Dans son bureau de l’Institut du droit local alsacien-mosellan, derrière la Cathédrale de Strasbourg, Éric Sander, secrétaire général, ne décolère pas :
« On a perdu cinq ans de travail. Je ne vois pas comment on va pouvoir rattraper tout ce gâchis. On a été victimes des querelles politiciennes sur un texte qui n’abordait que des questions techniques. Il ne s’agissait que d’adapter des dispositions du droit local à la situation actuelle. L’attitude des sénateurs socialistes est incompréhensible. »
Pourtant Éric Sander est plutôt un calme, un juriste dont la mission est de faire vivre un corpus législatif datant en partie du XIXe siècle et allant de la couverture maladie aux associations en passant par les corporations et le repos dominical. S’il est énervé, c’est parce que c’est lui qui a préparé avec sa petite équipe les textes présenté par le sénateur (UMP) André Reichardt et refusés par le Sénat le 19 juin. Un vote d’autant plus surprenant que d’habitude, un consensus alsacien sur ces questions permet de désamorcer d’éventuelles velléités jacobines des élus de la République.
Mais pour ce texte, rien ne s’est passé comme prévu. Trois articles devaient permettre le financement des corporations par les chambres des métiers, après la décision du conseil constitutionnel interdisant les cotisations obligatoires, l’article 4 devait autoriser les trois conseils généraux à financer l’informatisation du cadastre, l’article 6 réinstallait une taxe communale, l’article 8 consolidait le repos dominical et de certains jours fériés. Seul l’article 7, sur les organisations coopératives, a été adopté avec l’article 5 sur la prescription trentenaire du cadastre.
Un consensus étonnamment fragile
Techniques ou pas, ces dispositions ont été reçues fraîchement par les élus de gauche, et au premier rang desquels le rapporteur de la loi, le sénateur (PS) de la Haute-Saône Jean-Pierre Michel :
« André Reichardt a voulu faire un coup d’éclat avant les sénatoriales. J’ai un peu de métier, on ne me la fait pas. J’ai quand même passé beaucoup de temps sur ce projet de loi pour me rendre compte que les consensus clamés n’étaient pas aussi solides que ça. Lors des auditions par exemple, la fédération des artisans du bâtiment et même les chambres des métiers nous ont demandé de ne pas ajouter de nouvelle taxe dans la loi pour financer les corporations. Et en Moselle, ils ne voulaient pas en entendre parler ! »
Car un détail a plombé ce projet de loi : aucun sénateur mosellan quelque soit son bord politique n’a accepté de signer la proposition de loi. De son côté évidemment, André Reichardt se défend d’avoir voulu briller à quelques semaines des sénatoriales :
« Tous ces articles ont été préparés à l’Institut du droit local, pour certains depuis plus de cinq ans. Pour les corporations, il ne s’agissait que de permettre en Alsace-Moselle l’application des dispositions en vigueur dans le reste de la France. Les propositions ont été envoyées aux sénateurs de gauche pour qu’ils les valident ou fassent connaître leurs réserves. On n’a jamais rien reçu ! Et après, ils viennent nous dire que le texte a manqué de concertation !? »
Roland Ries : « pas de leçon à recevoir »
Roland Ries, maire (PS) et sénateur, a participé à une partie de la discussion en séance publique :
« Nous n’avons pas de leçons à recevoir d’André Reichardt sur le droit local, auquel je suis au moins autant attaché que lui. Sur ces questions, on aurait pu arriver à un consensus mais André Reichardt a systématiquement refusé qu’on débatte plus longtemps du texte en commission. Il avait clairement des arrières-pensées électorales. C’est dommage car ces luttes pourraient donner des armes à ceux qui pensent que le droit local est archaïque et qu’il devrait être supprimé. »
Autre sénateur PS alsacien, Patricia Schillinger rappelle que les dispositions sur les corporations et la taxe des riverains auraient pu être censurées par le conseil constitutionnel. Et elle aussi, soupçonne André Reichardt d’avoir voulu faire un coup :
« André Reichardt a fait son texte un peu tout seul, sans nous en parler contrairement à l’usage. L’examen a montré que certains articles visaient à contourner la décision sur conseil constitutionnel sur les corporations… On se serait retrouvés avec une nouvelle condamnation du droit local. Non, il faut être plus prudent sur ce dossier, savoir évoluer, tout en restant discret. »
Reste que dans son bureau, Éric Sander peut s’asseoir sur le projet de loi qu’il a contribué à rédiger. Selon lui, personne ne voudra reprendre ce texte à l’Assemblée nationale pour lui donner une chance de revivre.
Aller plus loin
Sur Sénat.fr : la proposition de loi tendant à moderniser certaines dispositions du droit local en Alsace-Moselle
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