Ce jeudi 18 septembre vous avez convoqué la presse afin de vous exprimer sur nous. « Minorité », « ils ne comprennent pas le projet », « mesures disciplinaires » : vous avez mobilisé tout le champ lexical du paternalisme condescendant. Normal, pour un homme qui nous traite comme des gamins turbulents incapables de saisir les subtilités de sa stratégie d’adaptation au « football moderne ». Cette adaptation qui a conduit à la vente de notre club à un consortium d’investisseurs américains, BlueCo, dont le vaisseau amiral est le Chelsea FC. Vendredi, les sanctions sont tombées : contrôles d’identité, restrictions des libertés, fin de la liberté d’expression en tribunes, entraves logistiques.
An eim Ohr hehrt’r nix un am andera isch’r daub, dit le proverbe alsacien, qui signifie « d’une oreille il n’entend pas et de l’autre il est sourd » en français. Je me permets donc, à mon humble place de supporter membre d’une des associations visées par ces mesures vexatoires, de rappeler quelques vérités qui semblent vous échapper, ainsi qu’à vos séides très actifs sur les réseaux sociaux.
Les ultras sont contre le projet, pas votre personne
Contrairement à ce que suggère votre discours, nos critiques ne s’attaquent pas à Marc Keller l’individu, mais à ce que vous êtes devenu : le porte-parole de BlueCo en Alsace. La banderole qui vous remerciait pour la « décennie dorée » tout en demandant votre départ est pourtant limpide : nous reconnaissons ce que vous avez accompli par le passé, mais nous refusons ce que vous représentez aujourd’hui. Et ce que préfigure le futur.
Si ce à quoi les UB90 ont réagi s’était produit à Marseille – un capitaine posant avec le maillot d’un autre club alors qu’il porte encore le brassard phocéen – la Commanderie (centre d’entrainement du club de Marseille, NDLR) aurait été à feu et à sang dans la minute. À Strasbourg, nous avons déployé une banderole qui commence par « merci ». Si une telle courtoisie mérite des sanctions disciplinaires, dites-nous donc ce qu’il faudrait faire pour être entendus ?
Nous nous doutons bien que vous n’allez pas œuvrer au départ de ceux à qui vous devez votre situation. Nous demandons en revanche un minimum de considération pour nos prises de position et notre engagement sans faille. Il se trouve simplement que nous n’avons pas la même définition de ce qui est bon pour l’institution Racing Club de Strasbourg.
« Chacun à sa place »
De « club différent » à « club banal », vous avez enterré en deux ans tout le discours qui faisait votre légitimité. Vous nous avez pendant des années tenu le discours d’un « club différent » lorgnant du côté de l’Allemagne où les associations de supporters sont respectées. En actant la vente au consortium BlueCo, vous avez fait du Racing un club comme les autres. Pire : un club satellite (ou paillasson, ou équipe réserve de Chelsea…). « Chacun à sa place », dites-vous aujourd’hui. Nous sommes à la nôtre.
L’affaire Emegha confirme nos craintes. Notre capitaine pose avec le maillot de Chelsea, annonce son transfert pour 2026, et vous trouvez cela normal ? Cette image symbolise exactement ce contre quoi nous nous battons : la transformation de notre Racing en simple vivier pour un club londonien. Ici encore, ce n’est pas le joueur qui est visé ad hominem, mais bien ce qu’il incarne : une déterritorialisation d’un sport dont le cœur battant doit précisément, pour moi, se fonder sur son rapport et son lien au territoire, et à son histoire.
« Un acte politique, et nous en sommes fiers »
L’histoire alsacienne, justement. Vous convoquez une « tradition d’accueil ». Nous ne la renions pas, mais puisons aussi dans la tradition de résistance à ceux qui ont voulu au cours de notre tumultueuse histoire guider notre conduite.
Face à nos arguments, face à notre mécontentement, face à notre exigence, une réponse : vous avez décidé de nous sanctionner. Ça tombe bien, les ultras sont le laboratoire permanent des techniques de contrôle et de coercition en France : on connaît la chanson.
Certains supporters pensent que les résultats sportifs suffisent (le Racing est cinquième du championnat français mi-septembre, NDLR), que « le football évolue », que les ultras sont « trop politiques », ou représentent un autre temps. Nous leur répondons que défendre l’indépendance de son club contre la prédation financière internationale, c’est effectivement un acte politique, dans le sens noble du terme. Et nous en sommes fiers.
La culture strasbourgeoise a toujours été ancrée dans le respect de l’autre et la fidélité à ses valeurs. Nous continuerons de l’honorer en refusant que notre Racing devienne la filiale d’un empire commercial et financier qui nous méprise.
Nos 15 minutes de silence (les associations de supporters qui mènent les chants pendant les matchs gardent le silence pendant le premier quart d’heure depuis août 2024) ne sont pas dirigées contre l’équipe que nous aimons, mais contre un système qui la dénature. Cessez de nous infantiliser. Nous savons très bien ce que nous faisons. Et c’est exactement pour cela que vous avez peur.
Guillaume Ledit, membre d’une association de supporters du Racing club de Strasbourg
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