
En tant que Strasbourgeois, vous ne pouvez pas ignorer les fondamentaux de la Cathédrale. Alors qu’elle fête pendant quelques mois son millième anniversaire, quand même. Voici huit points essentiels qui vous permettront de briller comme guide touristique.
La cathédrale de Strasbourg a ouvert en septembre les festivités de son millième anniversaire. Rayon vert, cloches des Juifs, deuxième tour… Ces concepts vous échappent et votre famille vient en week-end ? Pas de panique, Rue89 Strasbourg vous a listé les huit points que tout Strasbourgeois doit connaître par cœur sur Notre-Dame.
1- Un profil architectural unique
Millénaire en 2015, Notre-Dame de Strasbourg est la plus vieille cathédrale gothique au monde. Sa flèche culmine à 142 mètres, ce qui en a fait la plus haute de tour du monde chrétien jusqu’en 1874. Les rares clochers qui l’ont surpassée en Europe avant cette date ont tous fini par céder sous leur propre poids ou à cause des intempéries et surtout de la foudre. Aujourd’hui, la cathédrale de Rouen est la plus haute en France et quelques autres la dépassent aussi en Allemagne.
L’édifice repose sur des fondations de 1015, uniques au monde : la cathédrale est posée sur un socle de limon et d’argile renforcé par des pieux en bois enfoncés dans la nappe phréatique. Au début du XXe siècle, quand la régularisation du Rhin a fait baisser la nappe phréatique, le système a été renforcé par des coulées de béton.
2- La deuxième tour manquante
Au Moyen-Âge, la construction de l’actuelle cathédrale a pris près de trois siècles. À l’origine, elle était conçue sur le modèle de Notre-Dame de Paris, avec deux tours carrées. Plus tard le beffroi a comblé le vide entre les deux tours, puis on a construit le clocher et la flèche sur le tour nord. À la fin du XVe siècle, le projet de la seconde tour à flèche n’a jamais abouti.
Les historiens avancent diverses raisons pour cet abandon : manque de moyens financiers, style gothique passé de mode, sol pas assez stable… Au XIXe siècle des architectes allemands ont dessiné de nouveaux projets, sans suite. L’unique tour est restée l’image de la ville, visible à travers toute la plaine d’Alsace et jusqu’en Allemagne. Magie du XXIe siècle, les internautes peuvent aujourd’hui s’amuser à modéliser une deuxième tour virtuelle pour la cathédrale et percer les secrets de cette prouesse architecturale en visitant le webdocumentaire le Défi des bâtisseurs.
3- 150 ans de protestantisme
Comme de nombreuses églises catholiques de la ville, la cathédrale a été un lieu de culte protestant durant plus de 150 ans. Dès le début de la Réforme en 1517, Strasbourg a été l’une des premières villes à appeler au changement. Logiquement la cathédrale a été une place forte de cette révolution religieuse. Dès 1518, les thèses critiques de Luther ont été affichées sur ses portes. L’imprimerie a ensuite permis de largement les diffuser dans la région. La cathédrale a été utilisée par le culte protestant en 1529 et la ville a adhéré au luthéranisme en 1532. Ces bouleversements se sont suivis d’une véritable guerre entre les responsables protestants et les évêques catholiques.
C’est Louis XIV qui a mis un terme à la domination protestante à Strasbourg, quand il s’est emparé de la ville après la guerre de Trente Ans. Le Roi a rendu la cathédrale aux catholiques en 1679, en même temps qu’une quarantaine d’églises de la cité.
4- Un bonnet phrygien sur la flèche
Lors de la Révolution française, la cathédrale a dû affronter les assauts des Jacobins. Ses protecteurs ont rusé pour la préserver. En 1793, la flèche a été mise en procès devant un tribunal révolutionnaire car sa hauteur faisait « injure à l’égalité ». Pour la sauver de la destruction, le maître serrurier Stultzer a finalement convaincu les républicains de coiffer le clocher d’un bonnet phrygien géant, qui « vanterait les vertus de la Révolution jusqu’en Allemagne ». La cathédrale a donc porté la coiffe révolutionnaire de tôle rouge vif pendant neuf ans. Les Alsaciens l’on surnommé le Kàffeewärmer – la chaufferette à café. L’objet insolite, conservé par la suite à la bibliothèque municipale, a été détruit par les bombardements allemands en 1870.
