
Jean Vogel, maire de Saâles, a écrit une lettre ouverte à François Baroin, président de l’association des maires de France (AMF), pour lui faire part des déséquilibres entre les territoires ruraux urbains. Pour le maire de cette commune des Vosges alsaciennes, les territoires ruraux sont saignés par l’effort de réduction des dépenses publiques, alors qu’ils sont soumis à des charges plus importantes.
Monsieur le Ministre et Président,
J’en suis à mon quatrième mandat de maire et, avec les équipes qui m’ont accompagné tout au long de ces années au conseil municipal, l’effort a été permanent pour maintenir, voire en des temps plus fastes, développer la qualité de vie d’une population éloignée des grands centres et des bassins d’emplois. Les dépenses engagées ont toujours été calculées au plus juste et, autant que faire se pouvait, ajustées à un retour sur investissements.
Cependant, la baisse des dotations de l’État nous touche durement. En 2016, nous n’avons réussi à prévoir l’équilibre du budget que grâce à la promesse d’une aide exceptionnelle, en vue de la réalisation d’investissements obligatoires et indispensables.
Notre commune ne possède ni piscine, ni gymnase, ni médiathèque
Notre commune ne possède ni piscine, ni gymnase, ni médiathèque. La salle des fêtes est une ancienne usine du début du XXe siècle, la maison des associations est l’ancien foyer paroissial rénové. Nos enfants ne découvrent un gymnase que lorsqu’ils entrent au collège. Les dépenses de fonctionnement sont réduites au minimum et notre percepteur est prêt à le confirmer.
Pourtant, le conseil municipal a pris la décision de ne pas signer la motion proposée par l’Association des maires de France (AMF) demandant à l’Etat de revoir la baisse des dotations tant en volume que sur la durée.
Le texte nous a surpris et profondément déçus. À aucun moment il n’est question d’ « inégalité » et de « péréquation ». Faut-il rappeler que la baisse des dotations de l’État n’est que la partie émergée d’un iceberg, construit, il y a des décennies, autour de la défunte taxe professionnelle, dont le montant, selon la commune et par tête d’habitant, variait dans une proportion de 1 à 40. Certes, depuis sa suppression, ce rapport est moindre, mais demeure dans des proportions d’au moins 1 à 12.
Des charges plus élevées, des revenus amoindris
La situation des communes françaises est comparable à celle de deux salariés effectuant le même travail. L’un est payé au SMIC, l’autre dix fois plus. La productivité de l’entreprise demandant des ajustements, notamment des salaires, au lieu de tenir compte des distorsions en vigueur, chacun se voit appliquer la même proportion. Pire, l’entreprise demande au moins bien rémunéré de prendre en charge une partie des frais de cantine de son collègue. Combien de temps une telle situation pourra-t-elle perdurer ?
Faut-il insister sur les frustrations et les injustices qui en découlent ?
Concernant l’état des finances de notre collectivité, l’explication est multiple : éloignement des grands centres urbains, charges de centralité élevées et peu compensées, investissements à gérer en direct faute d’intervenants extérieurs (tourisme, logements sociaux), dotation générale de fonctionnement inférieure de 50% à celle des communes de population équivalente, absence de taxe professionnelle et donc aujourd’hui compensation ridicule, bourg-centre de l’intercommunalité très éloigné et concentrant les investissements communautaires, chute drastique des aides au titre de l’aménagement du territoire des conseils départementaux et régionaux…
Taxe sur le foncier plus élevée qu’ailleurs
Cet état de fait génère des inégalités inadmissibles entre les territoires. Notre commune n’est pas en mesure d’assurer 10% des services que propose la quasi totalité des villes, alors que le montant de la taxe d’habitation est au même niveau que celle de beaucoup de communes franciliennes. Nous abritons une population particulièrement précarisée, avec un taux de chômage dépassant les 20%, et le budget, que nous pouvons octroyer à l’école, est 3 à 4 fois inférieur par enfant au montant moyen des villes françaises.
La taxe sur le foncier bâti est, quant à elle, une fois de plus, source de fortes injustices. Le rapport entre le montant annuellement payé et la valeur du bien, avoisine 1 à 1,5% en Île de France alors qu’il peut osciller entre 2 et 8% dans beaucoup de communes rurales.
Je ne doute pas que l’objet de mon propos, ne serait-ce que par vos propres engagements dans ce domaine, vous est parfaitement connu et de longue date. C’est pourquoi, j’aimerais que vous puissiez avec courage et détermination défendre auprès de ceux qui nous gouvernent à la fois un soutien plus équitable, mais également une vision d’avenir des territoires ruraux, faute de quoi une bonne partie de la ruralité française risque de disparaître.
La commune Saâles compte 850 habitants et se situe au cœur du massif vosgien au sommet d’un col à 550 mètres d’altitude.
Veuillez croire, Monsieur le Ministre et Président, à l’assurance de ma considération distinguée.
Je connais assez bien Saales, qui la chance d'avoir un maire aussi formidable et dynamique que Jean Vogel, capable de se faire entendre au dela du petit cercle local.
La question des 36 000 communes françaises (un peu moins avec les derniers regroupements), soit près de 40% des communes de l'union européenne est sur la table depuis lurette, sans que grand monde n'imagine que des regroupements massifs seraient probablement source de mutualisation plus harmonieuse.
Admettons que ces regroupements ont débuté (surtout en Normandie et dans l'ouest), mais on est très loin du compte.
Pouvons nous nous permettre d'assurer - même l’extrême minimum - de services publics qu'évoque ici le Maire de Saales pour une population aussi réduite et relativement isolée ? Et si elles venaient en plus à grandir, faudrait-il qu'elle puisse bénéficier des équipements qui se doivent d'accompagner un bourg-centre qui croit ?
Et qu'en est-il des pratiques des habitants ? L'INSEE indique qu'il n'y a plus de rural en Alsace parce que les habitants des communes les plus isolées ont eu aussi des pratiques d'urbains, sinon au quotidien, au moins à la semaine...
Je compatis pleinement avec les habitants de Saales mais je ne peux m'empêcher de penser que dans un monde qui change, on peut difficilement prétendre maintenir l'égalité entre les territoires, d'autant plus quand le rural se confond de plus en plus avec le périurbain (sinon emplois et commerces notamment seraient encore sur place).
Et si l'équité, c'était justement de considérer qu'on ne peut plus vivre à Saales tout en espérant avoir un niveau de service égal ou proche ou cherchant à s’approcher de ceux de territoires plus partagés ?
Ce n'est donc pas équitable ! et on parle bien ici d'égalité sociale et républicaine.