Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

À la galerie de la Chaufferie, divagations éphémères autour du Rhin et de la nature

Jusqu’au 7 janvier à la galerie de la Chaufferie à Strasbourg, sept artistes du pays rhénan partagent leur pratique vivante et singulière en une exposition éphémère. En collaboration avec des élèves de la Haute école des arts du Rhin, l’exposition teste la nature et propose des oeuvres temporaires, car vivantes.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.

À la galerie de la Chaufferie, divagations éphémères autour du Rhin et de la nature

L’exposition « Eau de là et autres arpentages » s’inscrit dans le projet transfrontalier Regionale24. Elle témoigne d’une rencontre poétique entre trois pays autour du Rhin, commun à la France, à l’Allemagne et à la Suisse. Que faire autour de ce vaste fleuve ? Dans une optique biorégionale, les étudiants en « design réhabitant » de la Haute école des arts du Rhin (Hear) ont arpenté ses horizons autour des oeuvres de sept artistes du pays rhénan.

Arpenter, marcher, mesurer, analyser et parcourir. L’artiste strasbourgeoise Jade Tang s’inspire de la nappe phréatique lorsque Marion Neumann, documentariste allemande, plonge dans les grandeurs souterraines du mycélium. Guidés par ces artistes, les travaux des étudiants réunis à la Chaufferie offrent au regard le ciel, l’eau et la terre, avec toujours la volonté d’un ancrage au sol, au plus proche de ses ressources. 

Interroger le vivant, renouer avec le mycélium

Le mycélium est le plus grand organisme vivant au monde. Il correspond à la partie souterraine du champignon et est constitué de filaments. Sa puissance amène à parler de « royaume fongique », une notion explorée par l’artiste Marion Neumann.

Sa vidéo, extraite de son film The Mushroom Speaks (2021), dévoile l’étendue des capacités du mycélium. Qualités gustatives, thérapeutiques, spirituelles… Il irait jusqu’à transformer les déchets toxiques et se recycle pour l’occasion en divers objets – en cendrier par exemple.

Non loin de la projection du documentaire scientifique et artistique, les expérimentations des étudiants jonchent les tables. Des récoltes de champignons, des spores, des empreintes et plusieurs ouvrages plongent les visiteurs dans cet univers souterrain. Toute une culture va continuer à se développer et pousser au fil de l’exposition.

Au premier étage de la galerie, les travaux présentés s’interrogent : comment montrer une recherche ? Étape par étape, pour étudier la métamorphose des matières, Jade Tang collecte des photographies de fouilles et cherche à donner forme à ses archives. Le résultat de ses investigations tapisse les murs. Pour l’accompagner, les étudiants ont créé des cartes mentales afin de lier les différentes recherches et des plans pour marquer les lieux explorés.

Utilisés pour la communication de l’exposition, les collages de Ruben Gray font écho à ces recherches et à ces expérimentations. L’artiste assemble l’inassimilable et combine les opposés. Un miroir qui incite à réfléchir à la manière d’associer l’humain au non-humain et à créer le lien entre des sujets qui ne se rencontrent sinon jamais. 

Un lieu où tout est éphémère 

« La capacité des artistes à laisser disparaître les choses est très importante pour moi. C’est fondamental de montrer que nous sommes de passage », explique Béatrice Josse, commissaire de l’exposition. Les photographies de Capucine Vandebrouck, réalisées à partir de jus végétaux, résonnent avec cette idée.

Appelées « anthotypes », deux images centrales montrent des nuages jaunis par le produit qui les révèle. Et comme pour regarder le ciel, il faut lever les yeux pour les apercevoir. Paradoxe poétique, la lumière qui a fait apparaître ces images les fera progressivement disparaître. Une deuxième série d’anthotypes expose une « forêt ivre » canadienne et participent à l’ambiance naturelle de l’exposition. De loin, on y verrait presque des gravures brunâtres. 

Lisa Wintermantel, artiste multidisciplinaire basée à Berlin, extrait elle aussi du jus végétal. Grâce à l’églantine, inspirée par son jardin, elle teinte un tissu neutre devenu rose. Placé au-dessus d’une soufflerie, il se transforme en tapis volant.

Juste à côté, un entrelacs de branches de roses et de mûres descend du plafond. Bien qu’elle les sculpte à sa façon, l’artiste tente de suivre les lignes offertes par les branches car, d’après elle, « la nature fait ce qu’elle veut ». L’assemblage des tiges avec des agrafes provoque alors une fragilité paradoxale. En produisant cette pièce, Lisa ne connaît pas sa forme finale à l’avance. Les branches vont évoluer durant l’exposition, laissant tomber, quelques fois, des épines ou des feuilles. 

Vue de l’exposition « Eau de là et autres arpentages »Photo : Lisa Christ

Voués à s’effacer, les mots du suisse Dario Zeo écrits à la craie se répandent jusqu’à l’extérieur. Fil rose autour des mot-clés de l’exposition – « magique » et « eau » – il en propose des synonymes éloignés et les transforme.

Au-delà des murs

Entre le mycélium, l’eau et la disparition, « Eau de là et autres arpentages » embarque son public dans une expérience des sens, entre odeur du mycélium, sonorités de la vidéo, images, mots et épines.

Benno Blome, à l’origine de la fresque de l’exposition, incite à « voir au-delà du mur, au-delà du paraître ». Ses lignes tremblantes s’imbriquent et forment leur propre alphabet, inspiré des mouvements de l’eau du Rhin. Donnant à voir un équilibre instable, l’artiste cherche à ouvrir un espace derrière le mur. 

« Eau de là et autres arpentages » stimule les sens de ses visiteurs et ouvre à des questions profondes et subjectives : Comment ré-habiter le monde ? Co-habiter avec le vivant ? Quel est le pouvoir de ce vivant, parfois si petit, sur l’impermanence des œuvres ? Mettant en doute les perceptions, les installations invitent à être plus attentifs à l’invisible.

Elles rendent aussi compte de l’urgence. Depuis cinq ans, les expositions autour du vivant témoignent de la nécessité d’y sensibiliser le public. Elles donnent aux artistes le rôle que leur attribue Béatrice Josse, celui de « raconter une autre histoire pour la faire changer ».


#culture

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles

Autres mots-clés :

Plus d'options