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De la cathédrale à la gare, l’horloge du millénaire au bout de ses peines

Du 20 juillet au 20 août, l’horloge du millénaire de Daniel Depoutot s’installe sous la verrière de la gare centrale. À l’origine, cette oeuvre devait être exposée dans la cathédrale à l’occasion des festivités de son millénaire. Mais les nombreuses réflexions et tergiversations ont eu raison de ce projet. Retour sur cette rocambolesque aventure.

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De la cathédrale à la gare, l’horloge du millénaire au bout de ses peines

Les automates de l'Horloge du millénaire remplissent trois étages d'un échafaudage. (Aline Fontaine)
Les automates de l’Horloge du millénaire remplissent un échafaudage de trois étages. (Photo AF / Rue89 Strasbourg)

Les automates déjantés de Daniel Depoutot commençaient à faire grise mine, surtout celui en forme d’évier qui tire la langue quand il s’active. L’artiste, lassé lui aussi, avait même fini par se demander s’il ne devait pas tous les retirer de son horloge et ne garder que le mécanisme de base. Aujourd’hui, ce plasticien strasbourgeois peut enfin mettre ses tourments de côté, et laisser le public profiter de son horloge monumentale qui sommeillait dans un coin de son atelier.

Cette idée de créer une œuvre pour la célébration du millénaire des fondations de la cathédrale de Strasbourg ne date pas d’hier. Un beau jour de 2013, l’artiste voit débarquer dans son laboratoire de ferraille, Michel Reverdy, président de l’association Musical Comédie. « Nous devons monter un spectacle total ! », lance-t-il à Daniel Depoutot. L’archevêché vient de publier un appel à projets sur son site internet consacré aux festivités. Michel Reverdy se souvient :

« Il s’agissait plutôt d’un appel aux bonnes âmes artistiques, car l’évêché pose alors deux critères : l’accès à l’œuvre dans la cathédrale doit être gratuit, puis, l’Église n’apportera aucun soutien financier. »

Le « rayon vers » pour un « spectacle total »

Cette dernière contrainte n’arrête pas les deux amis. Ils se mettent en quête de partenaires et récoltent 25 000 euros d’aides de la part d’entreprises locales, de la Ville et de la Région pour démarrer l’aventure. Le 10 mai 2013, ils soumettent leur dossier aux autorités religieuses. Ce premier projet porte le nom de « rayon vers », un clin d’œil au rayon vert que l’on peut observer dans la cathédrale à chaque équinoxe.

Leur proposition consiste à installer en face de l’horloge astronomique actuelle, sur les vestiges de la première horloge dite des « trois rois », une machine fantastique qui prendra la forme d’un ensemble d’automates régulés par un système à poids. Des jeux de lumières ainsi que des sons contribueraient à faire de cette œuvre le fameux « spectacle total » cher à Michel Reverdy, qui avait une idée très précise en tête :

« Nous voulions mettre en avant le côté immatériel de la lumière qui viendrait se refléter sur notre horloge et partirait vers Dieu. »

Un échafaudage de 7 mètres de haut

L’archiprêtre de la cathédrale a tout de suite accueilli le projet de manière favorable, le « rayon vers » serait exposé entre mars et mai 2015. Daniel Depoutot raconte :

« Il était vraiment partant pour associer l’art contemporain aux célébrations, mais tout le monde n’a pas apprécié le concept grandiose du rayon vers et le fait que l’on joue sur les mots, donc nous avons dû revoir notre copie. »

Adieu le spectacle total, place à un deuxième projet, moins ambitieux, concentré sur l’horloge qui activerait seulement les automates. Ainsi naît « L’horloge du millénaire« . Les personnages que l’artiste fabrique avec des matériels de récupération prendront place sur un échafaudage de 7 mètres de haut et 7 mètres de large. Des poulies et des cordes relieront les mécanismes entre eux.

Une entreprise locale (Kapp échafaudages) a permis de construire une horloge de 7 mètres de haut. (Aline Fontaine)
Une entreprise locale (Kapp échafaudages) a permis de construire une horloge de 7 mètres de haut. (Photo AF / Rue89 Strasbourg)

Afin de donner encore plus de légitimité à l’œuvre, l’archiprêtre mandate Rémi Vallejo, un moine dominicain habitué des collaborations entre le culturel et le cultuel. Il travaillera avec l’artiste. Ensemble, ils rédigent un argumentaire sur cette horloge qui permettrait au visiteur de la cathédrale de réfléchir sur le mouvement. Rémi Vallejo détaille  :

« Cette démonstration de l’art mécanique offrait une méditation aux confins de la physique, de la métaphysique et de la spiritualité, sur le principe du temps et de l’espace. »

Les mois passent. Au fur et à mesure que les automates à squelette prennent place sur l’échafaudage, les différentes personnalités du clergé défilent dans l’atelier de Daniel Depoutot. À commencer par l’archiprêtre et la chargée de suivi des événements culturels de la cathédrale. « On savait que ça passerait ou ça casserait », sourit Michel Reverdy, qui s’occupait des relations publiques pendant la réalisation de l’oeuvre.

