
L’Université de Strasbourg a cru à l’autonomie promulguée par la loi LRU et à ses promesses de développement. Mais cinq ans après la fusion, le constat est amer et un plan drastique d’économies est mis en place.
Première université à fusionner, et dans la première vague de celles qui sont passées aux responsabilités et compétences élargies (RCE) en 2009, Strasbourg doit aujourd’hui supprimer des heures de cours, geler des postes et trouver de nouvelles recettes.
Comment en est-on arrivé là ? D’abord, l’État a mal accompagné les universités vers cette fameuse autonomie, elles se sont retrouvées seules pour soudainement gérer d’imposantes masses salariales et les budgets de leurs facultés et composantes. Selon un rapport du Sénat sur l’application de la loi LRU (mars 2013) moins d’une dizaine d’établissements sont parvenus à mettre en place une comptabilité analytique.
À Strasbourg, le processus est en cours, mais il n’y a pas eu besoin d’une analyse poussée pour que s’amorce, dès 2011, un plan drastique d’économies après l’euphorie des débuts. La première alerte est venue du fonds de roulement, un compte sur lequel l’Université doit légalement garder l’équivalent d’un mois de fonctionnement (soit 32 millions d’euros environ). Fin 2012, il est descendu à 26,8 millions, plaçant l’Unistra à la limite de sa mise sous tutelle par le rectorat.
L’objectif du président Alain Beretz, réélu en novembre 2012, est donc de tout faire désormais pour l’éviter :
« Notre situation est tendue mais saine. Nous ne pouvons pas avoir recours à l’emprunt et sommes dans l’obligation de présenter des comptes équilibrés. Nous avons engagé des efforts de réduction de coûts, sans baisser la qualité de l’offre pluridisciplinaire qui nous caractérise. Aucun diplôme n’a été supprimé. »
Économies à tous les étages
Ces efforts ont commencé en 2011, avec un objectif de réduction de 8% des heures d’enseignements (soit 43 000 heures). Sur l’année civile 2012, l’Université est finalement parvenue à supprimer 15 000 heures, et prévoit d’en supprimer 13 000 à la fin de cette année. Travaux dirigés annulés, cours resserrés, mise en commun d’enseignements pour plusieurs filières : tous les moyens sont bons. En Droit, une semaine entière de cours est ainsi passée à la trappe en première année. En Psycho, les cours de méthodologie universitaire se sont évaporés.
Autre mesure d’économie, les fonds alloués au conseil scientifique, le cœur de la recherche universitaire, ont été diminués de 20% selon les syndicats. Et une vingtaine de postes d’enseignants sont gelés (40 selon les syndicats), c’est à dire non-pourvus, seuls les CDD « sur des missions pérennes » (sic) sont reconduits…
Dans certaines filières, ces réductions de personnel ont poussé les équipes à bout d’autant que l’université leur demande aussi de répondre aux appels d’offres de l’Agence nationale de recherche (ANR) et de publier des résultats. Beaucoup de directeurs de labos passent ainsi leur temps à rédiger les dossiers qui leur permettront de fonctionner l’an prochain. Le résultat ? Les cas de souffrance au travail se multiplient parmi les enseignants.
