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L’étrange business des « Pirate’s candies » à Strasbourg

À Strasbourg, deux boutiques de bonbons de l’enseigne « Pirate’s Candies » accrochent les passants avec un décor extravagant, dans des rues très prisées du centre-ville. Pourtant, les prix y sont exorbitants, les bonbons secs et les consommateurs mécontents. Qui est leur propriétaire ? Et comment en vit-il ? Rue89 Strasbourg a débuté l’enquête.

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bonbons pirate

À l’entrée, des pirates grandeur nature. À l’intérieur, d’immenses tonneaux de bois, remplis de bonbons multicolores où les clients peuvent se servir dans des sacs de papier noirs. Clin d’œil évident aux films Pirates des Caraïbes, le concept semble séduire puisqu’entre décembre 2019 et janvier 2023, trois boutiques appartenant à la même enseigne sont apparues, toutes situées dans l’hyper-centre de Strasbourg.

La première a ouvert rue Mercière, en décembre 2019. Un an plus tard, apparaît la seconde boutique de « Pirate’s Candies », rue Gutenberg, en octobre 2020. Puis en décembre 2021, la troisième, rue de l’Outre. Cette dernière semble fermée depuis janvier 2023 selon une commerçante voisine, bien que son enregistrement administratif soit encore actif, selon le site societe.com.

Sollicitée à plusieurs reprises, Rue89 Strasbourg a cherché à comprendre comment une entreprise peut financer jusqu’à trois locaux différents dans un centre ville où chaque mètre carré se paie une petite fortune, malgré autant de commentaires négatifs de la part des consommateurs sur internet, avec parfois même des locaux fermés et des horaires incertains.

Les bonbons les plus chers de Strasbourg

Premier élément qui frappe lorsqu’on entre dans les deux boutiques de la rue Mercière et de la rue Gutenberg : le prix des bonbons. Affichés à 3,99 euros les 100 grammes, ils sont deux fois plus chers que chez Faller, installé au centre commercial des Halles (1,95 euro les 100 grammes). Plus cher aussi que chez So Candy, une boutique située à côté de la station de tram Langstross Grand’ Rue, qui vend ses confiseries 2,49 euros les 100 grammes, sans qu’il soit possible d’y décerner une évidente différence de qualité.

bonbons pirate
Dans les boutiques de bonbons pirates, la présentation fait tout pour étonner le passant. Photo : CB / Rue89 Strasbourg

Des commentaires au vitriol

Sur Google, les boutiques « Pirate’s candies » souffrent de mauvaises notes. Des clients critiquent l’attitude du personnel parfois, la qualité et le prix des bonbons souvent. Résultat, les magasins sont notés 1,3 sur 5 pour la rue Mercière (149 avis), 2,3/5 pour celle rue Gutenberg (10 avis). « Excessivement cher », « piètre qualité », « arnaque du siècle », « à fuir », « honteux », « de l’escroquerie organisée », « un piège », mais « présentation attractive », peut-on lire dans les avis. Plusieurs consommateurs déplorent des confiseries « dures » et « sèches ».

En avril 2022, un client poste avec son commentaire une photo de la boutique de la rue Gutenberg. On peut y observer des confiseries sans couvercle, à l’air libre. Chez Faller ou So Candy, les confiseries sont toutes conservées dans des contenants fermés : « Si on laisse les bonbons à l’air libre, ils sèchent et durcissent », explique simplement une vendeuse d’une boutique concurrente. Un principe de base dans la vente des confiseries donc, que l’enseigne aux trois boutiques semble pourtant ignorer.

Lors de notre passage en mars 2023 dans l’une des boutiques de « Pirate’s candies », les tonneaux étaient cette fois-ci fermés. Seuls quelques bonbons sur les étagères continuent de sécher, à l’air libre.

bonbons pirate
Les bonbons disposés sur les étagères des boutiques sont encore laissés à l’air libre, en mars 2023. Photo : CB / Rue89 Strasbourg

Horaires d’ouverture incertains et variables

Autre élément étrange remarqué lors de notre enquête : impossible de connaître les horaires précis d’ouverture des boutiques. Et aucun panneau à l’entrée ne les donne. Sur place, une vendeuse du local situé rue Gutenberg refuse au début de répondre à nos questions. Le propriétaire, dit-elle, « n’est pas à Strasbourg ». Interrogée sur ces horaires, elle affirme toutefois que les boutiques sont ouvertes du lundi au jeudi inclus de 10h30 à 19h30 et que le vendredi le magasin ferme à 22h. Mais pour le samedi et le dimanche, c’est plus vague : « Je ne peux pas vous dire exactement. Mais on est ouvert toute la journée », affirme-t-elle.