Des centaines de statues ont été détruites pendant la Révolution et la plupart des cloches fondues pour faire des canons. En 1793, la cathédrale a été transformée en temple du culte de la Raison. Elle a été rendue aux catholiques en 1801 et les grands travaux de restauration ont débuté en 1813.
5- L’horloge astronomique du XIXe siècle
L’horloge astronomique est la grande attraction de la cathédrale. Son jeu d’automates attire trois millions de curieux chaque année, d’après le Fondation de l’oeuvre Notre-Dame. Il est visible tous les jours à 12h30. L’horloge indique l’heure, les calendriers civil et religieux et des données astronomiques. Elle a précisément relevé une éclipse de lune le 28 mars 2006. Elle est installée dans un buffet du XVIe siècle, mais son mécanisme ne date que de 1842.
Il est l’œuvre du strasbourgeois Jean-Baptiste Schwilgué, génie autodidacte à la fois mathématicien, astronome et mécanicien. Aujourd’hui, un conseil scientifique et un horloger veillent sur l’horloge, qui est remontée tous les lundis.

L’horloge astronomique a relevé une éclipse de lune en mars 2006. (Photo Alexandre Prévot/FlickR/cc)
L’horloge actuelle est la troisième de l’histoire de la cathédrale. La première a fonctionné de 1354 jusqu’au début du XVIe siècle. La deuxième a été réalisée avec le buffet et les décorations actuels en 1571 et a cessé de fonctionner à la veille de la Révolution. Elle était le fruit du travail d’un peintre, de deux horlogers et de deux mathématiciens, dont le célèbre Conrad Dasypodius. Sa légende raconte qu’il aurait eu les yeux crevés pour ne pas reproduire ailleurs d’horloge identique à la pièce strasbourgeoise.
Quelques siècles plus tard, les ambitions horlogères de la cathédrale continuent : l’artiste strasbourgeois Daniel Depoutot finalise actuellement l’Horloge du millénaire. Le sculpteur devrait exposer son mécanisme de métal et d’automates de 10 mètres de haut en mars 2015, face à l’horloge astronomique.
6- L’énigme du rayon vert
Deux fois par an, la cathédrale est le théâtre d’un événement mystérieux : le rayon vert. À 11h38 lors de l’équinoxe de printemps, fin mars, et à 12h24 lors de l’équinoxe d’automne, fin septembre, le soleil traverse le pied de verre d’une représentation du patriarche Juda et projette une lumière verte sur la chaire, précisément au-dessus de la tête d’une statue du Christ.
Il a fallu attendre le nettoyage du vitrail en 1972 pour que l’ingénieur-géomètre Maurice Rosart découvre le phénomène. Le vitrail miraculeux avait pourtant été installé un siècle plus tôt. Aucune trace d’une intention des auteurs n’a jamais été trouvée et ce mystère a alimenté des interprétations ésotériques. Pour Maurice Rosart, le dessin de Juda, pointant du doigt son pied gauche découvert en regardant le soleil traduit avec évidence la volonté des auteurs d’attirer l’attention sur le rayon vert.

Conçue et réalisée au XIIIème siècle par l’architecte Maître Erwin, la rosace est le seul vitrail qui a été restauré.(Pascal Subtil/FlickR/cc)
À deux exceptions près, les vitraux de la cathédrale sont d’origine, comme ceux de la cathédrale de Chartres. La majorité d’entre eux a été réalisée en série de l’époque gothique à la fin du Moyen-Âge. Ils suivent donc une logique d’ensemble, alors qu’ailleurs les vitraux sont souvent disparates, offerts individuellement. La rosace a été entièrement restaurée. Les bombardements américains de 1945 ont détruit les vitraux de l’abside, au fond du cœur. Pour les remplacer, le Conseil de l’Europe a offert en 1956 le vitrail de la Vierge.
7 – Un système de cloches unique en Europe
La cathédrale de Strasbourg recèle le plus riche ensemble de cloches de France. Son système de double sonnerie est unique en Europe. À côté des quatre cloches simples pour les heures, elle dispose de 16 cloches de volées, pour les offices, les angélus et les glas, réparties entre le beffroi à l’avant et la tour Klotz, octogonale, érigée à l’arrière de l’édifice en 1878.