Pour Pascal Maillard, professeur élu au conseil d’administration de l’Unistra et représentant syndical du Snesup, une conjonction de facteurs ont provoqué cette situation :
« C’est vrai que l’État n’a pas joué son rôle. Il manque à la dotation annuelle environ 10 millions pour fonctionner correctement. Mais l’équipe dirigeante a ses torts aussi. Avec la fusion, Alain Beretz a cru pouvoir faire des économies et que l’argent du plan campus allait couler à flot. Mais la fusion a plutôt apporté des lourdeurs et l’État nous doit encore de l’argent ! Au final, on se retrouve avec des “filières d’excellence” (Santé, Biologie, Chimie) préservées et toutes les autres sacrifiées, particulièrement les Sciences humaines. »

Pour Alain Beretz, le redressement des comptes est une priorité absolue, avant d’éventuelles nouvelles ressources (Photo Pascal Bastien)
Développer les ressources propres
Alain Beretz confirme qu’il manque des moyens, mais réfute l’inégalité de traitement entre les filières :
« L’État sous-estime le coût de fonctionnement de l’Université et la France est dans le milieu du classement des moyens alloués à l’enseignement supérieur par les pays de l’OCDE. Il y a sans doute un rééquilibrage à faire entre les financements pérennes et les financements contractuels. Ceci dit, l’Unistra est très dynamique puisqu’elle a obtenu 22 lauréats au Conseil européen de la recherche, soit le double des autres universités. Quant aux Sciences humaines, elles bénéficient du soutien de l’Université comme les autres et notamment de l’augmentation de 30 à 40% de leur budget de recherche. »
Pourtant, l’Université de Strasbourg est une des mieux dotée de France, lauréate d’appels d’offres « Initiatives d’excellence » (Idex) en 20112, ce qui permet d’obtenir des fonds issus du Grand emprunt, elle peut compter sur environ 27 millions par an de recettes supplémentaires, pour un budget d’environ 480 millions, mais cet argent peine à être effectivement versé…
L’apprentissage de l’autonomie passe donc par le développement de ressources propres. Formation continue, apprentissage, contrats de recherches auprès des entreprises et la Fondation de l’Unistra qui a réussi à collecter 15,5 millions d’euros en quatre ans, une performance pour une fondation d’université… mais insuffisante pour combler les manques, d’autant que l’essentiel des crédits sont fléchés et que seuls les intérêts devraient être utilisés.
Au final, rien ne vient compenser la hausse de la masse salariale, due au glissement vieillesse technicité (GVT), et certainement pas la dotation de fonctionnement de l’Etat, 317 millions d’euros pour 2012 / 2013, en augmentation de 1,3%. Moins que l’inflation.
Pour Alain Beretz, la solution vers plus d’autonomie passerait vers un contrôle a posteriori des financements :
« Je n’ai pas besoin qu’on me dise depuis Paris comment dépenser l’argent public. L’État devrait nous faire confiance, verser l’argent et contrôler ensuite comment il a été utilisé, plutôt que de demander à tout le monde de monter des dossiers interminables. »
Mais on en est loin : selon l’Association européenne des universités, l’autonomie académique des universités en France est classée 29e… sur 29.
(Article mis à jour à 22h30, correction des chiffres des heures supprimées)
Aller plus loin
Sur EducPros.fr : « L’autonomie nous laisse peu de marges de manœuvre » (Interview d’Alain Beretz)
Sur Histoire d’Universités : Le budget 2014 de l’Université de Strasbourg (blog)
"Retrait du financement étatique ; surveillance accrue des activités universitaires (et diminution parallèle de l’autonomie intellectuelle des universitaires) ; privatisation partielle par le biais à la fois des partenariats public-privé (dont les gouvernements successifs de Blair et de Brown ont été les grands promoteurs) et recherche de financements privés ; transformation managériale des modes de gestion universitaires ; destruction du statut et de la sécurité d’emploi des enseignants chercheurs ; augmentation vertigineuse des frais d’inscription étudiants avec une focalisation particulière sur des étudiants étrangers perçus comme des ressources financières privilégiées". http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article2906
Comme exprimé dans mon post précédent, ce qui a été constaté dans le modèle thatchérien que nous nous évertuons à appliquer dans l'Europe néolibérale, c'est une fermeture pure et simple des filières qui ne sont plus compatibles avec le "projet d'entreprise" des nouveaux managers de l'Université. L'ensemble des sciences humaines est impacté par cette réforme, avec des moyens en constante diminution, à contrario des filières d'excellence (IDEX) où le grand patronat injecte d'importants moyens.
Il ne s'agit là des lubbies libérales d'Universités désirant soudain se libérer du point étatique mais le résultat - directement inspiré du thatchérisme - du traité de Lisbonne, et particulièrement de ses articles 137 et 138 ..
.. Bref voici le résultat "Ce dispositif incite les centres de recherche et d'enseignement supérieur à largement s'endetter, grâce à la "Banque Europénne d'Investissement", qui exigera l'hypothèque sur le marché international de ce patrimoine. Pour les statuts de cette banque, voir le même traité : avec un capital de départ de 168 milliards d'Euros et des statuts très intéressants, "tout y est possible", selon la formule de notre président. Au lieu de donner des crédits d'Etat, on obligera les unités à faire des contrats avec objectifs et endettement adéquats. Il est prévu que les fonds levés par endettement soient 6 fois plus importants que ceux investis par les Etats. L'espace européen de la recherche est vu comme un grand marché, avec des "opérateurs" de recherche (donc publics ou privés), des agences de financement (ANR par exemple), des agences d'évaluation (AERES), qui doivent noter les projets, les unités (comme les agences de notation financières qui viennent de se glorifier sur le marché des surprime US). Les chercheurs et enseignants chercheurs ne sont pas, pour le moment, évalués par cette agence, uniquement pour ne pas affoler les personnels." http://www.ufal.info/media_ecole/2,article,42,,,,,_La-LRU-un-outil-pour-privatiser-les-universites-brader-leur-patrimoine-dans-le-cadre-de-l-Espace-Europeen-de-Recherche.htm
Il y a quelques jours en effet, j'ai fait des démarches pour pouvoir louer une salle d'amphithéâtre de l'université le soir à 20h après la fin des cours...