Ça passe du côté de la cathédrale, mais pas de l’archevêché, surpris par la taille de la structure, pourtant connue dès le début. Bernard Xibaud, le chancelier de l’archevêché argue :

« Nous n’avions rien contre cette oeuvre, elle n’avait rien de “satanique” entre guillemets, mais je ne vois pas comment elle aurait pu servir l’horloge astronomique, elle l’aurait complètement écrasée. »

Chasse aux plans B

L’archiprêtre Michel Wackenheim, par la suite, se fait écho des remontrances émises par les guides touristiques :

« Ils nous ont dit que cette installation poserait un gros problème pour les visites guidées, surtout aux alentours de midi, car les touristes veulent voir l’horloge astronomique. Déjà que l’espace est limité, il n’y aurait plus suffisamment de recul une fois l’échafaudage posé pour accueillir les groupes. »

Exit le millénaire à l’honneur. Même s’il maintient n’avoir été influencé par personne, en septembre 2014, plus d’un an après avoir validé le projet, l’archevêché revient sur sa décision, invoquant des problèmes de sécurité.

L'artiste Daniel Depoutot utilise un mécanisme à foliot comme dans la première horloge astronomique de la cathédrale.
L’artiste Daniel Depoutot utilise un mécanisme à foliot comme dans la première horloge astronomique de la cathédrale. (Photo AF / Rue89 Strasbourg)

Commence alors la chasse aux plans B. Pourquoi ne pas investir la galerie Goetz-sud de la cathédrale ? La Direction régionale des affaires culturelles (Drac) s’y oppose, elle a besoin de l’espace pour stocker des vitraux en remplacement.

L’entrée Sud de la cathédrale, là où les touristes entrent d’habitude pour voir l’horloge astronomique ? La passerelle entre les deux horloges, astronomique et du millénaire, aurait ainsi été trouvée. Non. À cause des travaux menés sur le site par l’œuvre Notre-Dame, il y aurait eu concurrence d’échafaudages. Finalement, l’archiprêtre propose la gare, là-bas l’horloge ne dérangerait personne.

Les subventions fondent

Une série de péripéties non sans conséquence pour l’instigateur du projet, Michel Reverdy :

« Nous avons eu des sueurs froides vis-à-vis de nos partenaires. Quand le projet a quitté la cathédrale, l’un d’entre eux a diminué sa subvention de moitié. Mais nous avons finalement été rassurés de voir que la plupart d’entre eux n’ont pas remis en cause le sens de l’œuvre. »

Le duo-créateur a néanmoins eu l’impression d’être trimballé par les organisateurs du millénaire. « C’est vrai que l’argument du “mettez-la n’importe où, mais pas chez nous”, a vite été utilisé », avoue Benoît Léothaud, architecte des bâtiments de France à la Drac, conservateur de la cathédrale.

En tant que responsable unique de la sécurité, il trouve que les autorités religieuses se sont un peu trop avancées au début du projet, car l’œuvre n’était pas commandée par la Drac. Or, le clergé ne pouvait pas décider seul de l’installation, car il n’est qu’affectataire de la cathédrale, l’État, propriétaire, a toujours le dernier mot pour tout ce qui concerne le « hors-culte ». Le représentant de l’État ajoute :

« L’Evêché n’a pas réalisé que cette œuvre était ingérable. Il aurait fallu la protéger au cas où des objets tombent, donc ça aurait davantage entravé l’espace. De plus, les matières utilisées sont sujettes à incendie. Sans oublier le bruit que fait l’œuvre et l’impact qu’elle aurait eu sur l’atmosphère de la cathédrale. Je ne vous cache pas que lors de réunions entre les autorités religieuses, les conseillers artistiques, la préfecture et les architectes de la Drac, cette horloge a souvent généré des débats et certains d’entre nous se sont demandés si cette oeuvre aussi originale avait sa place et une portée symbolique dans un tel lieu sacré. »

Des festivités du millénaire « pour adultes »

Même s’il est heureux que son œuvre se confronte enfin au public dans la galerie de la gare centrale, Daniel Depoutot éprouve quelques regrets.

« Bien sûr dans la cathédrale, ça aurait été parfait, surtout que mes automates font écho à ceux de la première horloge, “gores” eux aussi, même si on l’a apparemment oublié. Mais, ce n’est que partie remise, pour le prochain millénaire ! »

Frère Rémi Vallejo déplore lui aussi fortement ce revirement de situation :

« Si cette horloge avait été présentée dans la cathédrale, nous aurions pu ouvrir le millénaire aux enfants, dans les circonstances actuelles, c’est un millénaire pour adultes. »

Pour remonter l'horloge du millénaire, une personne doit faire tourner une roue avec  ses pieds. (Aline Fontaine)
Pour remonter l’horloge du millénaire, une personne doit faire tourner une roue avec ses pieds. (Photo AF / Rue89 Strasbourg)

Pour Philippe Arlaud, le directeur artistique des festivités engagé par la Ville, cette aventure reflète les difficultés du millénaire :

« De nombreux interlocuteurs sont intervenus dans cette histoire, pas tous aussi coopérants les uns que les autres. En plus, nous avons mis beaucoup de temps à lancer cette célébration. La Ville par exemple ne s’est vraiment engagée qu’après les élections municipales de mars 2014, alors que les premiers événements commençaient en septembre. Je ne vous dis pas le nombre de projets qui ont dû être abandonnés faute de temps, d’argent ou à cause de problèmes politiques. Mais, généralement, plus une œuvre est longue à mettre en place, plus elle est importante, alors l’horloge de Daniel Depoutot a beaucoup de valeur ! »

Dans la gare, l’Horloge du millénaire va devoir trouver un nouveau sens. Daniel Depoutot a déjà sa petite idée :

« Mon horloge sera une bonne excuse pour faire arriver les trains en retard… »

L’artiste a encore un problème à régler : trouver des volontaires pour remonter son horloge, manuellement, plusieurs fois par jour.


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