

Trois immeubles de logements colorés, dont deux résidences étudiantes, à l’ouest du Heyritz – automne 2013 (Photo MM / Rue89 Strasbourg)
Bruckhof, Heyritz, Brasserie, Danube, Deux-Rives, Montagne Verte, Meinau, Robertsau… Tous les quartiers ou presque sont aujourd’hui concernés par la densification de la ville. Alors que 12 000 personnes restent à loger et que les principaux candidats veulent « attirer » de nouvelles activités et les habitants qui vont avec, la construction d’équipements et de logements est inéluctable. Alors, la « bétonisation » de Strasbourg, faux débat des municipales ?
« Densifier, oui. Bétonner, non. » C’est le message de Fabienne Keller (UMP), principale challengeuse du maire PS sortant Roland Ries, régulièrement accusé pendant le mandat par son opposition d’avoir « bétonné » la ville, cédant des terrains sans appel d’offres et ne travaillant pas suffisamment les « espaces de respiration », places, avenues, espaces verts nécessaires, selon la candidate, à l’apaisement et au « bien-vivre » des Strasbourgeois. Une nuance sémantique qui attaque la forme, mais pas le fond de la politique menée.
3 000 logements construits par an dans la CUS, dont 50% de HLM
C’est vrai, la ville de Strasbourg a rarement connu une dynamique de construction (en béton, avec certes un peu de verre, de métal et de bois par-ci, par-là…) plus intense, si ce n’est à l’époque allemande, lors de l’édification de la fameuse Neustadt (en grès celle-là), que la municipalité souhaite aujourd’hui voir classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Conformément à l’un de ses engagements de campagne en 2008, Roland Ries et son équipe ont notamment travaillé au rattrapage du « retard » pris en matière de construction de logements.
Depuis 6 ans donc, et pour encore quelques années, l’équipe socialiste a boosté le secteur du BTP à coups de chantiers publics, en construisant 1 500 logements sociaux par an dans la CUS, principalement à Strasbourg, des équipements publics (maisons de la petite enfance, centres socio-culturels, école européenne, etc.) et en multipliant les aménagements urbains (places, voirie). À coups également de sessions de terrains à des promoteurs privés ou des aménageurs, au Bruckhof, au Heyritz, au Port du Rhin, à Cronenbourg, etc. Résultat : 3 000 logements construits chaque année dans la CUS et pléthore de chantiers en cours, publics et privés.
« La densification n’est plus un sujet », même pour l’UMP
Or, de l’aveu même de la candidate UMP, la densification « n’est plus un sujet » à Strasbourg. Encore moins pour le candidat écologiste Alain Jund (EELV), adjoint en charge de l’urbanisme de Roland Ries et signataire des divers permis de construire pendant 6 ans. Avec les lois Grenelle et le futur PLU (plan local d’urbanisme) communautaire, plus question d’étaler la ville et de gâcher trop de terres agricoles, dont 534 hectares, jusqu’à présents constructibles, seront sanctuarisés dans la CUS. Alors que ces candidats PS, EELV, UMP ou UDI veulent attirer activités et nouveaux habitants sans étaler la ville, densifier est la seule option, c’est à dire construire dans les limites du bâti existant.
Philippe Bies, ancien adjoint au logement de Roland Ries, président de CUS Habitat, principal bailleur social de l’agglomération et député PS du Bas-Rhin, insiste de surcroît sur une « dynamique engagée qui ne s’arrêtera pas » :
« Des projets sont lancés dans toute la CUS, à Strasbourg [ndlr, dans le futur quartier Deux-Rives avec l’îlot bois, à Malraux, Danube, etc.], mais aussi à Ostwald, Lingolsheim ou sur les fronts d’Illkirch. Strasbourg a donné l’exemple [en lançant un maximum de programmes], c’était plus facile parce que nous étions aux manettes. Ceux qui disent qu’il ne faut pas densifier sont des menteurs. On densifie la ville pour ne pas faire la même erreur que dans le Kochersberg dans les années 1980, en développant de l’habitat sur des terres agricoles, avec les problèmes de transports que cela suppose. A l’avenir, on ne construira plus sans une station de tram ou de bus à proximité. »
Plus de place accordée à la nature en fin de mandat par l’équipe PS-EELV
Pour lui, ceux qui dénoncent la ville dense – rebaptisée ville intense – oublient qu’il n’y a pas d’alternative. « On ne peut pas vouloir attirer et ne pas construire », ajoute-t-il. Même s’il reconnaît que le cahier des charges imposé aux promoteurs et la place accordée à la nature dans la conception même des bâtiments ont évolué durant le mandat, et que l’écoquartier Danube n’aura rien à voir avec le Bruckhof, qui n’est pas, de son propre aveu, « l’opération du siècle ».

