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Avec Médecin de nuit, Elie Wajeman prend le pouls d’un Paris noctambule, entre Subutex et solitude

En suivant un médecin de nuit au bord de la rupture professionnelle, amoureuse et familiale, Elie Wajeman dresse dans son troisième long-métrage le portrait d’un homme mais aussi d’une ville. Rencontre avec un réalisateur qui poursuit sa réflexion sur les rapports familiaux, la masculinité et son kif de filmer Paris, encore et toujours.

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Avec Médecin de nuit, Elie Wajeman prend le pouls d’un Paris noctambule, entre Subutex et solitude

Mikaël (Vincent Macaigne), médecin de nuit, essaie d’apporter un peu d’apaisement à ses patients, personnes âgées dans la solitude de leur appartement ou toxicomanes dont personne ne veut entendre parler. Mais cette nuit, l’urgence est multiple. « Est-ce que vous allez bien docteur ? » lui demande une patiente. Mickaël est sous tension, pris à la gorge par son cousin Dimitri (Pio Marmaï) qui alimente un trafic d’ordonnances de Subutex pour sauver sa pharmacie, et empêtré dans une situation amoureuse et familiale au bord de l’implosion.

Pour son troisième film, Elie Wajeman a créé un personnage romanesque intense, un homme épuisé, qui porte les autres à bout de bras alors qu’il tente de se sauver lui-même. Vincent Macaigne sort de sa tendre mollesse habituelle pour aller au corps à corps, tout en gardant sa fragilité. Elie Wajeman lui a donné « le rôle de sa vie ». Ensemble, ils ont arpenté les rues de Paris et suivi la tournée d’un médecin pour construire cette histoire.

Élie Wajeman, réalisateur et scénariste de Médecin de nuit. Photo : Pascal Bastien pour Rue89 Strasbourg

Rue89 Strasbourg : Vous mélangez les consultations très concrètes d’un médecin de nuit avec une intrigue de film noir, de polar. Quelle est l’idée à l’origine du film ?

Elie Wajeman : Le film noir est le genre qui me fait écrire. Un personnage pris dans des conflits, à la frontière entre le bien et le mal. C’est aussi un film existentiel. Le personnage cette nuit-là doit tenter de résoudre qui il est, et où il va. Après, l’idée à l’origine du film est venue de l’image d’un médecin qui signe des ordonnances dans une voiture. Je trouvais ce geste et cet objet très cinématographiques : un stylo qui écrit des noms de drogues, de façon répétitive, comme le geste du Pickpocket de Bresson. Je suis aussi un grand admirateur de Paris et je voulais faire un portrait de la ville de nuit, dans des quartiers disons interlopes.

Vous filmez un Paris très différent de celui qu’on a l’habitude voir dans le cinéma français, loin des quartiers bourgeois et des lumières de la Seine : quelle vision de Paris vouliez-vous montrer?

E. W. : Je suis né dans le 13e arrondissement, où il existe beaucoup de tours des années 70-80, avec un immense métro aérien qui traverse ces buildings. Rien que cela, c’est du cinéma. J’ai cherché à créer un Paris archi-moderne, en quelque sorte un espace qui n’appartient qu’au film. D’ailleurs tout le film vacille entre l’âpreté du réel et l’artifice. Je suis nostalgique de ces moments de préparations où, avec Vincent Macaigne, nous avons suivi un médecin en tournée. C’était incroyable de se demander : « À cette fenêtre, allumée au milieu de la nuit, qu’est-ce qu’il se passe ? Qui y vit ? », et d’avoir l’impression que Paris t’appartient. Socialement, je voulais montrer un Paris décalé du stéréotype d’un Paris tout puissant et décisionnel, plus diversifié, plus bienveillant.

Mikaël (Vincent Macaigne) enchaîne, tendu, consultations et boîte de nuit. Photo : Document remis

Le héros est mêlé à un trafic d’ordonnances et il est tiraillé entre deux femmes. Les thèmes et l’ambiance évoquent le Nouvel Hollywood, mais les héros ne sont pas les immigrés italiens, les mafieux de Scorsese ou Coppola, mais un médecin et un pharmacien. Comment vous êtes-vous posé la question du milieu social ?

E. W. : C’est une question très importante pour moi. La famille de Mikaël et Dimitri est d’origine russe, je me suis inspiré d’un ami à moi, dont les parents ont fui l’URSS dans les années 1970. Je veux filmer des gens proches de moi : je suis issu d’une famille intellectuelle mais pas riche, avec des grands-parents d’origine carrément populaire. Je voulais que ce médecin ait un rapport à la rue, qu’il s’en sente proche.

Bande-annonce (Diaphana distribution)

Alors que Mikaël est confronté à pas mal de violence, on a rarement peur pour lui, on retrouve la figure du superhéros…

E. W. : Je n’avais pas envie du mec sympa qui se prend des baffes. Je suis totalement fan de superhéros et particulièrement de Batman, qui n’a pas de pouvoir, ce qui le rend plus intéressant. Vincent Macaigne aussi est un grand admirateur de Batman. Dans Médecin de nuit, la ville est au bord du gouffre et il endosse ce rôle de justicier. Mais je travaille aussi, à travers ce film, comme dans Alya (sorti en 2012) et Les Anarchistes (sorti en 2015), sur la masculinité vacillante : Mikaël veut soigner toute la ville, mais à un moment, il s’effondre.

Mickaël est pris dans une relation toxique avec son cousin, tout comme le héros d’Alya avec son frère.

E. W. : Oui, la toxicité familiale est un thème avec lequel je suis très à l’aise. Je travaille actuellement sur un film qui mettra en scène la relation compliquée entre un frère et une sœur. J’adore Les Frères Karamazov, je voulais retrouver ce truc russe à Paris. Vincent Macaigne pour moi, c’est notre grand acteur russe national !


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