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Les agriculteurs prêts à bloquer le pays, contre l’importation d’huile de palme

Dans la soirée du dimanche 10 juin, près de 80 agriculteurs du Bas-Rhin se sont installés à l’entrée de la zone portuaire de Strasbourg. Pendant sept jours, ils se relaieront avec des confrères lorrains, mosellans et haut-rhinois pour bloquer un dépôt de pétrole. Des opérations similaires ont lieu auprès des autres dépôts de carburant du pays.

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Les agriculteurs prêts à bloquer le pays, contre l’importation d’huile de palme

C’est une goutte d’huile qui a fait déborder le vase. Dimanche 10 juin, environ 80 agriculteurs bas-rhinois ont répondu présents à l’appel de la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA). Ils sont venus en voiture ou en tracteur pour s’installer à l’entrée de la zone portuaire de Strasbourg. Les exploitants agricoles sont excédés par l’importation à venir d’au moins 300 000 tonnes d’huile de palme en France.

L’huile de palme : un concurrent inégalable

En mai dernier, le gouvernement autorisait Total à importer cette matière première pour ouvrir la bioraffinerie de la Mède (Bouches du Rhône). Les agriculteurs d’Ebersheim, Scherwiller ou Erstein sont directement concernés. La plupart cultivent aussi de la betterave et du colza pour les vendre à des producteurs de biocarburant. L’huile de palme est un concurrent inégalable pour ces producteurs : les coûts de production sont bien moindres en Indonésie ou en Malaisie.

L’installation des tentes a débuté vers 20h. (Photo GK / Rue89 Strasbourg / cc)

Philippe, 50 ans, fait partie de ces agriculteurs en colère. Casquette siglée FDSEA (Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles) sur la tête, il est venu d’Ebersheim pour participer au mouvement. La vente de colza et de betteraves représente 40% de son chiffre d’affaires. Depuis l’annonce gouvernementale quant à l’importation d’huile de palme, l’exploitant est inquiet :

« On voit déjà les cours du colza baisser [depuis le début du mois de juin, ndlr]. En plus de cet accord avec Total, on subit la hausse du prix du gazole non routier. Le prix de mon plein a augmenté de 25%… »

L’impuissance face à la grande distribution

Le dépôt de carburant bloqué se situe rue de Rouen, à l’entrée de la zone portuaire de Strasbourg. Les exploitants agricoles s’affairent au centre d’un rond-point qui donne sur cette artère. Au milieu d’une dizaine de tracteurs Massey Ferguson ou New Holland, les agriculteurs installent un barbecue et déposent des cagettes de cerises, de tomates. Les plus jeunes escaladent les structures des tentes pour les recouvrir d’une bâche blanche.

Des cerises, des tomates, du jus de pommes… et de l’Elsass Cola!

Etienne Losser préside le syndicat des jeunes agriculteurs du grand Est. Il dit se battre aussi pour les futurs exploitants agricoles. Les résultats des États généraux de l’alimentation le déçoivent :

« Le projet initial de ces négociations était de nous donner des outils légaux pour négocier avec les grandes et moyennes surfaces. Peu à peu, le débat s’est focalisé sur l’environnement et la santé des consommateurs. De la loi Agriculture et Alimentation, les gens ne retiennent que la non-interdiction du glyphosate et l’absence de loi sur la vidéosurveillance dans les abattoirs. Mais pour nous, le problème du prix de nos produits reste entier face à la pression de la grande distribution. »

Les consommateurs prêts à payer plus ?

Une voiture passe et klaxonne. Le conducteur sort la tête de la fenêtre et crie : « On est avec vous! » Pour Gérard Lorber, secrétaire général de la FDSEA du Bas-Rhin, le soutien de la population est important. Mais cet agriculteur de Scherwiller doute que les Français soient prêts à payer leurs courses plus cher :

« Aujourd’hui, le gouvernement veut mettre en place une agriculture d’excellence. Je ne suis pas contre. Mais le panier moyen d’un ménage constitue 15% de son revenu. Est-ce que les gens sont prêts à augmenter cette part jusqu’à 20, voire 25% ? J’en suis pas sûr. »

Autre sujet de mécontentement pour ce producteur de lait, de betteraves et de colza : les normes et les charges qui pèsent sur les agriculteurs français. Gérard Lorber fustige l’importation de cerises turques traitées au diméthoate, un insecticide interdit en France. Tous les exploitants agricoles présents sur place dénoncent une concurrence déloyale.

« Il n’y a pas de vie là-dedans »

A côté du barbecue, quelques jeunes agriculteurs discutent. Parmi eux, Valentin Ruby regrette de ne pas être un de leurs confrères. « A la base, je travaille dans l’agricole mais je ne peux plus le faire. Il y a pas de vie là-dedans. » Robin North comprend ce point de vue. Ce travailleur agricole ne travaille pas pour son propre compte :

« Se verser un SMIC, c’est déjà compliqué pour les propriétaires de grandes exploitation. Et quand tu demandes à ton banquier de financer un projet agricole, il te rit au nez. »

Il est presque 22h. En deux heures, le QG est presque installé « pour sept jours… plus s’il le faut », affirme le cinquantenaire Gérard Lorber. Toutes les douzes heures, les protestataires seront relayés par des confrères de Lorraine, du Haut-Rhin, et de Franche-Comté. L’engagement se veut à la hauteur de la rancoeur, résumée par le secrétaire général de la FDSEA : « Pour le gouvernement de bobos parisiens, nous [les agriculteurs, ndlr] on existe pas. La terre, l’agriculture et la campagne, ils s’en foutent. »

« Le mouvement doit durer sept jours… », affirme Gérard Lorber, secrétaire général de la FDSEA.

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