Quartier du Bruckhof, 650 logements là où n’en étaient prévus avant 2008 que 350 (Photo MM / Rue89 Strasbourg)
François Loos, candidat UDI, tient néanmoins un discours proche de celui de Fabienne Keller : « Il faut plus de logements, mais c’est un objectif auquel il faut poser des limites », notamment dans des quartiers périphériques comme la Robertsau, Neudorf ou Cronenbourg, où certains habitants se plaignent auprès de lui. Les tours ? Il n’est pas fan. Et souhaite par ailleurs proposer une règle de 25 mètres carrés d’espace vert (pleine terre, végétalisation des toits, murs ou terrasses…) par logement, conscient que ce critère ne pourra pas s’appliquer à tous les quartiers.
« Ne pas chercher à faire croître la ville systématiquement »
Seuls le Front de gauche et le Rassemblement bleu marine (FN) ont des positions différentes sur la question de la densité. Le Front de gauche, hostile au principe de compétition des territoires et au mantra de l’attractivité, prône un développement urbain ralenti et un rééquilibrage du territoire au profit non plus de la seule métropole, mais également des villes secondaires. Jean-Claude Val, tête de liste FdG, développe sa vision qui détonne dans le paysage politique :
« Densifier la ville n’est pas la bonne réponse pour freiner l’étalement urbain. Plutôt que d’aménager le territoire, il faut ménager la ville, ne pas chercher à la faire croître systématiquement. Bien sûr, il y a encore de la demande, notamment de logements sociaux. Il faut continuer à en construire, notamment dans des quartiers comme la Robertsau, mais de façon harmonieuse [ndlr, dans un agroquartier, par exemple ?]. Ces constructions doivent s’intégrer dans le cadre d’une réflexion sur les transports en commun et le retour des services publics dans les quartiers, pour stopper la concentration. »
Du même coup, la liste Front de gauche est opposée au quartier d’affaires international du Wacken tel que proposé par l’équipe PS-EELV et au Parc Expo. Sans compter sa frilosité vis à vis de l’Eurométropole. L’idée de ce parti très à gauche : faire émerger des projets chez les habitants, « même si ça prend plus de temps ».
« Contrairement aux autres, je suis pour étendre la ville »
Autre position iconoclaste, celle de Jean-Luc Schaffhauser, tête de liste RBM soutenu par le Front National. Le candidat martèle :
« Je suis complètement opposé à cette densité ! Contrairement aux autres, je suis pour étendre la ville. On [ndlr, l’UMP ou le PS] n’a pas d’état d’âme à prendre des terres agricoles pour faire des zones commerciales ou industrielles, alors que les gens ont moins d’argent qu’avant et qu’il faut commencer par faire vivre les commerces existants ! Mais quand il s’agit de qualité de vie, on veut bétonner à outrance. Nous proposons de construire du logement en régie propre, à prix coûtant, en créant un cadre de vie agréable avec des espaces verts et de sport. Urbanisons déjà l’espace qu’on a, au Port du Rhin par exemple, après on verra. »
Alors que Roland Ries – comme François Loos, d’ailleurs – veut faire du secteur des Deux-Rives une nouvelle Neustadt, les anciennes friches portuaires ont inexorablement vocation à être urbanisées. Les bâtiments passifs ou à énergie positive, et de façon générale, l’innovation en matière de performance énergétique, de consommation d’énergie, de qualité des matériaux ou d’intégration de la biodiversité sont les outils que tous les candidats ou presque devraient utiliser pour construire le Strasbourg de demain.
Demain, ce temps où la cathédrale ne sera peut-être plus le point culminant de la capitale alsacienne et où, comme partout, chaque époque laisse sa marque architecturale dans la ville. Pour le meilleur parfois, pour le pire… un peu trop souvent.
