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Des photographies de M3RS0 dans une exposition éphémère sur le campus

Le photographe M3RS0 a collé une série de clichés sur les panneaux du campus universitaire de l’Esplanade. Une exposition qui permet d’occuper l’espace urbain, un geste important pour le photographe.

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Des photographies de M3RS0 dans une exposition éphémère sur le campus

J’ai toujours été intéressée par les sous et contre-cultures, comme le tatouage, le graffiti, le skateboard… À mon arrivée à Strasbourg, j’ai noué des liens avec les acteurs de ces cultures urbaines. La rue est une source d’inspiration, parfois vite oubliée, pourtant les artistes y sont nombreux. Laissez-moi vous faire part de ma récente découverte : l’artiste photographe M3RS0 (prononcer Meursault).

Portrait de l’artiste M3RS0Photo : M3RS0

Il fait beau, c’est le début de l’automne… Nous sommes en octobre et je me rends sur le campus universitaire de l’Esplanade. Au détour d’un sentier, pas loin du bâtiment de l’Atrium, une silhouette placardée sur un panneau d’affichage m’interpelle, il s’agit d’un jeune homme débout, un skate à la main, le regard fixe, il « tire la gueule ». Ce visage je le connais, je l’ai déjà vu sur Instagram, il s’agit d’un portrait du photographe, cinéaste et tatoueur Flopin pris par l’artiste M3RS0. Durant la nuit, une demi-douzaine de photos ont « pop » sur le campus passant alors d’une visibilité numérique à une exposition physique, elles semblent vouloir prendre place au côté des citadins. En bas des collages, une affiche dit « Exposition éphémère ­— sois mignon affiche pas ».

Ces photos, par leur échelle, leur sujet et leur système de monstration interrogent, redimensionnent la question d’exposition et d’art. La ville est un espace public. Lieu d’une activité continue, la rue offre une visibilité constante et permet de toucher un public plus large.

M3RS0 donne à voir à tous et gratuitement son travail. Les modèles issus du milieu urbain semblent reprendre vie dans leur espace naturel. La rue se mêle au quotidien de l’artiste. Si certains artistes, comme Raphaël Zarka, intègrent les formes et les espaces urbains liés au skateboard, M3RS0 met en avant les acteurs directs de ces rencontres urbaines.

En venant directement auprès de son public, il invite à son tour à aller à sa rencontre en exposant ses sujets de prédilection : une bande de potes cherchant sans cesse à prendre ses marques dans une ville pas toujours accueillante. C’est le soir, ou en journée, rarement le matin, que ces jeunes, parfois plus si jeunes, sortent et s’immiscent dans les rues de la ville.

Je suis allée à mon tour le rencontrer et discuter avec lui, lors de quelques sessions skate puis dans son garage / atelier du Neudorf.

M3RS0 : « Beaucoup de choses m’ennuient »

Rue89 Strasbourg : comment te présenter aux lecteurs et lectrices de Rue89 Strasbourg ?

M3RS0 : Je m’appelle Matthieu, je suis né à Strasbourg, je n’y ai pas toujours habité mais c’est là que sont mes racines. J’ai eu plusieurs carrières dans ma vie, j’ai 35 ans, je suis papa, c’est quelque chose d’important pour moi. C’est chouette la paternité, c’est fondateur. Je fais du skateboard et de la photographie, ce n’est pas évident mais j’essaie. Il me fallait prendre un pseudo pour la crédibilité professionnelle. C’est venu assez naturellement, Meursault c’est le protagoniste de L’Étranger d’Albert Camus. C’est quelqu’un qui s’emmerde. Je m’ennuie souvent, beaucoup de choses m’ennuient.

Il n’est pas rare de tomber sur tes photographies dans Strasbourg, tu me dis si je me trompe mais il y a un aspect plutôt vrai dans tes photos. D’où celà vient-il ?

J’ai une amie photographe qui dit que ma production est mégalomane et ce n’est pas faux : je me documente moi-même, je documente les gens que j’aime, mon entourage. Je documente d’une façon très brute la partie de mon quotidien qui me parait intéressante. J’aime bien parler d’auto-fiction parce que je fais parfois rejouer les scènes, je prends en photo ce que l’on est en train de vivre mais de temps en temps je mets sur pause. Maîtriser comme ça à un moment la situation ça me permet d’y appliquer une esthétique, je suis assez sensible à ce que je trouve beau.

« Tire la gueule », « Les gens qui sourient c’est moche »… Ces phrases, tu les prononces sur tes sessions photo, pourquoi cette volonté d’absence d’émotion ? Ces visages fermés font penser aux photos de mode, est-ce une inspiration ?

