
Gwenola Ricordeau au Molodoï jeudi 15 juin : « La police ne dysfonctionne pas quand elle commet des violences »
Professeure de justice criminelle aux Etats-Unis, Gwenola Ricordeau veut faire circuler les idées abolitionnistes en France. Après avoir publié l’ouvrage collectif « 1312 raisons d’abolir la police », la sociologue donne une conférence au Molodoï jeudi 15 juin.
Depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites, la critique radicale de la police s’est un peu plus propagée en France. Parmi les manifestants et même au-delà, la répression à Sainte-Solline et les violences gratuites et autres humiliations racistes de la brigade BRAV-M à Paris ont choqué. Dans certains cortèges, en manifestation strasbourgeoise, le slogan « ACAB » (All Cops Are Bastards) a fini par devenir un cri de ralliement. Malgré ce rapport tendu aux forces de l’ordre d’une partie de la population française, l’abolitionnisme reste un courant marginal.
Enseignante en justice criminelle et professeure associée à l’université d’Etat de Californie, Chico, Gwenola Ricordeau a publié l’ouvrage « Pour elles toutes. Femmes contre la prison » aux éditions Lux en 2019. Elle y développe une réflexion appelant les forces progressistes, les féministes entre autres, à penser leurs luttes sans police ni prison.
En 2023, l’ancienne maîtresse de conférence en sociologie à l’Université de Lille publie une anthologie de textes abolitionnistes issus du monde anglo-saxon intitulée « 1312 raisons d’abolir la police ». Gwenola Ricordeau sera au Molodoï à l’invitation de l’Action Antifasciste Strasbourg (AFA SXB) jeudi 15 juin à 18h30. Dans sa description de l’événement, les organisateurs posent les questions suivantes : « D’où vient l’idée d’abolir la police et que recouvre-t-elle au juste? Si la police ne nous protège pas, à quoi sert-elle? Comment dépasser la simple critique de la police pour enfin en finir avec elle? »

Rue89 Strasbourg : Qu’est-ce que l’abolitionnisme pénal ?
Gwenola Ricordeau : C’est un ensemble de réflexions et de luttes pour l’abolition du système pénal, donc de la prison et de la police. Ces réflexions et ces luttes ont une histoire ancienne, même si les mobilisations qui ont suivi le meurtre de Georges Floyd et le mouvement Black Live Matter ont popularisé des slogans abolitionnistes de la police, notamment « Defund the police » (Définancez la police) ou
« Care not cops » (du soin, pas des policiers).
Ce qui a permis le moment Georges Floyd en 2020 aux Etats-Unis, c’est une longue histoire de résistances à l’existence même de la police, de luttes dénonçant notamment le caractère raciste de la police, mais aussi de mobilisations anarchistes. Du point de vue des idées, on peut dire que l’abolitionnisme englobe divers courants de réflexions, en plus d’un champ strictement académique.
Vous enseignez à l’Université d’Etat de Californie, Chico, aux Etats-Unis. Est-ce que ce courant politique et académique y est plus développé qu’en France ?
Il y a eu dans le sillage du meurtre de Georges Floyd une avancée aux États-Unis. Il n’y a pas eu une telle popularisation de l’abolitionnisme en France ou en Europe. C’est le projet et l’intérêt du livre “1312 raisons d’abolir la police” : permettre au lectorat français l’accès aux analyses développées en Amérique du Nord, mais aussi une compréhension des luttes qui y sont menées.
Les réflexions sur la police aux Etats-Unis sont-elles valables en France ? N’y a-t-il pas une différence entre les polices françaises et américaines ?
Pour nous abolitionnistes, il n’y a pas de différence de nature entre la police aux Etats-Unis et la police dans les autres États occidentaux. La police étasunienne est raciste et elle l’est aussi en France. Ici comme ailleurs, elle est au service du maintien de l’ordre capitaliste. Ce n’est donc pas une différence de nature de la police qui permettrait d’expliquer des avancées différentes de l’abolitionnisme en France et en Etats-Unis.
Où trouve-t-on les réflexions et luttes abolitionnistes en France ?
La résistance populaire à la police a toujours existé. La confrontation avec la police en manifestation, c’est une résistance à l’ordre policier. Des luttes, des personnes et des mouvements peuvent contribuer à la cause abolitionniste sans se revendiquer ou se penser comme tel. Je pense, par exemple, aux mobilisations contre les crimes policiers.