Pourtant, rue Mercière, on donne d’autres informations. Martin, 24 ans, a tenté d’y travailler en février 2023. Il rentre dans la boutique et interroge la vendeuse sur les horaires :

« Elle m’a dit que les salariés travaillaient tous les jours jusqu’à minuit. Elle m’a aussi dit qu’il y avait deux créneaux possibles de travail, chaque jour. Elle était chargée de la caisse, du nettoyage et du réassort. Et elle expliquait aussi qu’ils sont parfois deux salariés à travailler en même temps. »

« On se demande ce qu’il s’y passe »

Les clients ne sont pas les seuls à se poser des questions sur les trois boutiques de bonbons. Rue de l’Outre, le commerce immatriculé au RCS (registre du commerce et des sociétés) en décembre 2021 n’a eu de cesse d’ouvrir et de fermer au public depuis septembre 2022, en fonction de l’affluence touristique selon une commerçante du quartier. « On se demande ce qu’il s’y passe », s’étonne cette vendeuse de prêt-à-porter qui rapporte également des fermetures successives depuis le début de l’année et le roulement du personnel y travaillant.

À louer en septembre 2022, et de nouveau en janvier 2023, le local commercial de 128 mètres carrés en pied d’immeuble est affiché au prix de 68 855 euros par an. Selon cette commerçante, la boutique aurait finalement fermé définitivement ses portes à cette date-là.

Immo sud capture écran rue de l'outre
Lundi 13 mars 2023, le local de la rue de l’Outre en pied d’immeuble, occupé jusqu’en janvier 2023 par la boutique « Pirate’s Candy » est affiché sur le site d’une agence immobilière. Photo : capture d’écran Immo’Sud

Trois sociétés différentes mais un seul et riche patron

D’après le site societe.com, chaque boutique est associée à une société par actions simplifiées (SAS) différente : « Les bonbons de Strasbourg » pour la boutique de la rue Gutenberg, « Les bonbons d’Alsace » pour celle de la rue Mercière et enfin « Gourmandises strasbourgeoises » pour celle qui a fermé rue de l’Outre. Toutes ces sociétés ont en commun d’être immatriculées à Grimaud, dans le Var, et elles appartiennent à la même personne : Jean-Michel Pontet, qui en est le président.

Âgé de 54 ans, ce « chef d’entreprise » comme le présente un article du Parisien en décembre 2018, est le propriétaire depuis 2008, du château des Vives-Eaux. Le château est connu en France pour avoir accueilli l’émission de la Star Academy entre 2001 et 2008. Coût d’achat du château : 3,8 millions d’euros selon Le Parisien. À l’automne 2022, la Star Academy a d’ailleurs fait son grand retour sur TF1. Il a donc fallu rénover le château. Pas de problème pour Jean-Michel Pontet qui dévoile dans un magazine de décoration le coût de cette rénovation : 600 000 euros.

Jean-Michel Pontet est également mandataire de 23 sociétés selon infogreffe.com, le site des tribunaux de commerce, et dirigeant de 28 entreprises selon societe.com. Et il semble avoir développé une passion pour les bonbons, puisque onze de ces établissements sont liés à la vente de confiseries un peu partout en France : « Les bonbons de Carcassonne », « Les bonbons de Nice », « Les bonbons du Cap d’Agde », « Confiserie Rambuteau » à Paris, etc. Des établissements dont il faut parfois acheter le fonds de commerce, comme celui de la rue Mercière, où le chef d’entreprise varois a, là encore, déboursé 600 000 euros en décembre 2020. En revanche, aucune des trois sociétés strasbourgeoises de Jean-Michel Pontet n’affiche son bilan sur le site societe.com. On peut lire, à chaque fois, la même information comptable : « comptes non disponibles » .

Un patron injoignable

Pour réussir à comprendre les implantations de ses boutiques, leur fonctionnement et le prix élevé de ses produits, Rue89 Strasbourg a tenté pendant plus de deux mois d’entrer en contact avec Jean-Michel Pontet. En déposant tout d’abord nos coordonnées dans les deux boutiques strasbourgeoises encore ouvertes, les employées refusant de communiquer l’adresse mail de leur patron ou du « chef de section » qui les gère.

Faute de réponse, nous avons tenté de joindre une autre boutique de bonbons correspondant à une autre société (dont Jean-Michel Pontet est également mandataire), à Carcassonne. Là encore, pas de réponse. Nous avons alors téléphoné au cabinet comptable d’une autre de ses sociétés. Au standard, la secrétaire explique ne pas avoir de contact à nous transmettre et ne plus travailler avec Jean-Michel Pontet depuis plusieurs années.

En épluchant les sociétés dont il est mandataire, aucune adresse mail ni numéro de téléphone associé n’est disponible au public. C’est finalement grâce à l’adresse mail de contact du château des Eaux-Vives que nous envoyons notre première demande d’interview à Jean-Michel Pontet. À deux reprises, nous l’avons également sollicité par mail à son adresse personnelle, et sur son numéro de téléphone portable. Après plus de deux mois sans réponse, la demande de contact est toujours vaine à ce jour.


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