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Le grand écart de Coco Das Vegas, féministe et pin-up

Depuis 2014, la pin-up Coco Das Vegas organise le Elsass Rock and Jive Festival, qui célèbre la culture rock’n’roll des années 50 à Illkirch-Graffenstaden. Elle répond à Rue89 Strasbourg sur les contradictions entre le féminisme et certains clichés qui peuvent être véhiculés par sa pratique.

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Le grand écart de Coco Das Vegas, féministe et pin-up
Coco Das Vegas sur scène.

Depuis 2014, Coco Das Vegas transforme la salle de spectacle de l’IIlliade et ses abords en boulevard hollywoodien traversé par des Ford Mustang, des Cadillac et des Chevrolet. Le Elsass Rock and Jive Festival célèbre la culture rock’n’roll des années 50 à Illkirch-Graffenstaden.

Rue89 Strasbourg a rencontré cette célèbre pin-up (représentation de femme en pose « sexy ») alsacienne sur le site du festival, alors en plein préparatifs. Danseuse burlesque, meneuse de revue pour son groupe les Pin-up d’Alsace, et speakerine sur les salons vintage, elle s’est créé une place dans le milieu depuis la création de son personnage en 2011.

Sur le chantier du festival, elle se présente en blouse bleue de travail, affublée d’un t-shirt floqué « Alsace Airlines ». Coralie, 41 ans, dirige avec ardeur le montage des scènes, installe les affiches et donne les dernières directives… Dans quelques jours, elle troquera ses vêtements de bricoleuse pour une jupe virevoltante et les talons hauts de son personnage Coco Das Vegas. Icône féministe et sex-symbol dans une société patriarcale, le concept des pin-ups fait face à ses propres contradictions.

Coralie au montage du Rock and Jive festival. Photo : Lucile Vitrac / Rue89 Strasbourg / cc

Une volonté d’émancipation

La danse burlesque est une performance de strip-tease dansé et mis en scène de manière comique, désinvolte et sensuelle. Coco Das Vegas tient une belle formule pour la résumer : « C’est l’art de s’effeuiller avec humour et glamour ».

Cette danse, pour l’ancienne coach sportive strasbourgeoise, est un moyen de revendiquer sa liberté et son indépendance par la maîtrise de son corps. En tant que meneuse de revue, Coco Das Vegas anime et met l’ambiance dans la salle. « Si on manque de respect aux filles, j’arrête tout de suite le spectacle », commente la danseuse :

« C’est arrivé plusieurs fois, notamment une fois à la Foire aux vins de Colmar et une autre lors d’une représentation en Lorraine. Cette dernière soirée se présentait mal dès le début. Le DJ entrecoupait la musique par le slogan publicitaire “Mmmh Charal”. La soirée a atteint son paroxysme avec un type ivre qui a crié à plusieurs reprises dans la salle, “grosses putes”. Alors je l’ai fait monter sur scène et toute la salle lui a renvoyé le compliment. »

Mais ce genre d’interactions négatives sont rares car le milieu est devenu essentiellement féminin. Coco Das Vegas revendique un public bienveillant, composé à 80% de femmes. Pourtant, les pin-ups dans l’Histoire ont été façonnées pour plaire au regard masculin. À l’origine, ce sont des femmes qui posent de manière aguicheuse, sur une image qu’on peut accrocher au mur (d’où leur nom). Ces représentations se sont répandues dans l’armée américaine à partir des années 40. Avec le temps, le modèle de la pin-up a évolué selon Coco Das Vegas :

« Au départ, la pin-up était un modèle d’hypersexualisation. Quand le porno s’est banalisé dans les années 80, les pin-ups sont devenues trop prudes, plus suffisamment érotiques pour les regards masculins. À nos spectacles, il y a très peu d’hommes, ce sont les femmes qui se projettent en nous, qui aiment notre art et que l’on divertit. »

Inclusion et « body positive »