Dans le livre “1312 raisons d’abolir la police”, je reviens sur les réflexions et les luttes des Black Panthers. Ce mouvement ne se revendiquait pas abolitionniste dans les années 60-70. Pourtant il y a chez les Black Panthers une analyse largement reprise dans le corpus abolitionniste aujourd’hui.
Les Black Panthers analysaient la police comme une force d’occupation du ghetto noir. Pour ces militants, il n’y a pas de différence entre police et armée. Ainsi, la lutte des Black Panthers est profondément solidaire de la résistance vietnamienne à l’armée impérialiste. L’armée et la police ont la même fonction : c’est un outil de maintien de l’ordre raciste et colonial. Comme force ennemie, la police doit donc être combattue.
Parmi leurs actions, les Black Panthers observaient les patrouilles policières dans les quartiers africains-américains pour renseigner l’action de la police et défendre la population. Ces actions ont été largement reprises dans ce qu’on appelle aujourd’hui le « copwatching », qui fait partie des manières d’agir des abolitionnistes.
Vous êtes actuellement en tournée avec l’anthologie 1312 raisons d’abolir la police. A quel public s’adresse votre discours ?
Mon abolitionnisme est un abolitionnisme révolutionnaire, qui rompt avec le réformisme et dénonce les promesses d’une police qui pourrait être une « bonne police ». De fait je m’adresse à une gauche révolutionnaire, antiraciste et féministe.
Je fais donc la critique d’une gauche citoyenniste, qui lorsqu’elle évoque la police, dit qu’il est possible d’avoir une police qui soit dans le camp du progrès social et qui contribue à l’émancipation. En clair, je critique la France insoumise ou le parti communiste qui surfent sur le mythe d’une « bonne police », républicaine ou de proximité, et refusent d’analyser quelle est la fonction de la police dans le maintien de l’ordre capitaliste, raciste et sexiste.
Selon moi, le résultat de cette analyse indique clairement qu’il n’y a pas de compromis possible avec la police lorsqu’on s’inscrit dans le camp du progrès social. Il faut reconnaitre qu’avec cette ligne on ne
rallie pas beaucoup d’organisations de gauche aujourd’hui (rires).
Quels sont vos arguments contre l’idée qu’une réforme de la police est possible ?
La quinzaine d’auteurs réunis dans “1312 raisons d’abolir la police” font la critique des luttes et des discours qui présentent la police comme « dysfonctionnant ». Cette perspective est, par nature, réformiste selon nous. En effet, la police ne dysfonctionne pas quand elle commet des violences. Elle fonctionne parfaitement bien et répond ainsi à ce qui est attendu d’elle. Nous abolitionnistes, nous ne disons pas qu’il faut lutter contre les violences policières car nous estimons que la police est par essence violente, raciste et sexiste.
Un de mes livres précédents, « Pour elles toutes. Femmes contre la prison » critique le féminisme qui réclame toujours plus de prisons. Dans « 1312 raisons d’abolir la police », je poursuis cette perspective en appelant à « défliquer » les luttes progressistes et féministes et en critiquant les courants féministes qui nous entretiennent l’illusion d’une police qui pourrait contribuer à l’avancée du féminisme en recueillant toujours davantage de plaintes. Pour nous, la police ne protègera toujours que certaines femmes, pas toutes les femmes, et il n’y a pas d’avancée à se servir d’un outil profondément raciste et classiste comme la police.
Il faut donc rompre avec cette illusion. La police bénéficiera toujours aux puissants, à la classe possédante, aux Blancs. Tant qu’on dira qu’il y a des problèmes dans la police, on ne sortira pas des cycles scandales, proposition de réforme et retour à la « normale ».
Ce discours révolutionnaire est peu développé en France. Avez-vous subi des pressions ou intimidations depuis la sortie de votre livre et le début de votre tournée ?
J’ai reçu des menaces, mais ce n’est pas surprenant quand on dit publiquement que la police est notre ennemi et qu’on assume cette conflictualité.
L'emploi de la police tel qu'il est mené depuis trop longtemps nous dégoûte tout autant que vous.
Ce n'est pas pour autant que l'on peut bâtir quoi que ce soit de solide et de constructif en ne faisant pas la distinction entre utopie et réalité.
Et pour être sincère : la conférencière a 47 ans. En être encore à écrire 1312 à cet âge... A 20 ans c'est une chose , à 40 franchement... Cela serait d'ailleurs intéressant de s'interroger à ce qu'il se serait passé si le mouvement progressiste (le vrai : pas celui qui se base sur le libertarianisme individualiste pour cacher son narcissisme et son égoïsme) avait investi les forces armées plutôt que de s'en éloigner par principe.
