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Les urgences de l’hôpital, malades de longue durée

Chaque année à la même époque, les services des urgences des hôpitaux de Strasbourg sont surchargés, contraints de refuser des patients, renvoyés à Sélestat, Mulhouse ou Kehl. En cause le vieillissement de la population, qui accroît la demande de soins. Du coup, les médecins passent des heures à essayer de trouver des lits pour leurs patients et il n’est pas rare qu’un malade reste plus de 10 heures sur un brancard à l’hôpital.

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Les urgences de l’hôpital, malades de longue durée

L'entrée des urgences du Nouvel Hôpital Civil à Strasbourg. (Photo PF)

Les services d’urgence des hôpitaux de Strasbourg sortent peu à peu de la période « rouge », l’hiver et le début du printemps. Pour la moitié du personnel soignant chaque année, cette période sert de déclencheur pour demander une mutation. Trop de stress, trop peu de moyens, trop de temps passé à faire autre chose que soigner… Médecins et infirmières craquent et cette année n’a pas échappé à la règle puisqu’en 2011, le nombre d’admissions dans tous les services d’urgences à Strasbourg a augmenté de 12%.

Les hauts cris du Dr Pelloux se sont tus et pourtant cet hiver, comme chaque année, des malades ont passé des dizaines d’heures sur des brancards, faute de lits. Et des patients ont occupé parfois pendant plus de 10 jours des lits « d’observation » prévus pour une durée de 24 heures maximum.

Chef des urgences aux hôpitaux de Strasbourg, le Pr Jacques Kopferschmitt avoue une certaine lassitude :

« Sur vingt médecins, j’en perds un à deux chaque année. Le système conduit à un épuisement professionnel, le personnel a le sentiment de ne pas pouvoir réaliser correctement son travail. On diagnostique, on applique les premiers traitements, mais ensuite on passe des heures et des heures à essayer de trouver des lits pour nos malades. Car sans nos lits, nous ne pouvons pas sortir les patients des box d’observation et sans box ni brancard de libre, nous sommes obligés de refuser des admissions. On ne va pas poser les malades par terre ! Alors nous disons au régulateur qu’on est pleins, d’envoyer les malades ailleurs… et c’est arrivé à plusieurs reprises cet hiver. »

Les malades envoyés à Sélestat, Kehl ou… Mulhouse

Les malades sont alors envoyés à Sélestat, Haguenau, Kehl ou même Mulhouse… Une situation dramatique pour les patients surtout lorsqu’il reste des lits vides à l’hôpital. Mais voilà, ils sont réservés. Les services de l’hôpital gèrent leurs admissions comme les hôtels leurs réservations : des créneaux sont proposés aux patients qui doivent se faire hospitaliser et pas question de les reporter. Depuis des décennies, le Pr Kopferschmitt demande que les patients des urgences aient la priorité sur les lits des autres mais… aucun service ne veut voir une personne très âgée s’éteindre dans une de ses chambres.

Car c’est bien là le problème : les personnes qui arrivent aux urgences ont changé. Ils sont plus âgés, leurs pathologies sont plus complexes, ils ont bien souvent des soucis de santé chroniques… Personne n’en veut. Une infirmière du service confirme :

« L’unité courte durée, ça ressemble au service de géronto-psychiatrie. On doit gérer des gens en fin de vie, ou pour qui le maintien à domicile est impossible. C’est bien simple, on reçoit les patients dont personne ne veut. »

Mais pour Laurent Habert, directeur de l’Agence régionale de santé d’Alsace, les urgences souffrent car il manque un chaînon dans le dispositif d’accueil des malades :

« Toute la difficulté réside dans la régulation. Bien des cas se résolvent par un conseil et une orientation vers une structure adaptée. Ce qui engorge les urgences, ce sont les personnes mal aiguillées, car on constate que les traumatismes et autres urgences vitales n’augmentent pas. Il manque des structures de médecine générale qui pourraient accueillir les personnes malades y compris la nuit, des structures connues de tous afin que les gens s’y présentent spontanément lorsqu’ils ont besoin de soins. »

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Les cliniques choisissent leurs clients

Des cliniques par exemple ? Malheureusement, la participation de trois cliniques privées (Diaconesses, Sainte-Odile, et Sainte-Anne depuis 2011) à la mission d’accueil d’urgence à Strasbourg n’a pas permis de réduire le flux de malades vers les deux hôpitaux. Car les cliniques n’accueillent guère les cas lourds, préférant les cas ne nécessitant pas d’hospitalisation. Ce qui n’est guère étonnant puisque le forfait de la Sécurité sociale pour une admission en urgence ne comporte qu’une seule nuit. Au delà, la structure d’accueil perd de l’argent. Par ailleurs, les urgences vitales ou graves, ainsi que les urgences pédiatriques, sont systématiquement dirigées au CHU.

Le drame est que si les cliniques semblent faire bande à part dans le traitement des urgences, les services de l’hôpital semblent aussi s’éloigner les uns des autres, chacun ses lits, chacun ses pathologies, chacun son planning… Pour le Pr Kopferschmitt, cette évolution est néfaste :

« Tout ce qu’il manque à l’hôpital, ce sont des lits de suite, des lits de médecine générale pour que les patients ressortent soignés de l’hôpital. Aux urgences, un malade voit un médecin dans la demi-heure après son arrivée, même en plein rush. Son diagnostic est posé rapidement. Ce que les patients attendent trop longtemps, c’est la réponse définitive à leur problème. Car on priorise les arrivées justement ! On s’est fixé une durée maximum dans un lit d’urgence de quatre heures, comme en Grande-Bretagne. Bon, on n’y arrive pas, on a une durée moyen de sept heures mais on pourrait s’inspirer de leur système et mettre à contribution le reste de l’hôpital au traitement des malades arrivés par les urgences. »

Selon l’ARS, tous les hôpitaux doivent disposer d’un plan permettant de soulager les urgences en cas de tension sur le service. Et tous les directeurs d’établissement peuvent déprogrammer des admissions dans les autres services, toujours pour relâcher la pression sur les urgences. Mais la direction des hôpitaux de Strasbourg ne veut pas mettre en place de plan qui pérenniserait une situation qu’elle considère comme n’étant pas de son champ d’action, comme l’explique Jean-François Lanneau, directeur adjoint des hôpitaux :

« Les urgences sont victimes d’un malentendu. Un plateau technique comme le nôtre, ce ne devrait pas être utilisé pour la « bobologie » ni de l’accueil social, mais réservé aux urgences vitales. Et si c’était le cas, il n’y aurait aucun problème aux urgences. Si vous revenez 30 ans en arrière, il y avait des systèmes de garde partout dans la ville… Aujourd’hui, tout le monde se défausse sur l’hôpital alors évidemment, ça coince. En hiver, nous ouvrons une quinzaine de lits supplémentaires mais nous ne pouvons pas maintenir une telle structure toute l’année, c’est économiquement impossible, sans compter les besoins en infirmières devenues très difficiles à recruter. Nous avons en projet d’ouvrir une unité gériatrique à la Robertseau et qui soulagera bien les urgences. Tout est prêt, il ne manque que les infirmières et pour ça, nous sommes obligés d’attendre la sortie des promotions à l’automne. »

La réponse au mal chronique des urgences sera donc à trouver dans l’organisation globale de la réponse de soins, encore quelques hivers tendus à craindre aux urgences de Strasbourg.

 (Article modifié à 9h20 pour intégrer la réponse de la direction des HUS)


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