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Manifestation des « complotistes assumés » : « On est tous seuls, on dirait que les gens s’en foutent »

Samedi 19 novembre, un peu plus de 200 personnes ont défilé entre le Conseil de l’Europe et la place de la République à l’appel de l’inter-QG Gilets jaunes du Bas-Rhin et des collectifs AntiPass 67 et 68. Des « complotistes » autoproclamés, en réaction à toute forme de parole officielle.

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Manifestation des « complotistes assumés » : « On est tous seuls, on dirait que les gens s’en foutent »

Caricatures du couple Macron, croix de Lorraine sur fond tricolore, seringues stylisées, gilets jaunes et symboles « peace » à trois branches. En face du Conseil de l’Europe, ils sont un peu plus de deux cents à attendre le départ du cortège sous le regard des promeneurs de l’Orangerie, en ce début de samedi après-midi. Au sein de ce « Rassemblement InterHumains des complotistes », des membres des collectifs Antipass 67 et 68, de l’inter-QG des Gilets jaunes du Bas-Rhin, des Loups de la liberté de Haguenau et d’Urgence solidarité soignants sacrifiés – collectif de soignants non vaccinés suspendus – de Colmar.

La manifestation qui commence à partir du conseil de l’Europe. Photo : Amélie Schaeffer / Rue89 Strasbourg / cc

« On est tous complotistes aujourd’hui »

« La plupart des manifestants présents ne croient plus les médias “mainstream”, c’est-à-dire tous les médias, les syndicats et tous les partis », pose en préambule RedBoutchka, co-organisatrice de cet événement revendiqué comme apartisan. Un « rassemblement de complotistes » assumé. « Le titre est provocateur, mais dès qu’on pense différemment de la doxa, dès que l’on remet en question la pensée unique, on est taxé de complotiste », poursuit la jeune femme. « Le complotiste, c’est celui qui remet tout en question, qui doute de toute version officielle, qui utilise son esprit critique, alors oui on est tous complotistes ici aujourd’hui », rebondit El Schnucko, l’organisateur déclarant de la manifestation.

Redbouchka et El schnucko organisateurs de la manifestation. Photo : Amélie Schaeffer / Rue89 Strasbourg / cc

Membre des Gilets jaunes avant d’avoir intégré le mouvement antipass, ce psychomotricien libéral n’a pourtant pas toujours douté de la parole gouvernementale concernant l’épidémie :

« Les trois premiers mois, j’y ai vraiment cru. J’ai enlevé mes enfants de l’école. En vacances, on allait se baigner tôt le matin pour éviter de croiser du monde. Mais ensuite j’ai écouté des économistes alternatifs qui ont démontré qu’il n’y avait pas de surmortalité liée au Covid (ce qui est faux, NDLR) ».

S’il se défend d’être opposé aux vaccins (antivax) de manière générale, l’Alsacien s’oppose à la vaccination contre le Covid en particulier. « Mon corps c’est mon corps. C’est un choix qui ne concerne que moi, car c’est pour se protéger soi qu’on se fait vacciner, pas pour protéger les autres, » dit-il.

Après le passe sanitaire, le crédit social ?

« Il y a des structures qui ont décidé d’arrêter de travailler avec moi à cause de ça, explique t-il. Certains de mes collègues n’ont pas compris et m’ont dit qu’il fallait que je vive avec mon temps. Même avec la famille, ça a parfois été compliqué. » Il reste toutefois mobilisé « pour éviter la mise en place de toute nouvelle forme de passe ou de discrimination entre les Français », craignant l’avènement d’un crédit social à la chinoise dans les mois à venir.

La suspension de soignants et pompiers pourtant jugés essentiels un an plus tôt a été très mal vécue par certains. Photo : Amélie Schaeffer / Rue89 Strasbourg / cc

À quelques minutes du départ, les discours s’enchainent depuis le toit du camion de tête. Sont évoquées tour à tour la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement, la suspension des soignants non vaccinés et l’augmentation du coût de la vie, mise en relation avec la guerre en Ukraine, « déclenchée par l’Otan ».

« Ça m’est arrivé de diffuser de fausses informations »

14h, le cortège se met en mouvement. Au bout d’une bannière verte mentionnant la 5G, le vaccin contre le Covid et la Dépakine, Gwladys interpelle : « Pourquoi les médias ne jouent pas leur rôle ? Pourquoi ne parlent-ils pas des effets secondaires graves du vaccin contre le Covid ? Votre média dit que les complotistes produisent de fausses informations mais qui les propage vraiment ? » interroge la jeune femme « diplômée de Sciences-Po Lyon » et travaillant dans la réalisation de documentaires et le journalisme citoyen. « Il faudrait fact-checker les fact-checkeurs, juge t-elle. Qui contrôle ce qu’ils disent ? »

Photo : Amélie Schaeffer / Rue89 Strasbourg / cc

De l’autre côté de la banderole, Salvator se fait plus discret sur la question de l’information. « Les résistants ont parfois tendance à croire des choses qui vont dans leur sens même si ce n’est pas vrai », explique t-il au sujet des opposants au passe sanitaire :

« Moi même, il m’est déjà arrivé de diffuser de fausses informations. Ça peut arriver. Mais nous, contrairement aux autres, nous sommes obligés de nous justifier parce que nous sommes dans le combat. Il y a une vraie volonté de ridiculiser les résistants ».