Les cloches sonnent chacune un ton musical précis et sont accordées entre elles. Les quatre cloches les plus récentes ont été installées dans la tour Klotz en septembre 2014 pour l’ouverture du Millénaire de la cathédrale. Dans le beffroi, le grand bourdon, la cloche la plus impressionnante, est vieux de près de six siècles. À ses côtés, la Zehnerglock, la cloche de dix heures, annonce l’heure du couvre-feu depuis 1786.
8- Les stigmates de l’hostilité aux Juifs
Pour beaucoup de Strasbourgeois, la cloche de dix heures reste aujourd’hui « la cloche des Juifs » qui rappelle l’époque où les Juifs étaient chassés de la ville à la fin de la journée. Dans les faits, cette cloche aurait sonné la fermeture des portes jusqu’à la Révolution, puis annoncé à 22h le couvre-feu, le moment où les habitants devait éteindre leurs foyers pour prémunir la cité des incendies. Mais du Moyen-Âge à la Révolution, la plate-forme de la cathédrale a bien eu un usage strictement antisémite : les autorités locales y soufflaient la corne des juifs, pour intimer aux Israélites, bannis de Strasbourg, l’ordre de quitter la Ville à la fermeture des portes. À l’origine, l’instrument en question était un shofar, une corne du jubilé, dérobé dans une synagogue lors du pogrom de 1349.
Sur les façades de la cathédrale, deux statuaires témoignent des siècles d’anti-judaïsme de l’Eglise catholique. Ils reprennent le thème médiéval de l’Eglise triomphante et de la Synagogue aveugle. L’allégorie est visible juste au-dessus du portail principal. Représentées sous forme de femmes, L’Eglise et la Synagogue se tiennent de part et d’autre du Christ en croix. Un serpent encercle le visage de la figure juive et lui couvre les yeux. Sur le portail sud, place du Château – non visible en ce moment pour cause de travaux – deux autres église et synagogue se font face : la première est fière et majestueuse, la seconde est courbée et aveuglée par un bandeau. Cette symbolique médiévale exprime la théologie de la Substitution, en vigueur dans l’Eglise catholique jusqu’au Concile Vatican II au milieu des années 1960 et selon laquelle les chrétiens étaient le véritable peuple de Dieu et les Israélites accrochés au judaïsme après l’arrivée de Jésus étaient dans l’erreur.
Aucune explication n’accompagne pour le moment ces statuaires. Si cela devait se faire, il faudrait alors prévoir des pancartes pédagogiques pour de très nombreux autres détails de la cathédrale qui recèlent bien des secrets. Des visites guidées sont organisées toute l’année avec des guides de l’Office du tourisme de Strasbourg.
Aller plus loin
Sur le site de la cathédrale de Strasbourg : la rubrique Art et Histoire
Sur le site des musées de la ville de Strasbourg : la présentation du musée de l’oeuvre Notre-Dame
Sur le site du musée virtuel du protestantisme : le récit de l’installation de la Réforme à Strasbourg
Sur le site du judaïsme en Alsace-Lorraine : Les juifs et le judaïsme dans l’Art médiéval en Alsace
Pourriez vous me renseigner sur cette fosse à argent que l'on découvre dans la cathédrale de Strasbourg. Merci pour vos réponses.
Cordialement.
Publiez d'autres études sur les monuments de Strasbourg
au lieu de stériles polémiques politiques !
Sentiments cordiaux.
Tef TRAVAPEUR
Il faisait beau mais frais ce jour là en 1961. :)
Cependant, je ne peux que faire une remarque concernant la légende de la photo qui montre les différentes phases des fondations.
avec l'une d'elles qui mentionne
"Les vestiges du camp romain de la IXe légion, 300 av. J.-C. "
La première erreur est celle de la datation, les Romains n'ont pas conquis la Gaule et la Germanie en 300 av J.-C.!! Vous mentionnez une date près de 250 ans AVANT la campagne de César (58-51 av)!
Les premiers éléments de fortifications furent mis en place par la IIe Légion et datent de 15 de notre ère, autrement dit sous le règne de Tibère, successeur d'Auguste. Il en reste très peu de traces.
Autre erreur qui se cache dans cette légende :
Les principaux vestiges connus du camp romain furent mis en place par la VIIIe légion Augusta (et non pas la IXe) qui est transférée de Mirebeau-sur-Bèze à Strasbourg, à partir de vers 90 de notre ère, sous le règne de Domitien. La VIIIe légion vient remplacer la IIe qui est transférée en Bretagne (la Grande-Bretagne actuelle).
