Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Il Barbiere di Siviglia, un opéra drôle et pétillant pour commencer la saison

Presque un an après Les Nozze di Figaro de Mozart, le public strasbourgeois retrouve Figaro sous les traits du barbier, avec Il Barbiere du Siviglia de Rossini. Cet opéra-bouffe, créé le 21 février 1816, est joué à l’Opéra National du Rhin jusqu’au 28 septembre et à la Filature de Mulhouse les 7 et 9 octobre.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.

Il Barbiere di Siviglia, un opéra drôle et pétillant pour commencer la saison

L’ouverture de la saison 2018/2019 se veut festive pour l’Opéra nationale du Rhin (ONR) qui présente à cette occasion une des œuvres les plus populaires de l’opéra : Il Barbiere di Siviglia de Rossini.  Le chef d’orchestre italien Michele Gamba ainsi que le metteur en scène Pierre-Emmaniel Rousseau, qui signe également les décors et les costumes, feront à cette occasion leurs débuts à l’ONR. Pierre-Emmanuel Rousseau confie :

« Il Barbiere di Siviglia de Rossini, c’est une commande d’Eva Kleinitz pour l’ouverture de la saison, mais c’est aussi le premier opéra que j’ai vu étant enfant. Il y a un côté effrayant parce que c’est un titre très connu et que les œuvres les plus connues sont souvent les plus difficiles à aborder en raison des attentes qu’elles génèrent. »

Figaro jouant l’entremetteur entre Rosina et Almaviva (Photo: Klara Beck).

Revenir à ce que deviendront les personnages

L’opéra de Rossini est une adaptation de la comédie de Beaumarchais Le Barbier de Séville, joué pour la première fois en 1775. Il s’agit du premier volet de la trilogie Le roman de la famille Almaviva, porteuse du contexte prérévolutionnaire qui vit la perte d’équilibre puis la chute de l’aristocratie française. Des trois volets, le Barbier est le moins subversif et il l’est moins encore dans son adaptation par Rossini en 1816. Pierre-Emmanuel Rousseau souhaitait quant à lui revenir au propos social et politique de Beaumarchais en nourrissant ses personnages de ce qu’ils seront amenés à devenir dans Le Mariage de Figaro puis dans La Mère Coupable.

De fait, l’intrigue du Barbier ne marque pas par son originalité, qui est très proche d’autres comédies du XVIIe siècle où un vieillard voit son projet d’épouser sa pupille perturbé par l’arrivée d’un jeune homme. L’Ecole des femmes de Molière et La Précaution inutile de Scarron ont une intrigue très similaire. Toutefois, Le Barbier se démarque dans le fait que l’histoire d’amour naissante entre Rosina et Almaviva ne débouche pas seulement sur le « happy end » qui clôt la comédie et l’opéra. Le comte Almaviva se montrera infidèle envers la comtesse dès Le Mariage de Figaro, où il tentera d’user du droit de cuissage pour coucher avec Suzanne, la fiancée de Figaro. Puis, dans la Mère Coupable, nous apprendrons que le comte et la comtesse ont chacun de leur côté un enfant illégitime. Aussi, le metteur en scène peine à ne considérer Almaviva que comme il apparaît dans Le Barbier :

« Almaviva n’est pas qu’un bellâtre amoureux. Le Comte agit avec un sentiment de totale impunité, et semble prêt à dire à tout moment : « Je peux faire ce que je veux, c’est mon droit ! » (…) Il ne faut pas oublier ce que deviendra le Comte dans Le Mariage de Figaro ! »

Almaviva au balcon de la comtesse sous les traits de Lindoro (Photo: Klara Beck).

Un palais délabré et un monde qui s’effondre

Faire ressortir les motivations égoïstes des différents protagonistes et ne pas en faire des personnages sympathiques, voilà un des moteurs de cette mise en scène. De même qu’Almaviva n’est pas qu’un jeune éperdu d’amour pour Rosina, de même cette dernière voit dans le comte un moyen de s’évader : « Almaviva n’est qu’un prétexte » selon Pierre-Emmanuel Rousseau. Rappelons que la jeune femme est enfermée par Bartolo qui cherche à l’épouser et à capter son héritage. Le metteur en scène a donné à sa Rosina des allures de l’héroïne éponyme du Tristana de Buñuel. Dans ce film, Tristana est une jeune orpheline recueillie par son oncle, un aristocrate vieillissant, dont elle devient la maîtresse. Tous les soirs, elle se montre dénudée à la vue des jeunes hommes depuis son balcon, jusqu’à rencontrer son futur amant. Le balcon du Barbier, est également un lieu d’où on s’évade du vieux monde et d’où on séduit pour Rosina, et cela n’échappe pas à la vigilance de Bartolo.

En faisant ressortir les motivations individuelles des personnages, Pierre-Emmanuel Rousseau dépeint des caractères qu’il refuse d’embellir. Cette caractéristique est commune au metteur en scène et au peintre Francisco de Goya. Au service de la famille royale, celui-ci peignait ses membres en les représentant avec beaucoup de réalisme, sous leurs vrais traits (voir par exemple son tableau La famille de Charles IV (1801)). Ce n’est donc pas un hasard qu’il se soit inspiré du peintre espagnol pour concevoir les costumes de ses personnages, même s’il s’agit d’« un Goya qui aurait mis les doigts dans la prise ».

Quant à la scénographie, elle vient souligner l’enfermement de Rosina. A la fois intérieur et extérieur, le lieu ressemble à un palais décrépi en train de s’effondrer inspiré des palais délabrés de Barcelone aux palais des films de Visconti. Le décor est celui d’un monde de vieillards. Cet aspect est rehaussé par des personnages volontairement vieillis – en opposition à la jeunesse de Rosina, Almaviva et Figaro – ainsi que par la figure de Don Basilio, qui représente un obscurantisme clérical que certains qualifieraient de « moyenâgeux ».

Le décor est aussi paradoxalement troué d’ouvertures, qui font communiquer les différents espaces, et privé d’issue. Les fenêtres et autres percées donnent lieu à des jeux d’espionnages mais accentuent la captivité de Rosina. Quant aux sorties, elles sont toutes factices, y compris l’escalier dont il ne reste que des vestiges ; la seule échappatoire se fera finalement par le plafond.

Décors et costumes s’ancrent dans une Espagne XVIIIe siècle plus ou moins fantasmée, où une procession de la Semana Santa côtoie des références goyesques, un costume de torero, et une copie de la Vierge de la Macarena de Séville.

Rosina et Almaviva s’en vont en montgolfière (Photo: Klara Beck).

Il Barbiere offre un très bon divertissement grâce à une mise en scène drôle et millimétrée à laquelle il faut ajouter des interprètes talentueux et très à l’aise avec le jeu d’acteur : Ioan Hotea (le comte Almaviva), Leon Kosavic (Figaro), Marina Viotti (Rosina), Carlo Lepore (Bartolo), Leonardo Galeazzi (Basilio), Marta Bauzà (Berta) et Igor Mostovoi (Fiorello). On s’amuse notamment d’un Don Basilio sorte de Tartuffe aux accents de Nosferatu, des jeux et déguisements d’Almaviva ou des danses endiablées reprises par l’ensemble des personnages. Figaro, arborant veste patchwork, cicatrice et tatouages, est éclatant sous les traits d’un barbier filou, libre et sans attaches, à l’image de Beaumarchais ou de Rossini.


#Opéra national du Rhin

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles

Autres mots-clés :

Plus d'options