Je me suis dit que le soir, les profs et les élèves ne sont plus là et en plus ca leur permet de gagner de l'argent, et puis c'est un organisme public,
Mon but était d'organiser une conférence dans le cadre de mon association - qqch de banal
J'ai essuyé que des refus
Je trouve cela ridicule, ils devraient un petit peu "s'ouvrir" à la vie associative en louant des espaces le soir quand les profs et les étudiants ne les occupent pas
Surtout si ils manquent tant d'argent
Mais j'ai l'impression que l'université est trop fier d'elle!!
Et je trouve que ce qui lui arrive, sans vouloir être méchant, elle le mérite!! Cette Université manque cruellement d'ouverture aux habitants de Strasbourg!!
Donc ce n'est pas que l'université doit s'ouvrir: jusqu'à récemment, elle proposait ce service, mais elle a arrêté.
(Explication non contractuelle et probablement approximative)
Que dire ses personnels administratifs et techniques, les BIATSS...
Pourtant presque aussi nombreux que les enseignants, ils participent activement à la vie et au fonctionnement des universités. Mais leurs conditions de travail sont toutes autres.
45 % des BIATSS appartiennent à la catégorie C à Strasbourg. Leur salaire est proche du SMIC pour la plus part, quasiment aucune possibilité d'évolution de carrière n'est possible, malgré le savoir-faire, les diplômes ou les responsabilités souvent bien supérieure à celles décrites par la fiche de poste. Les heures supplémentaires ne sont que très rarement payées... Les départs en retraites n'étant quasiment jamais remplacés pour ce type d'emploi, le travail est répartit entre ceux qui restent, externalisé à grand frais, ou parfois remplacés par des emplois encore plus précaires. Il s'agit de personnels non titulaires employés à durée déterminée. 6 années de CDD sans interruption calendaire sont nécessaires pour prétendre à un CDI. Tous ces facteurs participent à une souffrance qui n'est pas seulement vécue au travail...
Une enquête d’initiative syndicale concernant « le bien être au travail » à été menée à l'Université de Strasbourg après la fusion:
la grande majorité des réponses venaient des BIATSS des catégories les plus basses (B et en grande majorité C)...
La fusion a donné naissance à de grands pôles mutualisés ou le travail trop hiérarchisé devient abrutissant...
Les conditions de travail y sont difficilement supportables. La charge de travail est nette hausse, il a fallu s'adapter tout de suite de nouvelles procédures de travail pas toujours efficaces...
La nouvelle organisation n'a que trop souvent ignoré les savoir-faire, en divisant les tâches à effectuer, dévalorisant encore un peu plus l'individu. La réorganisation de l'organigramme ayant tenue compte des humeurs, il a fallut recaser la hiérarchie, sans froisser, créant ainsi une multitude de petits chefs. On arrive souvent dans son service la peur au ventre...
Ce complément d'information n'a pas été écrit dans un soucis d'opposition, mais d'exactitude... Appelons un chat un chat, rappelez-vous ou est l'urgence et surtout que nous travaillons ensemble...
Que dire de la paupérisation des étudiants... Si ce n'est encore l'effet du libéralisme à outrance...
Des collectes alimentaires on étés organisées par les collègues sur les campus à Strasbourg...
Comme j'ai invité des amis à dîner ce soir, permettez-moi de transmettre une de ses questions !
"Existe-t-il aujourd'hui une maison de l'étudiant à Strasbourg ?
C'est la question qui avait été posée il y a plus de 20 ans lors d'une réunion de la Commission Vie étudiante dont Daniel Payot était alors président.