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : tous les programmes des candidats
Sur Rue89 Strasbourg : tous nos articles sur les élections municipales
Sur Rue89 Strasbourg : [Explicateur] un vrai écoquartier, c’est quoi ?
Sur Rue89 Strasbourg : Malraux et Danube, la tentation du Neuhof et de l’Esplanade
- si une ville agréable à vivre est forcément une ville de plus en plus bétonnée, peuplée et donc polluée
- si ces logements répondent à une demande solvable (vu la cherté du mètre carré à Strasbourg, à l'achat ou à la location, et le nombre de logements inoccupés, on peut en douter)
- si ces opérations immobilières sont effectivement motivées par le souci de l'intérêt général
- si la maxime de lénine adoptée par le social-démocrate Ries ("on fonce et ensuite on verra!") est vraiment recommandable.
un total mepris des moins favorisés d'entre nous ...une honte !!
Doit on du coup craindre un freinage de la construction de logements sociaux à Strasbourg, dans la mesure ou ces derniers sont construits lors du lancement de grand programmes panachés de logements chers et intermédiaires...?
Par ailleurs, et en rappelant le succès relatif des derniers programmes, plusieurs questions se posent:
au delà de la dimension symbolique, pourquoi s'acharne-t-on à vouloir construire aux deux rives sur des dizaines d'hectares, au lieu de profiter des dents creuses au sud et l'ouest de Strasbourg?
Pourquoi les gens ne veulent-ils pas comprendre que des "tours" présentent l'avantage d'être moins cher à construire et donc à louer que de véritables objets architecturaux?
Alors que la population strasbourgeoise n'augment plus ou si peu, l'enjeu n'est il pas d'adapter le parc actuel aux besoins des populations plutôt que de lancer de nouveaux grands programmes?
Est-on encore capable aujourd'hui de lancer des programmes de constructions de logements sociaux dont on a besoin, au lieu de ces programmes pseudo-prestiges qui comptent que 10 à 20% de logements sociaux...
Bref, journalistes, urbanistes, fonctionnaires, politiques, élus, habitants du centre ville dont le monde sensible s'arrête aux voies ferrées, habitants soucieux du franco-allemand pour le seul franco-allemand,quand est-ce que vous allez changer de focale de manière à poser les questions de manière pragmatiques et matérielles...
Bref, si la bétonisation est bien un faux-débat politicien -en même temps, il ne font que ça nos élus et cela fait longtemps qu'on en attend plus rien -, mais les vrais questions ne me semble toujours pas abordées... En même temps ce n'est pas comme si le contenu de la campagne avait un intérêt quelconque, sur cette question comme toutes les autres d'ailleurs...
1-il manque + ou - 10 000 logements a Strasbourg et pas seulement pour rattraper le retard accumuler sous le mandat Keller (pour memoire le tandem a construit 35 logement sociaux en 6 ans .....)
2- La construction massive est le seul moyen de mettre fin a l'inflation effrénée de l immobilier et a la pénurie organisée par les spéculateurs
3- La fin de l étalement urbain , qui fait disparaître l équivalent d un département en terres agricoles tous les cinq ans Duant au "beton " là nous sommes dans la séquence 3 petits cochons ...F Keller veut construire mais pas en béton(et pas pour les pauvres ...donc surement en paille..... le FN lui reste très attaché aux baraquements en bois (
style Struthof....)
il reste donc à loger les gens dans des sites bien desservis en TC , dans des bâtiments solides , surs et écologiquement compatibles avec le développement durable ! tout en préservant la qualité de vie .Ce qui , me semble t il a été fait récemment. Je rappelle quand même que la colistière de Mme Keller mme Werlé a en conseil municipal stipendié les plus démunis d entre nous en déclarant que quelques logements sociaux au sein de résidences mixtes nuisaient a la qualité de la vie ! Une honte !
2° Les prix du marché ne s'ajustent pas en fonction de critères aussi simples que ceux de l'offre et de la demande... C'est idéaliste d'imaginer qu'il suffit de construire plus pour que les prix baissent jusqu'à un niveau raisonnable c'est-à-dire convenable pour les classes moyennes : sinon expliquez donc pourquoi les voitures sont si chères, malgré la surproduction.
