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Hacker l’édition ? Le choix de Christoff Baron

La révolution numérique a-t-elle supprimé les éditeurs ? Coûts d’impressions en baisse et marges infimes encouragent certains auteurs à s’en passer, comme Christoff Baron. Artiste-peintre strasbourgeois, il publie son premier roman et aimerait bien en vivre comme il vit de son art.

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Christoff Baron et ses gueules de bois (doc remis)

Christoff Baron et ses gueules de bois (Photo Alexandre Schlub)
Christoff Baron et ses gueules de bois (Photo Alexandre Schlub)

Un auteur peut-il se contenter de 5% du prix de vente de son livre ? Pour Christoff Baron, pas question. L’artiste-peintre strasbourgeois, que certains connaissent pour ses gueules de bois, se lance dans l’écriture avec trois polars. Mais après une année passée à approcher les éditeurs, il est passablement déçu. Et surtout, il a fait ses calculs avec un air de déjà-vu :

« Écrivain, c’est un peu comme artiste. Tout le monde peut l’être. En vivre, c’est déjà plus compliqué. Avec mes œuvres, une part de mon travail est de les présenter et de les vendre. Il y a une partie business avec laquelle l’artiste est plus ou moins à l’aise, mais qu’il doit gérer. Avec l’écriture, je découvre que c’est pareil. Tout le monde peut s’auto-éditer et se proclamer écrivain. Du coup, les éditeurs n’hésitent pas à demander aux auteurs de participer financièrement aux frais, alors que ce devrait être l’inverse ! Pour moi, c’est de l’escroquerie. »

Approcher les éditeurs : un an de travail

Après l’annulation de sa résidence à Damas en 2011, Christoff Baron a travaillé un an sur son premier roman, Silver Rose, un polar mené au rythme d’une Porsche, entre Marseille, Saint-Petersbourg et Monaco. Le manuscrit terminé, il envoie des copies imprimées à une quarantaine d’éditeurs :

« Les pages étaient maintenues ensemble avec une mauvaise colle, qui s’effritait dès qu’on ouvrait le livre. Du coup, quand les épreuves m’ont été renvoyées, je savais si mon livre avait été lu. Et malgré les assurances formulées dans les lettres de retour, moins d’une dizaine d’éditeurs ont ouvert le livre. J’ai été assez choqué. Le côté rassurant était que ceux qui l’avaient lu étaient allés jusqu’au bout. »

Deux éditeurs répondent tout de même, Albin Michel et Génèse Editions. Christoff Baron choisit la seconde maison à la suite d’un bon contact avec l’éditrice, Danielle Nees. Mais à l’arrivée du contrat, surprise, on lui demande de financer les 100 premiers exemplaires de son roman, à 10€ l’unité :

« En gros, je devais payer 1 000€ pour avoir la satisfaction d’être édité ! J’ai appris que ça se pratiquait couramment, ça s’appelle de la vanity press, des gens paient pour avoir leur nom sur un livre. Mais moi, c’est le contraire qui m’intéresse ! Alors je me suis renseigné plus avant et j’ai fait imprimer 500 exemplaires de mon livre pour 1 600€. En le vendant 20€, je devrais pouvoir me payer un peu pour l’année de travail que j’y ai passé ! Et tant pis si je dois me débrouiller tout seul pour la distribution et la promotion. »

Repartir de zéro, take two

La couverture de Silver Rose (doc remis)
La couverture de Silver Rose (doc remis)

Après avoir sollicité son entourage, Christoff Baron est donc parti pour courir les salons du livre et les foires, tenter de se faire connaître tout en mettant en place sur son site web un système de commande en ligne. Partir de zéro, l’artiste un brin rebelle connaît. Mais devant les perspectives financières que lui promettent les éditeurs, il préfère l’auto-édition à un système jugé grippé. Le divorce entre les auteurs et les éditeurs ne date pas d’hier, certains parmi les premiers avaient même fondé le Calcre (Comité des auteurs en lutte contre le racket de l’édition) et avaient établi une liste des éditeurs fiables (appelée Audace, Annuaire à l’usage des auteurs cherchant un éditeur).

Le malaise est profond mais pour Pierre Marchant, directeur des Editions Le Verger, à Molsheim, et président de l’association des éditeurs en Alsace, s’auto-éditer est toujours une erreur :

« Les auteurs ne se rendent pas compte qu’il ne reste aux éditeurs au mieux 20% du prix de vente d’un livre, une fois déduits les frais d’impression, de distribution et de promotion. Mais le travail d’un éditeur ne se réduit pas à ça, il y a un dialogue avec l’auteur dans lequel l’éditeur se fait l’avocat des futurs lecteurs. Aucun auteur ne peut produire un vrai bon livre seul. Et puis, en s’auto-éditant, un auteur peut atteindre 2 000 exemplaires, alors qu’au Verger par exemple, les tirages peuvent atteindre 12 000 unités. »

Ainsi le troisième roman d’Eric Genetet, auteur de Schiltigheim, Et n’attendre personne, a navigué pendant des mois entre l’éditrice et l’auteur. Ce dernier confesse pourtant qu’il ne sait pas combien il a gagné avec son nouvel opus, et dispose d’un autre métier, journaliste, pour remplir son porte-monnaie. Autre exemple, celui d’Aurélien Caulfield, jeune étudiant strasbourgeois de 22 ans, tout récemment édité par les éditions Persée avec La rencontre inexprimable, un recueil de nouvelles :

« Les éditions Persée m’ont demandé 2 000€ pour participer aux frais d’édition. Comme je ne les avais pas, j’ai lancé une souscription auprès de mes proches sur Internet et on est arrivés à obtenir 200 précommandes à 10€. Il m’a fallu un an pour réunir cette somme ! Mais pour moi, c’était la seule offre possible, étant donné que je ne suis pas connu et que je n’ai aucun réseau. »

Les commerciaux ont remplacé les éditeurs

Pierre Marchant reconnaît que des pratiques douteuses gangrènent sa profession :

« On assiste, y compris au sein de grands noms de l’édition, à un glissement. Les éditeurs deviennent des commerciaux et les contrats évoluent dans un sens qui n’est pas favorable aux auteurs. Un éditeur qui se respecte doit publier à son compte, sauf si l’ouvrage ne pourra concerner que très peu de gens, comme une thèse par exemple. »

De son côté, Danielle Nees, l’éditrice de Génèse Editions, évoque un « risque impossible » pour les premiers romans :

« Le secteur de l’édition traverse une crise sans précédent. Nous devons retourner à des pratiques d’avant-guerre, où tous les livres étaient à compte d’auteur. Je perds environ 5 000€ sur un premier roman, je mise sur le troisième, qui sera peut-être rentable s’il dépasse les 3 500 exemplaires. Je ne peux pas prendre tous les risques, les auteurs doivent prendre leur part. En 2014, je ne propose aucun nouvel auteur dans mon catalogue de publications. »

Mais l’édition du XXIe siècle est-elle comparable à celle des années 1930 ? Aujourd’hui, Amazon propose aux auteurs de s’auto-éditer directement, en profitant à fond de la numérisation intégrale de la chaîne de production d’un livre. Dans cette entreprise de compression, les éditeurs ont disparu.

Note : Christoff Baron est un ami personnel de l’auteur de ces lignes.

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