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Odyssée : l’occasion perdue de changer de cinéma public

Le renouvellement de la délégation de service public du cinéma Odyssée a connu quelques soubresauts fin décembre. Lettres dans la presse, mots doux, délais allongés pour que s’affinent les propositions, divisions affichées au sein de l’exécutif municipal… pour au final rester avec le même délégataire. La Ville a-t-elle fait le bon choix ?

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La façade de l'Odyssée

Le cinéma Odyssée a survécu à la première guerre mondiale. Construit en 1913, son patrimoine architectural a été préservé jusqu’à nos jours. Faute de rentabilité suffisante, la salle connue sous les noms d’Union-Kino, puis cinéma ABC, est fermée par Gaumont en 1986. Lorsqu’en 1992, le cinéma renaît sous le nom de l’Odyssée, avec Faruk Günaltay aux commandes, une offre nouvelle adressée aux cinéphiles exigeants naît au cœur de la ville.

Las, vingt ans plus tard, le constat est amer. La fréquentation de l’Odyssée n’a cessé de chuter depuis 2002, son point culminant, avec près de 83000 entrées, pour s’établir aujourd’hui à moins de 50 000.

En cause principalement: la concurrence directe des cinémas Star et Star Saint-Exupéry qui drainent les mêmes spectateurs et peuvent programmer les films dès leur sortie, ce dont l’Odyssée, sous délégation publique et donc subventionné, est privé.

Mais un audit commandé par la Ville l’année dernière et réalisé par Bénédicte Dumeige, consultante en développement culturel, et publié en février 2011 a fait apparaître d’autres problèmes. Inventaire:

  • l’Odyssée est géré par une “association aux comptes dégradés et à la masse salariale sans rapport avec son niveau d’activité”,
  • son “fonctionnement [est] en repli sur soi, peu à peu isolé des milieux professionnels, pourtant nombreux à Strasbourg” ;
  • l’audit relève encore “un manque d’implication très net de l’équipe dirigeante dans les manifestations culturelles de la ville (et même celle effectuées en son lieu)”,
  • “un manque de lisibilité certain de la programmation”,
  • “une multitude de cycles autoproduits mais aucune manifestation emblématique”…

Ouch.

Dans les principales forces, l’audit salue le « travail important de présentation de films rares accompli depuis 20 ans », et le « développement des thématiques internationales et européennes ».

L’intégralité de l’audit, rendu en février 2011

En octobre 2011, la troisième délégation de service public de l’Odyssée arrivant à échéance, la question s’est posée en décembre 2010 à la commission culture de la Ville de songer à renouveller l’équipe, par le biais d’un appel d’offre restructuré, qui fixerait des objectifs de fréquentation.

Au terme de l’appel d’offre, trois projets ont été retenus par la commission : les Rencontres cinématographiques d’Alsace (RCA) de Farouk Günaltay, actuel gérant, le Troisième Souffle, porté notamment par Stéphane Libs, gérant le Star et le Star Saint-Ex, et les Toiles de Strasbourg.

On sait ce qu’il en est advenu: les RCA ont été reconduites pour cinq ans lors du conseil municipal du 8 décembre.

Pour le maire Roland Ries, le choix s’est porté sur “une équipe qui a géré, les autres n’avaient que des promesses”, une déclaration surprenante pour un homme politique ! Autre fait surprenant: le détail des notes dans le rapport annexé au projet de délibération fait apparaître que les RCA l’emportent sur “l’entretien et la maintenance”. Quand on connaît l’état de délabrement des locaux de l’Odyssée, on peut tiquer.

Et troisième surprise, ce choix a été fait alors qu’une note de la Commission culture, qui après avoir analysé les propositions des candidats, indiquait au maire que les RCA n’entendaient rien changer à leurs habitudes.

La note confidentielle de la commission culture

Daniel Payot, adjoint en charge de la culture, et signataire de cette note s’explique:

« C’est vrai qu’il y a eu un débat en interne. Lors de cet appel à candidature, il y a eu une vraie concertation, une compétition vraiment ouverte. Le débat a été tranché par le maire, et il n’y a pas à revenir dessus ou à faire état de divergences. La stratégie de Faruk Günaltay a été de camper sur son expérience et ça a payé. De son côté, la Ville a a précisé les missions de l’Odyssée et le cahier des charges est plus contraignant qu’avant. »

Vraiment ? On peut en douter, puisque le cahier des charges a été modifié pour répondre aux demandes des RCA.

Dans sa candidature définitive, envoyée à la Ville, Faruk Günaltay est en effet revenu sur des éléments importants du cahier des charges initial:

  • pas de resserrement du nombre de séances, alors que la Ville proposait de passer de 4 500 à 3 500 séances annuelles,
  • pas d’objectif de fréquentation, alors que la Ville proposait 70 000 visiteurs annuels,
  • et donc pas de pénalités retranchées à la subvention, si cet objectif n’est pas atteint.

Faruk Günaltay a également tenté de revenir sur ses obligations de non-concurrence, en proposant de réduire d’un mois à quinze jours la période durant laquelle l’Odyssée n’a pas le droit de diffuser des films du circuit commercial. Mais la Ville ne l’a pas suivi sur ce point.

Extrait de la candidature des RCA sur l’article 31, objectifs et pénalités

Alors la Ville a-t-elle manqué de courage dans cette affaire ? Pour Faruk Günaltay, le débat n’est pas là:

« Notre projet a été choisi parce qu’il est le meilleur. Je regrette que la violence des débats et des échanges aient occulté la seule question de fond qui aurait dû émerger: quelle place voulons-nous laisser au cinéma public en ville ? Car des trois candidatures finalistes, seule la nôtre était réellement publique. Nos deux concurrents avaient tous dans leur équipe des dirigeants de cinémas commerciaux. Et on sait bien comment le secteur privé fonctionne: ils mettent la main sur un lieu, disent que ce n’est pas rentable avec des contraintes de service public, et ensuite resserrent la corde pour le transformer en cinéma commercial.

Donc nous ne changerons pas programmation multi-culturelle et européenne, ni le nombre de séances annuelles. Nous allons améliorer notre communication et peut-être aussi nos liens avec les producteurs régionaux. »

Pour Till Zimmermann, président de l’association Troisième Souffle, un changement interviendra de toutes façons:

« Cet équipement ne fonctionne plus, il tourne à vide. Beaucoup de gens nous avaient dit que cette délégation était jouée d’avance, on n’a pas voulu y croire. Maintenant, on est déçus et tristes, on a l’impression d’avoir été floués. Mais nous n’allons pas intenter de recours. Ce serait peine perdue si au final, la note se décide à un demi-point sur la maintenance. »

Prochaine délégation dans cinq ans.


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