3° Les chiffres catastrophistes occultent le fait que l'on a besoin de moins de terres agricoles pour se nourrir et que la croissance d'autres villes petites ou moyennes en Alsace ne serait pas un mal pour éviter de gonfler outre mesure la capitale strasbourgeoise. Ou l'idéal serait-il d'avoir une ville de béton au milieu de terres agricoles subissant les retombées de la pollution urbaine forcément augmentée par la densité de l'habitat ?
Dommage en revanche que personne ne parle de la qualité architecturale de toutes ces réalisations. Très très moyenne franchement dit. Oui on a jamais construit autant que depuis la Neustadt. Pas sur que ça laisse les mêmes traces dans le patrimoine
Ce ne sont pas les candidats qui" construisent" mais un ensemble complexe de " décideurs".
Une petite omission peut-être : les prix, notamment pour les logements étudiants du Heyritz. Exclus pour un boursier, inabordable pour un étudiant issu d'une famille, disons moyenne -, trop riche pour avoir droit aux aides .
La ville sur la ville, hormis pour le FN, fait consensus. C'est la manière de la faire qui est discutable, surtout après des projets comme le Heyritz, le Bruckhof, et le futur Danube qui sera loin de faire rêver lorsqu'on se penche sur les projets de la première phase... Pierre Robes, comme Philippe Bies, il vous manque des éléments. Si c'était aussi simple, ça aurait fonctionné déjà avec une partie des grands ensembles. On dirait que vous ne tirez aucune leçon des erreurs et qu'il faut foncer juste pour se donner bonne conscience.
Oui on souhaite freiner l'étalement urbain, oui le mandat de FK n'a à l'époque pas été assez productif, ça ne justifie pas pour autant de construire n'importe quoi, n'importe comment, sans contrôle, sans garantir un espace extérieur décent à chaque nouveau logement ex nihilo quand c'est possible (Heyritz), sans gérer les questions de vis à vis...
Un peu de recul:
- Pensez-vous sérieusement que les 3000 logements construits par an ont une quelconque incidence sur la construction de pavillons dans le Kochersberg ? Vous en connaissez la réponse.
- Plus profondément, pensez-vous que la qualité de ces 3000 logements par an, a une quelconque incidence sur le "rêve d'habiter" dans une maison avec jardin ? Là aussi vous en connaissez la réponse.
Freiner l'étalement urbain et la conquête du Kochersberg n'est pas liée qu'à la seule construction massive de logements, elle est surtout liée à leur qualité et au confort de vi(ll)e qui en découle. Car l'objectif de l'axe Strasbourg - Kehl c'est de créer une qualité de vie citadine qui rend la fuite en zone périurbaine inutile. Une impacte psychologique, presque culturelle. Tant qu'un logement urbain ne séduira pas autant que la maison individuelle, il n'y aura aucune incidence sur l'étalement urbain.
La qualité de ville est une question prioritaire, et se conjugue absolument avec mixité urbaine et sociale - les pays du Nord l'ont largement démontré ! Et privilégier les logements sociaux, n'implique en aucun cas de créer ces projets de "stockage d'habitants" tels que le Heyritz, le Bruckhof et bientôt le Danube.
Ca n'est pas parce qu'on a moins de moyens financiers, que le traitement du cadre de vie doit être inférieur ! On est plus dans les années 50 ! Allez un peu à Nantes ou à Bordeaux pour voir si à prix égaux du m2, on ne peut pas faire plus qualitatif en France !
Le Heyritz, le Bruckhof, le futur Danube (projet Axiom notamment): on peut envisager d'y vivre quelques temps - lorsqu'ils sont neufs, mais on rêve de vivre ailleurs plus tard. (Cette phrase était curieusement le concept des grands ensembles...)
Evidemment qu'il doit y avoir une offre de logements-tremplins, mais ils ne doivent pas constituer l'ensemble de l'offre. Sur l'axe Strasbourg - Kehl, on ne trouve que ça !
Ca constitue un problème majeur d'équilibre, et c'est ce que dénonce le terme peut être impropre de "bétonisation". Alors le point d'interrogation, s'il vous plait, il a encore toute sa place dans votre titre. ;)
Mam'mak