout de la pin-up, elle en a fait son mode de vie.  (Photo ACG / Rue89 Strasbourg)

Au contraire, Coco das Vegas et Ruby Schatzi sont deux pin-up dans l’âme. Dans la rue, elles attirent tous les regards. Robe à fleur jaunes, boucles d’oreilles assorties et petits talons, le charisme de Coco fait tourner les têtes. Ses tatouages et son franc-parler détonnent avec son look. Enfant, son rêve était déjà de devenir danseuse, elle se voyait au Moulin rouge ou au Crazy Horse.

Mais elle a dû se faire une raison, « je n’avais ni les mensurations, ni le niveau », explique-t-elle. C’est en s’inscrivant au cours de Luna Moka que tout a débuté et qu’elles en sont venues à former les Pin-up d’Alsace. Elle s’amuse de pouvoir faire de l’effeuillage :

« Le côté glamour excuse vachement : on se fout à poil, quand même ! Tout le monde aime le strip-tease, et là, c’est du strip-tease rétro. La différence, c’est qu’on les taquine, mais on ne les excite pas, il y a beaucoup de ridicule, d’autodérision. »

La revanche des filles pulpeuses

La mode des années 50 revient aussi dans les boutiques : ici une robe à pois, là un chemisier, ailleurs de petits talons. Coco das Vegas repère immédiatement les inspirations des années 50 : « tiens, une robe de pin-up », remarque-t-elle alors qu’une jeune femme en robe crayon à carreau passe dans la rue. Julie Gless est maquilleuse professionnelle et propose des ateliers pour se maquiller comme une pin-up. Selon elle, le retour en force de cette mode s’explique par l’envie des femmes de s’assumer comme elles sont :

« Je pense que les femmes en ont un peu assez de la mode androgyne, des vêtements informes, elles ont envie d’être des femmes, et même des femmes un peu pulpeuses. Elles ont besoin de reprendre confiance en elles, certaines viennent de divorcer, d’autres ont tout juste accouché. La vie de beaucoup de femmes est encore influencée par celle de leur conjoint, elles ont besoin de se lâcher : elles se font plaisir avec du maquillage ou des vêtements. »

« Tu peux faire un 34 ou un 52, il n’y a pas de codes »

Les shows des Pin-up d’Alsace attirent en moyenne 120 personnes, de quoi faire des émules parmi le public en majorité féminin. Les effeuilleuses sont avant tout des femmes comme les autres, voilà ce qui plait tant d’après Coco :

« Elles se disent “tiens, elle a un peu de bide, elle a de la cellulite…” Du coup elles ne font pas de complexes ».

Les Pin-up ne correspondent pas aux critères des magazines de mode. « Tu peux faire un 34 ou un 52, il n’y a pas de codes », insiste Ruby Schatzi. C’est l’une des raisons qui a poussé Gaëlle, une strasbourgeoise de 28 ans, à s’inspirer de la mode des années 50. « Je ne suis pas toute fine, mais comme les robes sont resserrées sous la poitrine ça me correspond bien. » Mais pour elle qui admire les Pin-up d’Alsace, l’effeuillage reste une étape qu’elle ne se sent pas prête à franchir.

À 36 ans, Françoise, dite Cracotte, a franchi le pas vers le monde du burlesque. Pour elle, les cours de Luna Moka sont une manière de faire un peu de sport et de se sentir femme :

« On n’est pas ridicules, on est jamais critiquées parce qu’on est grosses, maigres, petites, grandes… Et puis, c’est bien de pouvoir mettre des culottes très sexy ! »

Un art aux vertus thérapeutiques

Au départ, Luna Moka elle-même avait entamé le burlesque pour vaincre sa timidité :

« Maintenant quand je donne des cours, je le ressens vraiment comme une thérapie pour certaines femmes. »

Dans la salle de danse de la Luna Moka burlesque school, un panneau noir est accroché au mur avec l’inscription : « Toutes les femmes sont belles ». Tania, 25 ans, semble à l’aise et confiante dans sa petite robe noire à franges. Pourtant cette webdesigner n’était pas de celles à vouloir se faire remarquer avant de débuter les cours de Luna:

« Ça aide à prendre confiance en soi, à être aussi nous-mêmes dans la vie de tous les jours. Depuis que je me suis inscrite aux cours, je mets des robes, avant je n’en mettais quasiment jamais et puis maintenant je me maquille beaucoup plus, j’ai moins peur. »

Apolline, pin-up 19 ans
Apolline, étudiante en école d’infirmier à Colmar, rêve de pouvoir un jour intégrer l’école de Luna Moka. (Photo ACG / Rue89 Strasbourg)

À 19 ans, Apolline n’est pas de la génération qui a grandi dans le monde du rockabilly ou des pin-up. C’est en découvrant une affiche des Pin-up d’Alsace qu’elle a commencé à s’intéresser à cet univers. Dès qu’elle le peut, elle assiste aux spectacles ou participe à des ateliers maquillage :

« Je suis quelqu’un d’assez timide, pas forcément à l’aise dans mon corps, je pense que c’est quelque chose qui doit aider à se sentir bien. Les pin-up ce sont des filles pulpeuses qui ont des formes. Une pin-up pour moi c’est une femme qui s’assume, qui s’aime. »

Les repères des effeuilleuses strasbourgeoises

Il est rare de croiser les Pin-up d’Alsace au détour d’une rue. Discrètes, elles sont surtout prises par la préparation des chorégraphies, des costumes… Mais elles ont tout de même leurs bonnes adresses : souvent au Wawa ou au Troquet des Kneckes pour boire un verre. Pour trouver Ruby Schatzi, direction What the cake pour une part de tarte dans une ambiance rétro et kitsch.

Lady Mistigris
Le repère burlesque à Strasbourg se trouve chez Lady mistigris : corsets, serre-taille, culottes hautes et nippies. (Photo : Rue89 Strasbourg / ACG)

Si les filles commandent beaucoup sur internet pour créer leurs tenues, elles se retrouvent souvent chez Lady Mistigris, où elles dénichent un corset, un serre-taille ou de la lingerie. Hasard ou coïncidence, cette boutique nichée à la Krutenau a ouvert ses portes au moment où Luna Moka installait son école à Strasbourg. Ce qui a le plus fait parler à l’ouverture du magasin : les nippies, l’accessoire burlesque par excellence.

« On ne se sent pas nue avec des nippies »

En forme de cœur, d’étoile, avec des strass ou des pompons, ces cache-tétons permettent à l’effeuilleuse de garder encore quelques secrets. Historiquement, ils permettaient aux effeuilleuses d’éviter d’être interpellées par la police : dans les années 50, il leur était interdit de montrer leur poitrine nue. Depuis, c’est resté. Ruby Schatzi se souvient de son tout premier spectacle :

« J’y avais mis beaucoup de danse. Je réfléchissais à tout, j’ai enlevé ma jupe et puis j’enlève mon haut pour la première fois. C’était naturel, mais au moment où c’était fini et où je devais rester devant le public qui applaudi, je me suis dit “eh mais t’es seins à l’air là”.  Les nippies, c’est tout petit, mais on ne se sent pas nue. »

Pour assister à leurs performances à coup sûr, les filles ont leurs rendez-vous. Du mercredi au samedi, les pin-up dansent au restaurant Papa rock stub, à Illkirch, dans une ambiance rockabilly. Dans un registre plus burlesque, le bar Les Aviateurs organise un bingo burlesque chaque premier mercredi du mois. Le principe : une grille de bingo géante posée au sol, des filles qui s’effeuillent et des vêtements qui tombent sur les numéros gagnants.

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