Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Après le GCO, le village de Duppigheim est menacé d’être enclavé

Située au coin de l’aéroport, de l’A35, du GCO et de futures zones d’activité découlant de ces infrastructures, Duppigheim redoute d’être complètement encerclé. Le nouveau maire tente d’alerter, tandis que le projet d’une route supplémentaire vers l’aéroport fait l’objet d’un réexamen par la CEA et l’Eurométropole.

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Après le GCO, le village de Duppigheim est menacé d’être enclavé

C’est l’une des conséquence indirecte du Grand contournement ouest (GCO – voir nos articles) de Strasbourg. Dans les villages bordées par la future autoroute, des habitants insatisfaits par la direction que prend leur cadre de vie ont monté des listes aux élections municipales de 2020 face à la majorité sortante. Et certaines l’ont emporté comme à Duppigheim, aux portes de l’Eurométropole. Dans cette commune de 1 600 habitants, le maire André Berthier était en place depuis 1983. Il avait passé la main, mais le reste de son équipe a été battue.

Dans la salle du conseil municipal où il reçoit, le nouveau maire Julien Haegy liste les projets qui entourent sa commune. À l’Ouest, les premiers kilomètres du GCO, une section gratuite de 2,5 kilomètres. À l’Est, l’aéroport d’Entzheim. Au sud, l’A35… Le village de Duppigheim est bientôt cerné sur trois côtés par des infrastructures bruyantes et polluantes.

Le village de Duppigheim est bordé à l’ouest par le GCO et au sud par l’A35. Photo : tracé Google Earth / Socos

Zones d’activités et route au nord

L’emprise de l’extension possible sur les terres agricoles de la zone d’entreprises de la Bruche, au nord de Duppigheim et de Duttlenheim. (doc CC-Molsheim)

À cela s’ajoute d’autres aménagements. Initialement prévue à Pfulgriesheim, l’aire de services de 7 hectares a été déplacée au nord de Duppigheim. Il se niche dans le diffuseur qui dessert le parc d’activités économiques de la Bruche. Cette zone industrielle est d’ailleurs aussi destinée à s’étendre vers l’ouest par tranches de 10 hectares, sous le nom d’Activeum.

« On ne se plaint pas de nos industries qui ramènent de l’emploi », précise l’élu de 43 ans. Il s’inquiète justement de « l’exposition au bruit et à la pollution » des travailleurs, alors que le GCO traverse la zone en son milieu. « Cette section est surélevée ce qui facilite la propagation du bruit, contrairement à Vendenheim où la section est enterrée et couverte ».

Le GCO traverse la zone industrielle de la Bruche. Des murs acoustiques ont été apposés. (Visualisation XO3D pour Arcos / Vinci)

Une aire de service près du village

Sur l’aire de service, « on n’a pas d’étude d’impact » déplore-t-il, alors que le permis de construire a été déposé en décembre. Un manque qu’avait épinglé l’Autorité environnementale en 2018 (page 25). L’institution indépendante relevait qu’il fallait évaluer le « supplément d’activité induit ». Julien Haegy s’inquiète de l’insécurité du parking librement accessible, notamment pour les collégiens, ainsi que du bruit des camions frigorifiques stationnés la nuit « à 200 mètres des premiers logements et 250 mètres d’une crèche ».

L’aire de service est matérialisée par l’espace gris à gauche, près de Duttlenheim.Photo : Visualisation XO3D pour Arcos / Vinci

Enfin, plein nord, un projet de route de 3 kilomètres entre la sortie du GCO et l’aéroport l’inquiète tout autant. Surtout qu’elle pourrait desservir deux autres zones d’activité, notamment de logistique, côté nord Est, à l’aéroport, ainsi qu’à Hangenbieten.

« En termes d’enclavement, je ne vois pas ce que l’on peut faire de plus », conclut le nouvel édile :

« J’ai l’obligation de protéger mes habitants, je ne peux qu’alerter sur le risque d’exposition multi-facteurs sur lequel nous ne sommes pas assez informés. Nous ne sommes associés à aucune concertation. Les décideurs ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas. »

La nouvelle municipalité a inscrit 40 000 euros dans son budget pour une campagne de mesure de la pollution, à confier à Atmo Grand Est. Le contrat du GCO prévoit une station fixe à Vendenheim, là où l’autoroute passe au plus près des habitations, et plusieurs campagnes de mesures à Breuschwickersheim. Mais pas à cette entrée sud, où le trafic escompté est pourtant plus élevé en raison des kilomètres gratuits. Le maire propose de baisser la vitesse à 90 km/h et 80 pour les poids-lourds (contre 110 sur tout le GCO), mais n’a pas encore obtenu de réponse de la préfecture.

Le maire de Duppigheim veut alerter sur le développement autour de sa commune. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Selon le premier magistrat de Duppigheim, il faut a minima avoir plusieurs années de recul sur l’impact du GCO avant d’engager les travaux pour la route supplémentaire vers l’aéroport.

« Une idée des anti-GCO »

« Ce sont les anti-GCO qui m’ont donné l’idée en 2017 », glisse avec malice Frédéric Bierry (LR), le président de la Collectivité européenne d’Alsace (CEA). Non-convaincu par l’effet du GCO, il s’était intéressé à leurs propositions pour désengorger l’A35. À un détail près, que les militants imaginaient alors un monde sans GCO.

Parmi leurs solutions, faire de l’aéroport d’Entzheim un pôle multimodal, c’est-à-dire un parking-relais avec le TER, qui avec sa bonne fréquence permet de relier la gare de Strasbourg en 8 minutes. Certes l’aéroport est accessible par le sud et l’A35, « mais une fois dans le bouchon à Geispolsheim, on ne revient pas en arrière vers un parking relais », estime Frédéric Bierry. Le Département du Bas-Rhin, devenu CEA, est responsable des travaux.

