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Avec Les Amandiers, Valéria Bruni Tedeschi rouvre les portes du théâtre dirigé par Chéreau dans les années 80

Dans son sixième long métrage, Valéria Bruni Tedeschi retrouve la fougue de ses années de formation au théâtre de Nanterre, dirigé alors par Patrice Chéreau. Rencontre avec une réalisatrice à l’image de son film : drôle et intense

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Avec Les Amandiers, Valéria Bruni Tedeschi rouvre les portes du théâtre dirigé par Chéreau dans les années 80

Valéria Bruni Tedeschi poursuit sa veine autobiographique en se penchant cette fois sur ses années de formation au théâtre des Amandiers, auprès de Pierre Romans et de Patrice Chéreau, directeur du théâtre de Nanterre de 1982 à 1990. La réalisatrice filme, au plus près des corps et des visages, ces jeunes exaltés par leur amour du jeu, cette excitation de se savoir au bon endroit au bon moment, avec des personnes qui leur ressemblent et qu’ils admirent. Stella (Nadia Tereszkiewicz) et ses camarades ont une rage de vivre et de jouer. Dans cette école hors des codes, ils brûlent les planches et la chandelle par les deux bouts, découvrant l’amour, la drogue, la paternité, le Sida…

Comme elle sait si bien le faire, aidée de ses deux amies Noémie Lvovsky et Agnès de Sacy, Valéria Bruni-Tedeschi alterne scènes intensément dramatiques et humour noir. Partie de ses souvenirs et de ceux de ses anciens camarades de l’époque – parmi eux Agnès Jaoui, Vincent Pérez, Marianne Denicourt, Bernard Nissille, Thibault de Montalembert ou Bruno Todeschini – elle a recréé une formidable troupe de comédiens, dont il y a fort à parier, comme leurs ainés, que l’on va en entendre beaucoup parler. Rencontre avec l’un deux, Oscar Lesage et Valéria Bruni Tedeschi

Rue89 Strasbourg: Pourquoi raconter cette histoire maintenant ?

Valéria Bruni Tedeschi : Je pense qu’il y a un temps juste pour raconter une histoire autobiographique. On m’a déjà dit, il faut attendre 7 ans, là j’en ai mis 30 ! Mais je n’y serais pas arrivé avant, si c’est trop proche c’est difficile.

Est-ce que vous avez retrouvé les sensations vécues à l’époque?

Je ne me pose pas la question par rapport à l’époque, de savoir si cela reflète ce que j’ai vécu. En revanche, c’était jubilatoire de vivre ce film avec ces acteurs-là, je suis très heureuse de les voir à l’écran et je trouve que c’est déjà pas mal. Je suis très amoureuse de cette bande que nous avons constituée avec Marion Touitou, la directrice de casting. Ils ne sont pas exactement fidèles à l’idée des personnages que nous nous faisions en écrivant le scénario car, en les rencontrant, nous sommes partis sur d’autres choses. Ce qui est important pour moi, c’est d’avoir eu cette énorme envie de les filmer en me levant le matin.

Vous avez répété un mois avant de commencer le tournage. Cela a permis cette liberté de jeu, cette énergie qui émane de ce groupe de comédiens ?

Oui, nous avons pris le temps de nous connaître, il fallait inventer un langage commun. Pendant le casting, nous avions déjà travaillé ensemble, je voulais plus de répétitions encore mais ce n’était pas possible donc j’ai fait un casting très long pour commencer les répétitions secrètement… Ensuite j’ai travaillé pour constituer un groupe, avec à l’intérieur, des méthodes de travail adaptées à chacun d’entre eux. C’est comme dans un pays, avec plusieurs dialectes: il faut trouver un langage commun mais aussi travailler la spécificité de chacun. En Italie, il y a beaucoup de dialectes… C’est bien cette image non ? Je viens de la trouver!

Stella (Nadia Tereszkiewicz) tombe follement amoureuse du toturé Etienne (Sofiane Bennacer) Photo : doc. remis

Comment Valéria a-t-elle travaillé avec vous Oscar ?

Oscar Lesage : On a beaucoup cherché ensemble. Et surtout, elle nous parle constamment pendant les prises, entre deux répliques !

Ah bon, comme Patrice Chéreau, que l’on voit travailler ainsi dans le film ? Mais ce sont des répétitions de théâtre ! Cela a dû être terrible pour l’ingénieur du son et le montage !