J’aime vraiment beaucoup la photo de mode. Contrairement à ce qu’on peut penser. Y’a des mecs qui faisaient des séries photo engagées qui sont devenus des stars de la photo de mode. Par exemple, Philip-Lorca diCorcia qui a fait The Hustler, a réalisé des photos de prostitués hommes sous forme d’une série. Il maîtrisait tout. Il a inspiré des tonnes de photographes de mode. On peut avoir un regard sociologique dans la photo de mode. On n’est pas obligé d’être convenu. Je pense que Philip-Lorca est mille fois plus engagé : il a pris des risques, il peut tomber sous le coup de la loi, il se retrouve visible dans un hôtel.

Il y a aussi les vêtements qui sont des marqueurs d’une époque. On achète tous des vêtements. La mode est très présente dans la tête des gens. Purple magazine, le magazine de mode en France, présentait une série de photos avec des personnes dans des situations inattendues : dévaliser une maison en Ralph Lauren par exemple. Il y a un propos politique. Les gens vont le voir. La photo de mode est beaucoup plus importante et sociale que ce que l’on pense.

Pourquoi utiliser la rue pour exposer ? Est-ce une volonté de réappropriation de l’espace urbain, de recherche de reconnaissance ? Tu es représenté par la galerie Guillaume Daeppen à Bâle où tes photos sont actuellement présentées. Pourquoi alors continuer d’afficher dans la rue ?

C’est par simplicité. J’ai eu une première carrière dans la street photographie en noir et blanc très cadré, très institutionnel. Réexposer quand on a plus de réseau, c’est compliqué or créer sans jamais exposer, il manque quelque chose. Coller dans la rue c’est assez facile. C’est d’ailleurs une tradition à Arles, les photographes « sans talents » collent en espérant être repérés.

Et puis j’ai toujours aimé les grands formats. Coller dans la rue permet de faire des très grands formats pour pas cher. Ça devient accessible, c’est important pour moi que ça ne soit pas cher. Ça donne également la possibilité de coller avec les copains qui ont été pris en photo. On fait ça ensemble. Les photos continuent de leur appartenir, les gens sont acteurs de tout le processus. Ça donne lieu à des petites résistances, à des moments sympas.

Au début, oui il y avait cette recherche de reconnaissance. Maintenant, je peux faire ce que je veux avec la galerie de Guillaume Daeppen mais retourner coller dans la rue est important. Je reste à ma place. C’est bien de se rappeler d’où l’on vient, de garder les pieds sur terre.

Les artistes présents dans la rue font souvent face aux policiers. Pourtant vous persistez, comme des parasites, vous revenez et prenez place. Est-ce que cette notion de parasitage te parle ?

On ne le fait pas assez, on pourrait parasiter beaucoup plus. C’est l’âge. Je pense qu’on a un devoir de faire chier le monde. Venir coller sur la production de la Laiterie ou du Zénith, par exemple. Il y a plusieurs types de parasites, que ce soit les skaters, le roller ou encore la trottinette… J’ai connu plusieurs générations dans le skate. J’ai arrêté très longtemps et j’ai recommencé. J’encourage les gens à faire du skate, à être ce parasite dans l’espace urbain, qui l’envisage avec un regard différent.

De plus en plus, tout est pensé pour empêcher la pratique du skate. C’est sûr ça abime un peu, ça fait du bruit… Les communes construisent des skate-parks plus ou moins biens et cherchent à nous sortir de la ville… J’ai vu l’exposition d’Allan Mag (artiste et skateur), on pouvait y prendre un sachet de sable pour le mettre dans les skate-parks… Cette démarche avait pour but de faire revenir les skateurs en ville en rendant les parks inutilisables. Strasbourg c’est une ville hyper propre, les gens débordent peu. C’est pourquoi c’est important de vivre l’espace urbain autrement.

Au sein d’une session de collage avec M3RS0

Après notre première rencontre, nous avons réalisé un petit shooting, il s’agissait de jouer avec le décor nous entourant tout en gardant un côté naturel. Une fois la photo prise, elle a été développée puis scannées pour être légèrement retouchée.

Pour exposer sur les panneaux d’affichages du campus, les photos sont découpées en plusieurs feuilles A3, environ 25, et imprimées à la Corep à la Krutenau.

Mercredi 22 novembre, soir de collage. À 21h, l’équipe composée de quelques copains s’attelle à préparer les supports et dans un jeu de mains à deux, applique la colle sur les surfaces avant d’y poser les feuilles. En l’espace de quelques minutes la photographie prend vie. Une heure et demie plus tard, les six panneaux sont prêts.

Cette exposition éphémère est à retrouver pendant quelques jours sur le campus universitaire de de l’Esplanade. Sa durée de vie dépend du temps et du bon vouloir des autres colleurs…


#campus esplanade

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