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À la manif du secteur social : « Personne ne veut bosser dans ces conditions »

Les employés du secteur social ont manifesté mardi 1er février à Strasbourg comme ailleurs en France. Dans le cortège, des éducateurs et assistants sociaux ont dénoncé une grande souffrance au travail, liée à un sous-effectif chronique dans les structures et à une « gestion industrielle » de l’accompagnement social.

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À la manif du secteur social : « Personne ne veut bosser dans ces conditions »

« Moi je vais bientôt quitter mon poste », annonce Loick (prénom modifié), délégué du personnel à Horizon Amitié : « Je n’en peux plus de récupérer les collègues à la petite cuillère parce qu’ils ont été accusés de mal faire leur travail par la direction ou licenciés », souffle-t-il. Mardi 1er février à Strasbourg, il répond à l’appel à manifester des syndicats CGT, FO et Sud des secteurs social et médico social :

« La plupart des services d’Horizon Amitié sont en sous-effectif. À certains moments, des travailleurs sociaux peuvent être un ou deux pour encadrer un foyer avec 170 personnes. Cela les expose à des risques. Il y a des agressions. Le manque de personnel rend parfois impossible l’accompagnement social que nous sommes censés porter. Et pour ne rien arranger, notre direction est ultra verticale et pratique un management violent. En 2020, on a eu un turn-over de plus d’un tiers des effectifs en CDI. »

Pendant une heure et demie, 800 salariés des secteurs social et médico-social ont manifesté à Strasbourg. Photo : TV / Rue89 Strasbourg

« La moitié des collègues veulent partir »

Malgré le froid et la pluie, environ 800 personnes affluent au rassemblement. Le rendez-vous est symboliquement fixé devant le siège de la Collectivité européenne d’Alsace (CEA), le département finance la protection de l’enfance. Rue89 Strasbourg a publié une enquête début janvier sur le foyer de l’enfance, où les salariés souffrent de conditions de travail particulièrement difficiles. Gwen, auxiliaire de puériculture au foyer Marie-Madeleine, raconte :

« En théorie on est une auxiliaire pour trois enfants. Mais dans les faits, on est une pour cinq. En décembre, un garçon de trois ans a voulu porter un nourrisson et l’a laissé tomber parce qu’on ne peut pas gérer toutes les situations. Cela aurait pu être très grave. On est sur les nerfs, fatigués. La moitié des collègues veulent partir. »

Selon Gwen, à cause du manque de personnel, les enfants peuvent se mettre en danger dans sa structure. Photo : TV / Rue89 Strasbourg

Une batucada anime l’avant du cortège. À quelques mètres, Thomas, travailleur social dans une association d’aide aux demandeurs d’asile, relate qu’il est censé accompagner 35 personnes. Dans sa structure, les salariés à ce poste en accompagnent plus de 50 en réalité :

« On est obligés de prioriser nos actions en fonction de l’urgence. Par exemple, on privilégie les aides pour l’accès aux soins, comme le renouvellement de la complémentaire santé solidaire (ex-CMU), et on ne fait pas certaines inscriptions d’enfants à l’école. C’est très frustrant de ne pas pouvoir faire notre travail. Faute de temps, on voit des situations se dégrader. »

Mot d’ordre : une revalorisation de 183 euros nets

Toutes les personnes interrogées insistent sur la nécessité de « revaloriser les salaires des métiers du social ». Jérôme Bardot, porte parole de la CGT, observe un manque d’attrait pour ces professions qu’il impute notamment aux faibles rémunérations :

« Nos métiers sont de plus en plus difficiles, on est face à des problématiques dures, on travaille le week-end et la nuit. Les jeunes commencent à 1 300 euros nets voir moins, après trois ans d’études minimum. Si les structures sont en sous-effectif, c’est parce qu’elles ont des restrictions budgétaires mais aussi parce qu’elles n’arrivent plus à recruter. Il y a de nombreux postes vacants. Mais personne ne veut bosser dans ces conditions. »

Ainsi, les syndicats demandent une revalorisation de 183 euros nets par mois, alignée sur l’augmentation obtenue par les soignants dans le cadre des accords du Ségur de la santé. Morgan, éducateur spécialisé au foyer pour adultes handicapés Saint-Joseph de Lutterbach, dénonce :

« Dans notre structure comme dans celles de toute la France, les éducs, les personnels administratifs et logistiques n’ont pas la revalorisation que touchent les aide soignantes et les infirmières. C’est très bien pour elles. C’est une injustice pour nous. Les jeunes travailleurs sociaux commencent à 1 200 euros nets. Résultat : plus personne ne veut de ces postes. »

Morgan estime que lui et ses collègues sont sous payés. Photo : TV / Rue89 Strasbourg

« Nos métiers ne font plus sens »

Enfin, Géraldine, assistante sociale, alerte sur l’aspect « industriel » de l’accompagnement. Salariée dans une association d’aide aux sans-abris, elle devait suivre 20 dossiers de familles ou de personnes isolées. « Cela implique d’expédier les cas », dit-elle :

« De nombreuses associations, comme la mienne, ont un fonctionnement extrêmement vertical et répressif. On nous demande des chiffres, un nombre de personnes suivies, pour que l’État puisse mettre ça en avant. Mais concrètement, souvent, l’accompagnement n’est pas suffisant. Si une personne consomme de la drogue ou ne paye pas le loyer, on doit l’expulser. Il n’y a plus de places dans les structures d’hébergement d’urgence. On perd le sens de notre travail, qui est de nous adapter aux bénéficiaires.

Aussi, le contexte général n’aide pas. Avec la dématérialisation des procédures, on est censés apprendre à utiliser France Connect à des personnes sans-abris depuis 30 ans qui ne savent pas comment fonctionne une souris… Il y a plein de choses comme ça, complètement absurdes. »

Pour l’intersyndicale, les travailleurs sociaux doivent aussi voir leurs salaires revalorisés de 183 euros net, comme les soignants. Photo : TV / Rue89 Strasbourg

La CGT porte la banderole de tête, sur laquelle est inscrit : « Non à la logique de rentabilité dans le secteur de la santé et du social. » Le parcours prend fin devant l’opéra, place Broglie, où les représentants syndicaux prennent la parole et sont copieusement applaudis par la foule. Michel Poulet, de Force Ouvrière, indique qu’une délégation a été reçue le matin même par le directeur de cabinet de Josiane Chevalier, la préfète du Bas-Rhin. Il précise :

« On a livré nos revendications pour qu’il les relayent au gouvernement. C’est principalement à l’État de débloquer des fonds car c’est lui qui mandate et finance les associations de solidarité. Sans une revalorisation des métiers du travail social, par le salaire et par les conditions d’exercice, cette crise ne finira pas. Elle a des conséquences graves et concrètes pour les salariés et les usagers. »


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