Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Contre les vengeances, une « grotte mobile » pour changer d’opinion sur la prison

Enfermer les jeunes dans une cellule de prison pour leur faire passer l’envie d’y aller. C’est l’idée d’Adama Camara et de sa « grotte mobile ». L’ancien détenu était à Strasbourg fin juin.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.

Contre les vengeances, une « grotte mobile » pour changer d’opinion sur la prison
La grotte mobile donne un aperçu de la vie en cellule. Le soulagement est palpable quand la porte se rouvre.

« Les portes sont fermées, les menottes sont serrées comme le cœur de la madré », peut-on lire à l’intérieur de la « grotte mobile » : 9 mètres carrés, des lits superposés, un mini frigo, une plaque de cuisson, des toilettes, un évier et une étagère. Adama Camara a reproduit une cellule de prison, comme il l’a lui-même connue. À l’extérieur de la porte, il a même fabriqué l’œilleton à l’aide d’un couvercle de boîte de conserve. Les chiffres 55-852 sont inscrits au feutre noir. « C’est mon premier numéro d’écrou », explique-t-il.

En voulant venger son frère mort dans une rixe, ce natif de Garge-les-Gonnesses (Val d’Oise) a été condamné à huit ans de prison en 2018. En 2020, il en sort grâce aux mécanismes de réduction de peine et crée l’association Sada (Solidaire agissons dès aujourd’hui), pour lutter contre le phénomène des rixes et de la vengeance sans fin. Sada est aussi le nom de son petit frère.

Dans le même temps, il réalise une série documentaire intitulée « Rixes », dans laquelle il va à la rencontre des victimes et des familles de victimes de ces guerres des cités. Les deux saisons sont d’abord diffusées sur Youtube, puis sur la plateforme en ligne de France télévisions. Depuis avril 2025, c’est un nouvel outil de prévention qu’il met à disposition des adolescents et des structures associatives qui le lui demandent : la « grotte mobile ».

Mardi 24 juin, dans la matinée, le dispositif s’est arrêté dans les collèges Érasme à Hautepierre et Sophie Germain à Cronenbourg. Le soir même, Adama Camara s’est rendu au FC Kronenbourg et a discuté avec une quinzaine de jeunes, âgés de 14 à 16 ans, licenciés dans le club de foot amateur.

Dans la cour, à côté du stade, des chaises sont disposées en demi-cercle. En leur centre, en t-shirt orange, se trouve Adama Camara. La discussion sur les bagarres bat son plein, l’idée de vengeance est omniprésente. « La prison, c’est la destination finale, leur dit-il, c’est la mort ou la prison. » Le respect des adolescents pour l’ancien détenu est palpable. Mais malgré son discours et son parcours, beaucoup se disent tout de même prêts à risquer la prison pour venger un ami ou un frère. « Si quelqu’un tue quelqu’un d’autre, tu dois te venger, c’est obligé », estime Cadri, 16 ans.

Déconstruire l’idée de la prison comme un endroit cool

« Qui a déjà vu des vidéos de quelqu’un en prison sur les réseaux ? », demande soudain Adama. La majorité des jeunes lèvent la main. « Et vous voyez quoi dans ces vidéos ? », demande-t-il encore. « Des mecs qui font de la muscu, qui jouent à la play, qui fument, téléphonent », répondent, pêle-mêle, les adolescents. « Beaucoup de jeunes pensent que la prison est un endroit cool », déplore Adama.

Par groupes de cinq, les adolescents entrent dans la cellule avec lui. La porte est refermée à clef derrière eux. Il fait chaud, c’est exigu. Personne n’a envie de rester trop longtemps à l’intérieur. Adama explique : « On est là-dedans 22 heures sur 24. » En découvrant les toilettes et la chaleur, un des adolescents s’exclame : « Ouah, ça doit sentir ! »

« J’ai des amis qui m’avaient vendu la prison comme si c’était facile », confie Adama Camara dont l’objectif est de « déconstruire tout ce qu’on peut voir sur les réseaux sociaux par rapport à la prison ».

En sortant, les adolescents sont pensifs : « Ça m’a fait réfléchir « , concède Cadri. Pour Louseyni, la « grotte mobile » « change quelque chose. On réfléchit à deux fois avant de faire une bêtise… Ça fait peur. »

Une bande-sonore est en cours de création pour améliorer l’expérience immersive, « avec les cris, les bruits d’écrous, de clefs », détaille Séverine, membre de l’association Sada. Après l’Alsace, la « grotte mobile » doit poursuivre son tour de France. « On est appelés de tous les côtés », constate Séverine : « Nice, Caen, Le Havre, Laval, Montpellier, Toulouse… » L’association propose même d’intervenir en 72h en cas de crise et de rixe, mortelle ou non. La « grotte mobile » se rend sur les lieux du drame afin d’apaiser les consciences et de faire passer les envies de vengeance.

À la rentrée, Adama Camara compte bien stationner sa « grotte mobile » devant l’Assemblée Nationale : « Beaucoup de politiques s’expriment dans les médias pour dire que la prison c’est le Club Med », ironise Adama. Charge à eux de rentrer, à leur tour, dans la « grotte mobile ».


#Prison

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles

Autres mots-clés :

Partager
Plus d'options