Quelques questions de logique, aussi : la Zehnerglock résonne-t-elle depuis 1786 ou depuis le Moyen-Age? Par ailleurs, ce n'est pas de la tour de la cathédrale qu'était sonné le shofar - dont un exemplaire est encore au musée historique - mais bien de la plate-forme de la cathédrale. Et c'est cet usage intensif de la plate-forme à des fins de surveillance et de défense de la ville (jusqu'au XIXe siècle, des gardiens de nuit avec des chiens montaient tous les soirs et passaient la nuit sur la plate-forme pour surveiller cette ville à couvre-feu, une exception en Europe) qui a fait qu'une seconde tour de la cathédrale n'a jamais été construite.
Ceci expliquant cela. Il y a de nombreuses archives sur ces gardiens qui avaient leur guérite sur la plate-forme, tenaient lieu de surveillants des portes de la ville le jour, puis de guides touristiques, etc...
Un problème, c'est la page Wikipedia sur la cathédrale de Strasbourg, qui à ce jour est rédigée de manière insistante sur le catholicisme romain de la cathédrale, notamment en la nommant constamment "Notre-Dame de Strasbourg" et "Liebfrauenmünster".. https://fr.wikipedia.org/wiki/Cath%C3%A9drale_Notre-Dame_de_Strasbourg
Or, la cathédrale de Strasbourg s'appelle communément "Münster" et non pas "Liebfrauenmünster". En témoignent les nombreux "Münsterbüchlein" édités au cours des siècles, ces petits guides illustrés sur les sculptures et éléments notables de l'édifice.
Ces livres sont généralement des reprises du célèbre livre sur la cathédrale d'Oseas Schad, il est vrai, un chroniqueur... luthérien ! Mais c'est le premier à s'être penché sur l'architecture et l'iconographie du bâtiment (Fac similé de l'original de 1617 en latin http://reader.digitale-sammlungen.de/de/fs1/object/display/bsb11064945_00002.html ; Une édition en français : http://reader.digitale-sammlungen.de/de/fs1/object/display/bsb10059677_00003.html).
Ah et puis, un détail important : non la cathédrale de Strasbourg n'est pas "la plus vieille cathédrale gothique au monde", puisqu'au moment de sa fondation, le gothique n'existait pas. Si on veut jouer sur les mots, c'est la Cathédrale Saint-Étienne de Sens qui est "la plus vieille cathédrale gothique au monde", mais le "francigenum opus", qui sera méchamment appelé "gothique" à la Renaissance, est l'oeuvre de l'abbé Suger pour l'abbatiale de Saint-Denis (Saint-Denis, dans le neuf-trois).
Le gothique, ce n'est pas seulement une architecture, mais une pensée qui est à l'oeuvre, pour permettre au peuple de se recueillir sur des reliques sans se faire écraser, donc dans un bâtiment vaste, avec de la place pour une grande foule.
Voila voila.
Il y a beaucoup à dire sur la façon dont l'histoire est conçue et présentée à Strasbourg, mais vous faites un pas vers plus de clarté, et c'est un bon début!
Merci pour cet article, et citez plus de sources, c'est important dans un monde d'information et de numérisation des archives comme le nôtre.
L’actuelle cloche de dix heures date de 1786. Elle a remplacé une cloche qui sonnait depuis la fin du Moyen-Âge, depuis 1508 exactement d’après une information de France 3.
La corne des Juifs était en effet utilisée depuis la plateforme de la cathédrale et non depuis la tour. Mon erreur vient d’être corrigée.
Les fonctions et l’origine exacte de la cloche de 22h continuent de faire débat parmi les historiens. Pour les uns son usage antisémite est un pur fantasme, pour les autres, il demeure son sens principal. Entre les deux, il est certain que la sonnerie de dix heures fait de toutes les façons échos à l’époque où les juifs étaient bannis de Strasbourg et n’avaient donc plus rien à y faire à la nuit tombée.
Concernant la Zehnerglock, oui, le problème est assez compliqué, mais pas forcément pour les raisons que l'on pense.
Si la cloche de 1786 dont vous parlez et qui sonne actuellement à 10h avait été dans le beffroi depuis tout ce temps, elle aurait normalement été fondue à la Révolution française, car des cloches du beffroi, seul le gros bourdon subsiste.