Coco Das Vegas trouve l’esthétique vintage « fraiche et joyeuse ». Mais elle a la volonté de porter des valeurs plus contemporaines. « Dans la sphère pin-up, il y a de nombreuses personnes trans », expose Coco Das Vegas, sensible aux causes LGBTQ+. Sur les salons vintage, la speakerine essaye de rester la plus inclusive possible : « Je fais attention à ne pas dire “pour vous mesdames, il y a de belles robes qui tournent”, car les robes peuvent être portées par toutes les personnes qui en ont envie. »

Elle inscrit également la danse burlesque dans le sillon du mouvement « body positive », en faveur de l’acceptation et l’appréciation des différentes morphologies : « Dans le burlesque, il y a tous les types de corps, des gros, des minces… » Pourtant, Coco Das Vegas n’apprécie pas certaines parties de son corps, qu’elle cache sur scène. « Je montre ce qui me met en valeur. J’ai du ventre et de la cellulite qui me complexent. Alors, je prends des positions où on ne voit pas mon ventre, je mets des collants… », assume t-elle.

La déconstruction des stéréotypes de beauté est difficile pour l’artiste. Sur le compte Instagram des pin-ups d’Alsace, les quatre danseuses apparaissent toutes fines et élancées mais Coco Das Vegas réfute ces qualificatifs. « On a toutes nos complexes, on fait des régimes, du sport pour perdre du poids », ajoute t-elle. La déconstruction de l’injonction à la minceur est difficile pour l’artiste. « Je n’y arrive pas. Pourtant, il y a des filles enrobées que je trouve magnifiques mais mon corps de rêve, c’est celui de la danseuse de cabaret », soupire la pin-up.

Coco Das Vegas ne s’occupe plus elle-même de ses réseaux sociaux. Ses photos sur Instagram et ailleurs sont postées par une personne chargée de sa communication, ce qui lui permet de ne pas être confrontée à sa propre image. Coco Das Vegas est une personnalité publique très pudique :

« Tout le monde cherche son heure de gloire, à se faire applaudir. Personnellement, je déteste les selfies, j’en ai pris un dernièrement sur le plateau de France 3 pour montrer que j’étais interviewée. Je me suis dit ensuite que c’était vraiment idiot. »

Des défilés pin-up auront lieu pendant toute la durée du festival. Photo : Michael Klug / doc remis

« L’archétype de la femme objet »

À la question « Es-tu féministe ? », Coco Das Vegas répond directement par la positive. Elle admet en revanche que son goût pour le style pin-up n’est pas compatible avec ses valeurs :

« Pin-up et féministe, ça ne fonctionne pas. Une pin-up avec ses talons porte tous les codes misogynes que la société impose aux femmes. Mais j’aime ça les meufs, je trouve ça beau. J’adore les filles qui sont hyper élégantes, hyper féminines. »

Derrière l’image de la pin-up, celle de la bonne ménagère lui emboîte le pas. Ce modèle dépassé ne rebute pas Coco Das Vegas qui, bien qu’imprégnée de ces codes sexistes, lutte contre la société patriarcale :

« Je suis fière d’être une pin-up, l’archétype de la femme objet. Je prends du plaisir à me faire belle et à m’habiller selon un prototype de femme. Globalement, je me sens respectée donc je pense que le message que je porte, le fait que les femmes disposent librement de leur corps, est clair. »

Coco Das Vegas a conscience que son plaisir réside dans l’intériorisation de normes patriarcales sur le corps des femmes. Ces codes lui imposent même une rigueur éprouvante. « Les vêtements de pin-up, c’est affreux à porter. Les talons font mal aux pieds, les corsets serrent la taille, ton string te rentre dans les fesses, ta jupe se soulève avec le vent…, constate t-elle. Je ne rêve que d’une chose le soir, c’est de me mettre en pyjama. Sur les salons, je ne porte plus de talons toute la journée, mon corps ne le supporte plus. » Lorsqu’un homme lui a reproché dernièrement d’être en baskets, la pin-up lui a rétorqué : « Vous avez déjà été en talons pendant 8 heures, monsieur ? »


#culture

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