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« Enquête sur un scandale d’État », plongée au cœur des confessions d’un infiltré chez les Stups

Dans son troisième long-métrage, Thierry de Peretti décortique le travail acharné d’un journaliste et de sa source pour dénoncer un trafic d’Etat. Un échange sous tension incarné par Pio Marmaï et Roschdy Zem, époustouflants. Rencontre avec le réalisateur et son infiltré.

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« Enquête sur un scandale d’État », plongée au cœur des confessions d’un infiltré chez les Stups

Le 15 octobre 2015, l’équivalent de 20 millions d’euros de cannabis sont saisis par les douanes en plein cœur du 16e arrondissement de Paris, dans des camionnettes qui stationnaient depuis plusieurs heures. La drogue appartient à un gros dealer, qui se trouve être aussi l’infiltré numéro 1 de Jacques Billard (interprété par Vincent Lindon), le patron de Stups. Or, la cargaison avait totalement échappé à son contrôle. « Une stratégie », rétorque Jacques Billard. Le jour même, un ex-infiltré, Hubert Antoine (magistral Roschdy Zem) contacte un journaliste de Libération (incarné par Pio Marmaï) pour dénoncer au contraire, un système : il accuse l’État d’organiser le trafic en France.

Annoncé comme une fiction, le troisième long-métrage de Thierry de Peretti est un récit très documenté sur l’affaire François Thierry, ex-dirigeant de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS). Avec en toile de fond la révélation de la stratégie mortifère de l’État pour arriver à faire du chiffre et des coups médiatiques, le réalisateur fait surtout un film sur la rencontre de deux hommes en quête de vérité. Interview croisée.

Bande annonce

Rue89 Strasbourg: Pourquoi avoir fait un film sur les « justes » de ce scandale (l’infiltré et le journaliste) plutôt que sur les « voyous » (le dealer et le patron des Stups)?

Thierry de Peretti: La première raison tient au fait que j’ai rencontré Hubert Avoine et le journaliste Emmanuel Fansten et que j’ai pu passer du temps avec eux, alors qu’ils étaient encore plongés dans leur travail d’investigation. La toile de fond de la lutte anti-drogue et son dévoiement m’ont intéressé bien entendu mais aussi la personnalité de ces deux hommes.

« Tous les médias ne fonctionnent pas de la même façon »

Il y avait un vrai sujet dans l’exploration de ce journaliste du département Police-Justice de Libération, qui en même temps était remis en cause et conspué par d’autres médias. Je voulais réaliser un travail précis et juste sur Libération car tous les médias ne fonctionnent pas de la même façon, montrer comment il s’approprie sa source, comment il relie les éléments entre eux… D’autre part, un personnage d’infiltré, je n’en avais jamais vu à l’écran, en tout cas pas comme ça : on ne le voit pas en infiltration mais le film donne le récit qu’il rapporte de ce qu’il a vécu.

Thierry de Peretti Photo : Pascal Bastien

En effet, c’est un film sur la parole: le témoignage (est-il vrai ?), la parole médiatique, le débat journalistique ou judicaire qu’est-ce qui vous intéresse dans ce matériau et comment le travaillez-vous?

TP: La parole m’intéresse poétiquement, musicalement. J’aime essayer de déterminer les gens à partir de leur manière de parler, je projette des images puis au fur et à mesure je refais un point sur cette personne. Un de mes grandes joies au cinéma, c’est justement quand on m’emmène vers quelque chose et puis que je suis surpris, d’autres images se créent. Avec le personnage d’Hubert Antoine, la parole est aussi antique : plutôt que de la voir vivre, il nous raconte et nous donne son point de vue.

Le film s’ouvre sur un carton qui prévient le spectateur qu’il va voir une fiction, nous ne sommes pas dans le traditionnel « inspiré de faits réels »… et pourtant le film est très ancré dans le réel. Qu’est-ce que vous chercher à produire ?

TP: Je cherche à créer une dynamique avec le spectateur. Je donne une sorte de mode d’emploi au début puis au bout d’une demi-heure, effectivement, on se rend compte que tout ça est très documenté, très précis, on se questionne. Je ne veux pas que le spectateur passe son temps à réfléchir, attention, je veux qu’il se laisse envouter mais j’aimerais lui permettre une indépendance. Si je sens qu’un film est construit, programmatique, je m’ennuie, j’ai envie de fuir…

L’infiltré, une personne qu’on ne croise jamais dans la vie

Et vous Roschdy Zem, vous avez fait d’Hubert Antoine, un personnage incroyable, il a une grande maîtrise de lui-même et en même temps, on perçoit par des scènes subtiles, sa fragilité ou sa rage. Comment avez vous créé ce caractère ?

Roschdy Zem: La matière principale est mon imagination, je préfère partir sur un mode fictionnel plutôt que de chercher le mimétisme. J’ai travaillé à partir de tous les échanges enregistrés entre Hubert Avoine et Emmanuel Fansten. Là, a commencé à se dessiner une personnalité, avec sa musique, ses caractéristiques, que j’ai adaptée à ma propre personnalité. J’ai ajouté à cela les propositions du metteur en scène.

On sent qu’il vécu des choses à la limite de la légalité…

RZ: Le statut d’infiltré pose cette question : jusqu’où on va pour pouvoir agir sans être débusqué. Des infiltrés on n’en croise jamais dans la vie, c’est rare qu’à un diner quelqu’un vous raconte : je suis sur un coup là, mais je peux pas en parler… C’est une nébuleuse qu’on a du mal à percevoir et les pires idées nous traverse l’esprit. On sent qu’il en joue, ça fait sa force et sa part de séduction. Mais il refuse d’être considéré comme un voyou, il a un code d’honneur, pour lui être considéré comme ceux qu’il cherche à coincer, relèverait de l’insulte.

Roschdy Zem Photo : Pascal Bastien

Comme dans votre film sur l’affaire Omar Raddad, Hubert Antoine est aussi quelqu’un qui doit se battre pour faire éclater sa vérité.

RZ: Oui mais avec une différence notable : Hubert est armé. Le personnage d’Omar Raddad était complètement vulnérable, sans défense. Hubert a établi un plan très clair et il va utiliser ce qu’il est pour emmener les gens avec lui.

« Être déstabilisé pour un acteur de mon âge, c’est grisant »

Qu’est-ce que vous a apporté la façon de travailler de Thierry de Peretti, en plans séquences, avec beaucoup de préparation en amont et peu de découpage préétabli?

RZ: C’est la première fois que je travaillais ainsi et être déstabilisé pour un acteur de mon âge, c’est grisant. Son travail réside dans le fait de créer des conditions favorables pour produire de l’authenticité. D’abord on a pas mal théorisé puis de façon très concrète, il nous entoure de réel. Par exemple, quand on tourne une scène au restaurant, il continue à fonctionner, on travaille au milieu du service, avec les bruits ambiants et il n’y a pas de figurants. C’est le seul réalisateur qui nous disait de laisser nos portables allumés et de répondre s’ils sonnaient ! Il laisse la caméra tourner, sans réel début et fin de séquence, on a le temps de s’oublier et on plonge dans un moment de vérité. Avec Pio (Marmaï), on s’est dit qu’on avait le sentiment de ne pas jouer!


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