Le rapport de force actuel serait probablement tout autre.
L'adolescence et son monde de Bisounours est un cap difficile à traverser. Il faut savoir s'en détacher pour devenir adulte et affronter la réalité humaine.
Si déjà vous répondiez aux questionnements soulevés (il y en a même autour de la formation de milice autogérées...), peut-être que nous serions un minimum rassurés quant au fait qu'il ne s'agit pas d'une énième vision caricaturale et simpliste dont les tenants et les aboutissants se résument sur un tract.
de 2 de ses livres parus à l’ Esprit Frappeur : " Le vocabulaire policier " et " Bavures. Ordre public. Désordre privé".
Nous soutenons toujours, avec lui, le principe d’une police républicaine mais sommes de plus en plus préoccupés par l’excès de pouvoir qu’une politique sécuritaire est tentée de lui octroyer, nécessairement au détriment des libertés individuelles.
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Ce vieil ami de RLF-Strasbourg, morts le 13 juin 2020 à 92 ans, rescapé de la rafle du Vel d’ Hiv en juillet 1942, auteur d’une œuvre impressionnante pas sa qualité et sa rigueur intellectuelle. Essayiste et historien dont les centres d’intérêt sont la France de Pétain, la police du gouvernement de Vichy , mais aussi la police dans ses actions répressives, notamment contre les Algériens pendant la guerre d’Algérie, et bien sûr le conflit israélo-palestinien.
Nos polices sont dysfonctionnelles, c'est certain.
Mais l'être humain, dans son ensemble, peut être capable des pires actes.
Sans police, comment intervenir, qui pourra gérer les actes d'agression ?
Les concepts sociologiques sont une chose. Connaître la biologie et le fonctionnement inhérent à l être humain, animal comme tous les espèces vivantes, en est une autre.
Et c'est pas avec les petits collectifs anarchistes qui répètent les mêmes erreurs depuis 1 siècle sans construire de projets solides et durables dans le temps que l'on va y arriver.
Rêver est une chose, se baser sur des faits scientifiques est bien plus important, même si cela signifie une réalité et une compréhension de l'humain bien plus triste.
Nous sommes la pire espèce invasive qui existe sur cette planète et celle capable des pires gestes de tortures, manipulation, viols, vols, violences en tous genres.
L'éducation ne permettra jamais de contrebalancer totalement la médiocrité de l'espèce humaine.
Améliorer la police dans son fonctionnement bien sûr, lui permettre d'intervenir de façon intelligente, permettre le droit de grève aux policiers un grand oui.
Supprimer la population capable d'intervenir, c'est le suicide de notre société.
Parce que pour le moment la conférence ressemble encore à l'enieme discours d'un adolescent attardé qui refuse de grandir et passer
2h assis les fesses sur une chaise... Il y a sans nulle doute plus utile à faire pour la société.
Cas pratique : Théo, 40 ans, mécontent de son voisin, lui casse la gueule.
Sans police, qui intervient ? Qui est en charge de l'intercepter ? Qui l'amène devant la justice ?
Les citoyens de "bonne volonté" qui sans formation pourront tout aussi bien passer à tabac le Théo ?
Un groupe de citoyens autogérés qui auraient reçu la "bonne" formation mais auquel cas, en quoi cela différe de la police ?
Les FDO ont 6 mois de cours théoriques dans leur formation avant d'être lâchés sur le terrain. Évidemment que leurs competences de réflexion et d'analyse sont limitées.
Former intelligemment les FDO est une voie qui ne mettrait pas en danger l'ensemble de la société
On peut aussi rêver d’une population libre, civilisée, prévenante, éduquée, solidaire, non envieuse, non violente, hospitalière et généreuse, …
On peut se passer de la Police, de l’Armée, de l’Administration (celle qui contrôle et sanctionne), on peut tout imaginer !
L’imagination trouve des milliers de chemins et les rêves aussi mais la réalité est si contraire.
Juste un petit exemple.
Il faudrait presque poster « un flic » sur chaque porte-bagages des vélos des cyclistes qui ont transformé la vocation de ce moyen à deux roues et deux pédales.
De moyen de locomotion doux, ils l’ont transformé en moyen de transport qui doit rivaliser avec la voiture, le bus et le tram.