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Bientôt à Strasbourg, l’étonnante réapparition d’un Guérin perdu de vue depuis 1848

À l’occasion de la redécouverte de « Gutenberg inventant l’imprimerie à Strasbourg en 1436 » de Gabriel-Christophe Guérin, tableau perdu depuis 173 ans, rencontre avec Florian Siffer, attaché de conservation et responsable du cabinet des estampes et des dessins.

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Bientôt à Strasbourg, l’étonnante réapparition d’un Guérin perdu de vue depuis 1848

Florian Siffer est responsable du cabinet des estampes et des dessins pour les musées de la Ville de Strasbourg. Il a appris la vente aux enchères organisée par la société Marteau à Montpellier d’un tableau avec pour titre : La lettre (attribué à ”l’entourage de Pierre Narcisse Guérin”)…

La famille Guérin composée de chercheurs, portraitistes, ou encore d’artistes-peintres est au cœur de sa préoccupation depuis une dizaine d’années. Les musées conservent plusieurs peintures de Gabriel-Christophe Guérin ainsi que de nombreux dessins, parmi lesquels plusieurs académies (peintures rattachées à l’enseignement des écoles d’art), mais aussi, le dessin préparatoire de la toile à la vente et une version lithographique de celle-ci. Cette vente intrigue le fonctionnaire : même si le titre mentionné est différent, il pourrait s’agir du tableau Gutenberg inventant l’imprimerie à Strasbourg en 1436. N’ayant pas trouvé acquéreur, Florian Siffer a proposé à la Ville de Strasbourg d’obtenir l’œuvre pour la somme de 1 500 euros.

Les musées mènent l’enquête

Florian Siffer Photo : crédit Benoit Linder

Grâce au travail d’une Provenance researcher (ou chercheuse en provenance), nouveau métier dans la sphère culturelle, on sait que l’artiste était exposé lors d’un salon, en vogue au XIXe siècle. Les recherches ont également permis de retrouver un poème à la gloire de Gutenberg inspiré par la peinture de Guérin. Le tableau a également appartenu à Louis-Philippe, duc d’Orléans et futur roi des Français.

Gabriel-Christophe Guérin réalise une formation en peinture à Paris. En 1820, il retourne à Strasbourg avec son père, alors directeur du musée des Beaux-Arts.

Dans Gutenberg inventant l’imprimerie à Strasbourg en 1436, il met en jeu le caractère documentaire, historique et fantaisiste. « C’est un moment de bascule où Gutenberg présente à son financeur que son invention marche », confie Florian Siffer. En contextualisant l’œuvre, l’artiste la rend anachronique : les grelots du personnage de gauche, par exemple, reflètent la vision déformée d’un costume historique du XVe siècle.

Cette figure montre un Strasbourgeois connu, André Dritzehen, qui finançait les recherches de Gutenberg. Et la représentation de l’inventeur de l’imprimerie, bien que toujours vague, reste très classique, avec les éléments tels qu’une longue barbe ou bien un bonnet. Le tableau a été présenté au Salon de Paris en 1827, à l’époque où la figure de Gutenberg n’était pas au cœur des œuvres artistiques. C’était un salon important qui a mis en lumière la mythologie du Moyen-Âge vue par deux artistes : Eugène Delacroix et Gabriel-Christophe Guérin.

Gabriel-Christophe Guérin (Kehl, 1790 – Hornbach, 1846), Gutenberg inventant l’Imprimerie à Strasbourg en 1436, (1827) Huile sur toile, 81 x 65 cm

Une propagande strasbourgeoise

Gutenberg inventant l’imprimerie à Strasbourg en 1436 lance une tenace concurrence entre Mayence (Allemagne) et Strasbourg, et entame la « propagande » strasbourgeoise. L’intérêt premier pour la ville quant au tableau de Guérin est d’attester le travail d’un artiste local qui reste peu connu en France. Les foyers régionaux apportent un éclairage nouveau aux activités, artisans et artistes du territoire. En montrant la diversité de leur pratique, il fait perdurer la mémoire collective.

« C’est la première fois que Guérin va exposer à Paris un tableau en rapport avec l’histoire de l’Alsace », explique Florian Siffer. L’œuvre alsacienne donne à voir une vision en décalage avec l’époque, concentrée sur les sujets de l’histoire ancienne. L’artiste participe ainsi au mouvement troubadour de la fin de XVIIIe au début de XIXe siècles qui cherche à donner l’importance à l’histoire locale. Au tout début des identités régionales, Gabriel-Christophe Guérin voit ce moment comme un sujet avec une portée nationale.

Le discret mais utile cabinet des estampes

Depuis près de quarante ans, le troisième étage du 5 place du Château abrite le cabinet des estampes et des dessins. Des études aux gravures en passant par les dessins préparatoires, la collection est constituée de plus de 100 000 œuvres, d’une amplitude historique étendue entre le XVe et le XIXe siècle. Malgré la confidentialité du lieu, l’ensemble des acquisitions du cabinet est complémentaire aux fonds du réseau des musées de la Ville de Strasbourg dont il fait partie. Cette collection permet à son responsable de collaborer avec une multitude d’acteurs culturels : musées, Haute école des arts du Rhin (HEAR), Archives de la Ville et Eurométropole de Strasbourg ou encore Bibliothèque nationale universitaire (BNU).

Florian Siffer se consacre à la recherche dans le domaine de l’histoire de l’art, aux techniques d’archivage et de restauration ainsi qu’en conception d’expositions. Son rôle au cabinet des estampes et des dessins consiste à valoriser la collection et préserver des œuvres particulièrement fragiles. Selon Florian Siffer, « le cabinet des estampes et des dessins vient répondre à de vraies catastrophes patrimoniales lorsque le musée des Beaux-Arts et la Bibliothèque Nationale ont été détruits vers 1870 ».

Dans cette optique, il travaille à l’informatisation et la mise en ligne de chacune des acquisitions : une dématérialisation qui permet à un large public d’accéder aux ressources du cabinet, tout en développant la visibilité du lieu sur les réseaux sociaux. Outre ces missions relatives aux pièces acquises, Florian Siffer entretient une veille du marché de l’art. Cette activité consiste à porter une méticuleuse et quotidienne attention à des œuvres, des artistes, des mouvements artistiques ou des périodes spécifiques dont la présence pourrait être pertinente au sein de la collection. Les fonds liés à la famille Guérin par exemple, font l’objet d’une veille permanente du fait de leur intérêt historique et artistique pour la Ville de Strasbourg.

Visible à l’automne 2023

Le tableau ayant disparu pendant de nombreuses années, de légères restaurations sont prévues avant sa monstration. Il est en bon état « malgré son âge », selon l’expression de Florian Siffer. L’application d’un nouveau vernis est indispensable pour gagner en luminosité. La toile sera visible à l’automne 2023 lors d’une exposition consacrée à la famille Guérin et la production d’œuvres entre 1770 et 1850. Grâce à cette acquisition de Gutenberg inventant l’imprimerie à Strasbourg en 1436, la Ville de Strasbourg se sent plus légitime à candidater au statut de Capitale mondiale du livre.

Valentine Schirmer, Cassandre Ver Eecke,
Léa Bailly-Maître, Cécile Breymann,
Clarisse Seguy, Ying Wu,
Lorry Begin, Reyhan Hessami,
Pauline Abad, Evdokia Bannikova,
Antonin Roure.


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