Je n'ai trouvé aucune mention de cette cloche dans les chroniques d'auteurs du XIXe et XXe qui détaillent les cloches de la cathédrale de Strasbourg.
Voici quelques éléments et le lien exact des cloches avec le Grüselhorn:
La sonnerie du Grüselhorn tous les soirs à Strasbourg jusqu'en 1790, résultait d'un édit municipal publié après les événements de 1349 (destruction de la communauté juive de Strasbourg sur une accusation de trahison et empoisonnement de puits) :
"A la suite de quoi, on fit faire un cor et le Conseil de cette ville ordonna qu'on le sonne deux fois chaque nuit du haut de la cathédrale, à la disgrâce et à la honte des Juifs." (Twinger von Königshofen, 1415).
On trouve des règlements municipaux du XVe et XVIe siècle sur cette sonnerie nommée le cor d'effroi, le cor des juifs (Grüsel, Judenbloss).
Aussi bien Silbermann (1744) que Grandidier (1782) mentionnent la corrélation entre la première sonnerie du Grüselhorn, et la "Scharwächterglock" (cloche des veilleurs) :
"On donne aussi huit ou neuf coups de cette cloche lorsque les gardes de la plate-forme font retentir le cor du Grüselhorn" (Grandidier).
Delahache (1910) précise le rôle des gardiens de la plate-forme qui sont "chargés depuis des temps lointains d'offices divers : répéter par une sonnerie à main celles de l'horloge de la tour, sonner la cloche de dix heures du soir, et en général toutes les sonneries indépendantes du culte".
La cloche de garde (Wachtglocke) figure déjà dans un règlement municipal de 1456, qui précise qu'après la troisième sonnerie de cette cloche, les passants doivent être munis d'une lumière pour circuler dans les rues et que tout tapage nocturne est interdit. Les heures de sonnerie de la Wachtglocke étaient fixées par le bourgmestre (Ammeister) et la cloche était sonnée par les gardiens de la cathédrale.
Ces deux sonneries, le cor et la cloche de garde, étaient donc toutes les deux des sonneries "municipales" et non pas religieuses.
Cette vocation exclusivement civile d'une partie des cloches de la cathédrale a bien été confirmée à la Révolution française, et à ce titre, ces cloches n'ont donc pas été détruites.
Mais quelle cloche est vraiment la "Zehnerglock"?
Nous avons trois témoignages de chroniqueurs sur trois siècles d'affilée, en 1732 (Seyfried), 1817 (Schuler) et 1910 (Delahache).
Au XVIIIe, Seyfried (1732), mentionne l'existence de deux cloches distinctes, toutes deux fondues par par César Bonbon : la "Thor Glock", fondue en 1691, et la "Zehener Glock" fondue an 1692.
Au XIXe siècle, Schuler (1817), mentionne de la même manière la "Thorglocke", fondue en 1691 par Bonbon et Rosier, et dit qu'elle figure dans la tour octogonale.
Selon lui, l'origine de la Thorglocke, la cloche des portes, remonte à 1330 (soit avant les événements de 1349, l'instauration du Grüselhorn, et l'achèvement de la flèche en 1439). Elle aurait été refondue trois fois, en 1618, 1641 et 1691.
Schuler parle également d'une "Feyerabendglocke" dans le grand beffroi, dont la fonction était la sonnerie de 10h, une sonnerie qui aurait été reprise par la suite (mais Schuler ne précise pas quand) par la "Thorglocke" : "Die Feyerabendglocke die Abends um 10 Uhr geläutet wurde, was jetzt eine andre Glocke tut" (La cloche du couvre-feu qu'on sonnait à 10 heures du soir, ce que fait maintenant une autre cloche).
Est-ce en 1793? On sait qu'à l'exception de la grosse cloche, toutes les cloches du beffroi, dont celle-ci, ont été fondues à la révolution.
Au début du XXe siècle, Delahache prévient dans une note qu'il "subsiste quelque incertitude dans l'histoire des cloches de la cathédrale". Il parle de 9 cloches pour la cathédrale, dont 4 (dans le beffroi au-dessus de la rosace), sont affectées au service religieux, et 5 (dans la tour octogonale de la flèche) sont affectées au service civil (municipalité et horloge).
C'est parmi les cloches de service civil que Delahache mentionne "la cloche qui annonçait autrefois la fermeture des portes de la ville et qu'on sonne encore aujourd'hui tous les soirs de 10 heures à 10h 1/4. Elle a été fondue par César Bonbon et Jean Rosier à la fin du XVIIe siècle".