Une réponse avait été donnée : Quoi vous n'avez pas de Maison de l'Etudiant ( je ne parle ni du crous ni des maisons de corpos style Agfges)
Mais c'est obligatoire depuis 1968..
Qu'en est-il aujourd'hui ?"
Code du travail: Article L1242-1
Un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.
Le propre d'une entreprise à l'origine est de produire des biens dans ce que l'on appelle l'économie réelle.
Les Chinois par exemple produisent des biens dans l'économie réelle moins onéreux que le "vieil occident"mais 1/ au prix d'un capitalisme semi-sauvage plus ou moins contrôlé par le parti 2/ dans l'insouciance jusqu'à présent presque totale des conséquences écologiques et autres de le propre pays 3/ grâce à une politique sociale dirigiste et sans scrupule.
Si vous en avez l'occasion, le Festival International de Géographie, un événement sur lequel Strasbourg devrait prendre exemple est cette année consacré à la Chine !
- http://www.fig.saint-die-des-vosges.fr/
- http://www.fig.saint-die-des-vosges.fr/24eme-edition/la-chine-une-puissance-mondiale.
Une entreprise dans l'économie réelle cherche le rendement et se doit de par ce rendement non seulement s'enrichir elle-même, mais aussi bien ceux qui le produisent et surtout la société dans son ensemble.
En l'Etat actuel des choses ce n'est plus le cas.
L'économie réelle a depuis bien longtemps (bien avant la crise des subprimes - des conférences passionnantes ont eu lieu à ce propos à l'époque au FIG - voyez les archives)
Une université ne saurait devenir rentable que si elle produisait quelque chose d'immédiatement "consommable"
Or ce qu'elle devrait produire - en principe - c'est le savoir à partir duquel se construira le monde de demain. Or ce savoir -i l est inutile d'en revenir à Bachelard - n'est que très rarement directement rentable.
Ce qui est en marche, ce n'est rien d'autre que la destruction de la recherche et par là, l'Université tout simplement ; la possibilité d'un savoir renouvelé qui permettrait à la génération future d'assumer pleinement son rôle : construire un monde meilleur humainement et non pas simplement plus efficace économiquement.
De même que je viens d'apprendre que dans les sections techniques les programmes ont changés au point que les professeurs chargés de ces disciplines non seulement ne peuvent pratiquement les enseigner, mais la priorité théorique donnée sur la pratique, loin d'élargir les connaissances, les rend pratiquement impropres à trouver un travail.
De même que la nécessité dorénavant de faire une année de médecine pour postuler aux concours d'entrée à une école d'infirmière, rend désormais pratiquement impossible les sections auparavant destinées à ces filières. Les sections SMS (Sciences Médico-Sociales) sont devenues des sections ST2S ( on remarquera la pudeur : pas STSS ) Sciences technico-sanitaires- et sociales.
Les filles qui s'engagent dans ces filières sont donc systématiquement doublées par les S qui ne parviennent pas à faire médecine, et peuvent espérer tout au plus un poste de secrétaire d'accueil ou de fille de salle...
Je ne suis pas universitaire, bien que l'ayant faite. Ni chercheuse dont pourtant je comprends le découragement.
Mais je sais que les mots "décentralisation" et "autonomie" n'avait pas du tout le même sens dans la bouche de François Mitterrand que celui qu'il prend dans un pays qui n'a plus rien de socialiste et se soumet systématiquement à l''idéologie néo-libérale de l'OCDE .
Démarrer l'autonomie par un racket organisé ne pouvait mener qu'à cette situation ........
Un problème bien plus important qui est évoqué rapidement dans l'article mais qui aurait pu mériter de plus amples explications, est l'absence d'accompagnement des établissements vers l'autonomie. L'article parle de l'accompagnement financier qui ne s'est pas fait, mais au moins aussi grave a été l'absence d'accompagnement pour la montée en compétence : dotation en postes d'agents administratifs formés aux nouvelles missions, mise en place de formations dédiées... Des responsables administratifs se sont retrouvés à devoir gérer, en plus de ce qu'ils avaient déjà auparavant, tout un tas de nouvelles tâches et de jongler avec des concepts qu'ils ne connaissaient pas encore (le GVT en est un exemple). Ne pas avoir accompagné cela est probablement l'une des principales raisons des faillites actuelles de beaucoup d'établissements : l'article mentionne la situation très limite de l'Unistra, mais elle s'en sort plutôt bien par rapport à d'autres universités françaises...