Après avoir travaillé dans l’intérim, dans l’Éducation nationale en tant que prof de physique-chimie et dans le bâtiment, l’homme a finalement acquis une ferme où il vit en autonomie. Il manifeste aujourd’hui « pour la liberté », s’oppose à la vaccination contre le Covid et le déploiement de la 5G.

« On est des incompris »

Au milieu du cortège, Nine marche tranquillement, non loin d’un petit groupe de percussions. Un t-shirt AntiPass 67 sur les épaules. Présente sur les rassemblements de Gilets jaunes il y a quelques années, la quadragénaire est redescendue dans la rue dès juillet 2021 pour s’opposer à la vaccination contre le Covid.

« Je ne voulais pas me faire injecter un produit expérimental », justifie-t-elle. Membre de différents collectifs, dont Alsace Révoltée, cette habitante de l’Eurométropole pense avoir perdu une possibilité d’emploi à cause de ses convictions :

« J’étais en intérim. Je devais passer en CDI, mais l’entreprise qui voulait m’embaucher est allée faire un tour sur mon profil Facebook et a dit à l’agence que j’étais une rebelle et qu’elle ne voulait finalement pas me prendre. Je me suis dit que ce n’était pas un endroit pour moi et j’ai retrouvé du travail ailleurs. Mais toujours en intérim. »

Les amalgames entre les errements des gouvernements successifs sont fréquents Photo : Amélie Schaeffer / Rue89 Strasbourg / cc

Si son choix de ne pas se faire vacciner a été plutôt bien accepté par sa famille, il ne l’a pas été par tous ses proches. « J’ai des amis qui m’ont dit que je mettais tout le monde en danger en refusant de me faire vacciner. » « Il y a une forme de rejet, poursuit-elle. Ma fille de onze ans n’est pas vaccinée non plus. Il y a des fêtes chez certaines de ses amies auxquelles elle n’a pas été invitée pour cette raison. » Si elle reconnaît voir « toujours les mêmes » en manifestation, Nine apprécie toutefois de les retrouver :

« Ici, on a l’impression d’être avec des gens qui voient les choses de la même manière que nous. Ailleurs, on est des incompris. »

« On se dispute avec les amis »

Venu de Colmar, Marc marche en soutien aux soignants suspendus. « Contre la folie gouvernementale actuelle et tous les mensonges autour de la crise sanitaire. » Ce peintre à la retraite n’a jamais été Gilet jaune, mais bat le pavé depuis le début de la mobilisation contre le passe sanitaire. « La vaccination est une saloperie que l’on veut imposer aux gens » juge-t-il, allant jusqu’à parler « d’une espèce de négationnisme » pour qualifier le « silence autour des effets secondaires des vaccins contre le Covid (des effets qui sont pourtant suivis de près, NDLR). »

Marc, manifestant. Photo : Amélie Schaeffer / Rue89 Strasbourg / cc

Le Colmarien estime le mouvement anti passe « peu compris ». « On se dispute avec les amis, détaille celui qui reconnaît avoir « perdu beaucoup de proches » :

« Pour être amis, il faut avoir des idées communes… donc bon. Alors on vient ici et on rencontre de nouvelles personnes qui deviennent des amis. Les gens ont quand même des idées fixes. On cherche à dénoncer un complot et c’est nous que l’on dit complotiste ».

Le manifestant regrette l’époque où la mobilisation contre le passe pouvait faire descendre plusieurs milliers de personnes dans la rue. « Maintenant, on dirait que tout le monde s’en fout. » Quant à une éventuelle réconciliation entre pro et anti-passe, « elle ne sera possible que le jour où cela deviendra une évidence que l’on a été manipulés. »

« Venir ici, ça me recharge en énergie »

16h, le cortège arrive en vue de la place de la République. Membre du collectif Antipass 68, Gabrielle, enseignante dans l’Éducation nationale, manifeste contre la gestion de la crise sanitaire. Et pour ses élèves :

« Je n’avais jamais manifesté de ma vie, mais quand j’ai vu qu’il voulait vacciner des gamins, alors que ça ne les concerne même pas, ça m’a révoltée. Dès juillet 2021 je suis descendue dans la rue. J’ai des collègues qui m’ont regardée d’une drôle de façon. D’autres, qui ont les mêmes idées que moi, qui m’ont dit qu’ils rasaient les murs. »

Venir en manifestation ?

« Ça me recharge en énergie et me redonne du courage. Ici, les gens ont le même point de vue que moi. Et puis sinon, on est quand même isolés, seuls chez nous. N’empêche, toute cette histoire, ça sépare quand même bien les gens. »


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