Une confusion a peut-être alimenté la notice de Wikipédia ("Cathédrale Notre-Dame de Strasbourg" - consultation au 13/102014) qui mentionne une "Torglocke" qui se serait trouvée "à l'origine" dans l'octogone de la flèche :
"Le beffroi abrite encore une autre cloche de volée, la Torglocke, aujourd’hui appelée Zehnerglock (cloche de dix heures) et qui se trouvait à l'origine dans l'octogone de la flèche."
Or actuellement, c'est bien la "Thor Glock" de César Bonbon de 1691, une cloche qui figure au patrimoine du Ministère de la culture, qui sonne les heures à Strasbourg (cloche fixe martelée) qui se trouve dans la tour octogonale, c'est à dire la partie "civile" des cloches de la cathédrale.
Comment expliquer tous ces points d'ombre?
Le Grüselhorn est supprimé en1790, mais pas la sonnerie de cloche correspondante, exécutée par les gardiens.
Etait-ce une sonnerie de frappe avec une cloche dans la tour octogonale, ou une sonnerie à la volée dans le beffroi?
En 1793, une partie des cloches est supprimée. La Zehnerglock figurait-elle parmi elles?
Mais dans ce cas, comment se fait-il qu'elle sonne encore aujourd'hui?
A-t-elle été remise en service? Quand, par qui et pourquoi?
Qu'était vraiment la Thorglocke, sur laquelle était gravé en 1618 "Das Bös hinaus, das Gut herein"?
Pourquoi une ville aussi bien documentée que Strasbourg a-t-elle une histoire si confuse sur ce point?
C'est là la principale interrogation sur la Zehnerglock.
La reddition de Strasbourg face aux troupes de Louvois se passe quand même 33 ans après la fin de la guerre de Trente Ans.
"La majorité d’entre eux a été réalisée en série de l’époque gothique à la fin du Moyen-Âge."
Cela n'empêche pas d'admirer les vitraux romans du bas-côté nord, représentant les Empereurs de Saint Empire, et récupérés de la cathédrale romane antérieure.
Il est fort possible que la sonnerie de dix heures soit la dernière survivance de la "Lumpenglocke" qui, au 19e siècle, signalait dans toutes les communes l'heure de fermeture des débits de boissons.
L'heure de fermeture des débits de boisson semble bien être un problème strasbourgeois, enfin si on en juge les dernières démêlées :-)
Mais peut-être est-ce parce que notre ville n'a pas une bonne mémoire...
S'il n'a pas été éclairé par l'histoire, le passé ressurgit toujours.
Donc, pour être précis, la Zehnerglock comme "Lumpenglock" est une hypothèse récente, émise par l'archiprêtre et chanoine de la cathédrale Bernard Eckert dans une interview à Nicole-Lise BERNHEIM pour son ouvrage, qui a créé la polémique à Strasbourg à l'époque, "La cloche de 10 heures, Radiographie d'une rumeur", paru en 2002 aux Cahiers de la Nuée Bleue.
Voici l'explication de Bernard Eckert qui n'a pas l'air très sûr de lui :
"C'est une magnifique cloche qui sonnait le couvre-feu. A l'époque, on craignait l'incendie, il fallait souffler les chandelles, couvrir le feu. Cela pourrait se conjuguer avec la Lumpenglock […] une sonnerie dirigée contre les vagabonds, les ivrognes, les jean-foutre. Cela pouvait être un signal qui indiquait aux gens qu'ils devaient dégager la chaussée afin de ne pas risquer les mauvais coups, ça pourrait être ça."
Cette thèse historique d'une cloche de 10 heures de Strasbourg à seul usage de couvre-feu (au sens littéral de "protection contre les incendies"), et qui serait impérativement non-liée à la question juive, on peut en relever les premières manifestations dans le courrier de 1991 de l'archevêque Mgr Bockel aux Dernières Nouvelles d'Alsace.
Cette thèse se cristallise ensuite dans le grand livre sur la cathédrale paru en en 2007 aux éditions La Nuée-Bleue/DNA, "La grâce d'une cathédrale", un ouvrage collectif édité sous la direction de l'archevêque Mgr Doré.
Mais elle n'est pas clairement étayée et contredit d'autres données historiques.