Valéria Bruni Tedeschi : François Waledish, le chef opérateur son, était furieux, plus que d’habitude ! Lors de la fête de fin de tournage, il avait une sorte de rage contenue et il m’a dit qu’il ne travaillerais plus jamais avec moi et qu’il n’avait plus envie de faire de cinéma. J’étais absolument désolée. Finalement il est revenu sur cette colère une fois qu’il avait digéré le tournage. Je lui ai dit que de toutes façons, je ne l’aurais jamais laissé faire ! J’aime travailler avec les mêmes personnes, je suis un grande fidèle, dans la vie comme au travail. Un peu comme une araignée qui tisse sa toile, une vieille araignée maintenant, je m’entoure des gens que j’aime, même les gens morts ! C’est pour ça que je travaille avec mon ex, mon actuel… mon futur (rires), ma mère, ma fille, mon amie comédienne Valéria Golino… Ma mère, je ne la vois pas beaucoup, alors j’en profite pour tourner avec elle, j’adore ma mère, je n’ai pas dû passer toutes les étapes psychanalytiques mais c’est comme ça, je l’adore.

Oscar Lesage : Pour revenir à la façon de diriger de Valéria, j’ai le souvenir d’une urgence: chaque scène est cruciale, il n’y a pas de petites scènes et aucune prise n’est pareille. Elle apporte des idées tout le temps. D’ailleurs, il y a d’autres scènes magnifiques qui ont été coupées au montage, c’était très riche. Elle nous pousse à toujours surprendre l’autre. Tu ne joues jamais « assis dans un pouf » si je peux m’exprimer ainsi.

Valéria Bruni Tedeschi : La version longue fait 4h30… Je leur ai promis que je leur montrerai bientôt. Avec Anne Weil, on a sans cesse cherché un équilibre entre l’histoire d’amour et les scènes de groupe. Si on restait trop sur l’histoire d’amour, on se plombait, si on restait trop sur le travail du groupe, on risquait de perdre le spectateur.

Louis Garrel interprète Patrice Chéreau, metteur en scène adulé par ses apprentis comédiens. Photo : doc. remis

En dehors de l’énergie de ce groupe, j’ai été surprise par leur insolence vis à vis de leurs « maîtres » Patrice Chéreau et Pierre Romans. Vous n’étiez pas impressionnés par ces figures tutélaires ?

Je crois qu’on était tous assez courageux oui. Avant tout, Patrice et Pierre cherchaient des personnalités pour leur théâtre. Qu’est-ce qu’une personnalité ? C’est un être humain qui décide d’avoir le courage de ne pas être conventionnel. Pour ce film, j’ai aussi cherché des personnes émouvantes, plus que de bons comédiens. J’ai le goût de la vérité, elle m’excite. Bien sûr, comme tout le monde, parfois je me plie à certaines règles mais quand je le fais, je m’ennuie.

Vous portez un regard qui m’a semblé très juste, sur les comportements toxiques de certains personnages : la drogue, la drague, la violence…

La seule vraie critique que je fais sur ce qu’il s’est passé à l’époque, concerne la drogue. Le fait que ceux que nous admirions tant se droguent devant ou avec nous, qui étions presqu’encore des enfants, je ne pouvais pas ne pas le critiquer. Il y a une responsabilité quand on travaille avec des jeunes. Mais c’était une école extraordinaire et Patrice et Pierre, tous les deux, étaient des génies. En ce qui concerne l’attitude de Patrice avec les jeunes garçons, c’était de la drague, mais, à l’époque, ce n’était pas grave. On n’avait pas les mêmes codes qu’aujourd’hui, il faut absolument remettre les éléments dans leur contexte. Ce n’était pas grave parce qu’il n’a jamais fait de chantage. Il se trouve qu’il aimait les jeunes garçons et plutôt les jeunes garçons hétérosexuels ! »

À la fin de l’entrevue, Valéria Bruni Tedeschi confie qu’elle n’a pas envie que des polémiques ternissent son film ou l’image de Patrice Chéreau, mais le film est suffisamment intelligent pour répondre par lui-même. Toute la beauté de Les Amandiers est justement de ne pas cacher les contradictions et les ambiguïtés de chacun.


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