Plan schématique de la route entre le GCO et l’aéroport.

Bien que ce projet a peu de rapport avec « l’accessibilité de la capitale européenne », il est inscrit dans le contrat triennal 2018-2020. Cette route à 5 millions d’euros est co-financée à parts égales avec l’État, la Région Grand Est et l’Eurométropole. En 2019 encore, la mise en service est espérée pour l’été 2022. Mais le projet a peu avancé depuis et seuls 500 000 euros sur les premières études ont été engagés. Les acquisitions des terrains n’ont pas été menées.

Cette liaison est mentionnée dans la communication du « Skypark » d’Entzheim. En manque de passagers depuis 2008, l’aéroport cherche à « diversifier » son modèle économique et se reporte sur le fret de marchandises et l’immobilier d’entreprise. Côté Duppigheim, 14 hectares sont destinés à des nouvelles entreprises, 7 pour de la logistique, 3 pour de l’aviation d’affaires et des activités « aéro-industrielles et commerciales » et encore 4 pour une centrale photovoltaïque le long de la piste d’envol.

La route vers le GCO figure dans la communication de l’aéroport aux côtés des réserves foncières pour des entreprises. (document aéroport de Strasbourg)

L’Eurométropole attend le résultat d’études pour se prononcer

Entre temps, il y a eu les élections municipales de 2020 et les points de vue ont changé du côté de Strasbourg et l’Eurométropole. « Je sens que le mot route pose problème », conçoit Frédéric Bierry.

En effet, la présidente de l’Eurométropole, Pia Imbs (sans étiquette), estime qu’il est temps « d’objectiver le débat » :

« Nous allons réinscrire les études dans le prochain contrat triennal. Il faut se demander quel sera l’impact sur le trafic du GCO, de l’A35 et de la RN4, quel sera l’impact sur l’Environnement et pour les zones d’activités actuelles mais aussi futures. Il faut attendre ces résultats pour se positionner. »

La maire de Holztheim, une commune proche de l’aéroport « déjà bien desservi », pointe qu’un nouveau parking sera livré ce printemps à la gare TER d’Entzheim « victime de son succès ». Avec le « RER métropolitain », le nouvel exécutif et la Région Grand Est veulent améliorer le cadencement de trains régionaux sur cet axe.

Des arguments qui semblent avoir trouvé une forme d’écho chez Frédéric Bierry, qui a ajouté une touche écologiste à sa palette depuis 2020 (« Je ne veux pas laisser de dettes aux générations futures, qu’elles soient financières, mais aussi écologique », répète-t-il désormais). Même si le projet « le long de la voie ferrée » a été « validé en son temps » et ne présente pas « d’impact environnemental majeur » selon lui, il s’accorde à dire qu’il faut prendre le temps de l’analyse :

« Il faut affiner les études et être attentifs. J’y vois des atouts pour l’accessibilité du territoire, mais il faut que le projet fasse consensus. S’il s’avère que ce n’est pas une bonne idée et qu’il y a des nuisances, je ne serai pas dogmatique. »

L’élu bas-rhinois parle d’une réalisation au plus tôt sous 3 ans, en 2024. L’agence Atmo Grand Est indique ne pas encore avoir conduit de travaux sur les projections de pollution liés à ce projet routier.

Le coût en question

Autre détail non-négligeable dans la discussion, le coût est désormais estimé à 10 millions d’euros minimum. En cause, un passage à niveau avec la voie ferrée à sécuriser à Hangenbieten. « Qui paiera la différence ? La CEA ou l’Eurométropole puisque c’est sur son territoire ? », interroge Pia Imbs.

« Ce serait bien que pour une fois, ce ne soient pas seulement les arguments financiers qui comptent. On continue dans la même lignée d’un développement tout-routier, là où d’autres pays mettent les marchandises sur rail », espère Monique Mebs, trésorière de l’association Duppigheim Qualité de Vie (DQV), présidée par… le maire Julien Haegy, qui cherche à passer la main.

D’autres projets pour Duppigheim ?

Spectateur de ces arbitrages qui relèvent d’autres institutions, Julien Haegy multiplie les courriers à leur destination. Il imagine d’autres développements pour sa commune. Il aimerait « rétablir des corridors écologiques » du nord au sud entre les arbres le long de l’Altorf et de la Bruche. Ces arbres serviraient entres autres à atténuer le bruit et la pollution des autoroutes et de l’aéroport. Dans l’idéal, il aimerait aussi reconvertir l’ancienne base aérienne et le dépôt de munitions en parcours de santé végétalisé.

Il rappelle qu’au nord-est de Duppigheim, l’entreprise Lohr possède des terrains réservés pour une éventuelle extension. Elle n’a pas prévu de les utiliser pour l’instant, mais les transports sont « un secteur d’avenir ». « L’entreprise est à l’écoute sur les enjeux de consommation de terres », estime-t-il après les avoir rencontré. Une perspective qui lui plait davantage qu’une « grand plateforme logistique à l’entrée de Strasbourg ». Il vient de donner un avis défavorable à l’implantation de Bolloré Logistics au Skypark « si les véhicules venaient à transiter par le ban communal de Duppigheim ». « Les habitants plébiscitent les pistes cyclables et des solutions stationnements couplés à une bonne desserte de TER. Encore 77% des habitants de la communauté de communes de Molsheim-Mutzig se déplacent en voiture tous les jours pour aller au travail », pointe-t-il en se basant sur a dernière étude des mobilités dans le département de l’Adeus.


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