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Près de Colmar, la menace d’un ancien dépôt de déchets de pesticides sur la nappe phréatique

À la fin des années 60, une entreprise de production de pesticides a déposé entre 700 et 750 tonnes de déchets toxiques à l’air libre près de Colmar. Des analyses ont mis en évidence un panache de pollution de 2 kilomètres dans la nappe phréatique. L’eau n’y est plus potable. L’association locale Tiefenbach Environnement plaide pour le déstockage de ces déchets.

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Près de Colmar, la menace d’un ancien dépôt de déchets de pesticides sur la nappe phréatique

Pascal Lacombe, habitant de Colmar, ne retient pas ses mots : « C’est un scandale sanitaire. La nappe phréatique est lourdement polluée aux abords du site. On dirait que c’est devenu tolérable par les autorités ce genre de situation. » Il est engagé, avec l’association Tiefenbach Environnement dont il est le vice-président, pour le déstockage d’un dépôt de déchets chimiques à Wintzenheim, une commune en bordure de Colmar.

Le site de PCUK près de Colmar (doc Basol)

En 1966, l’usine Produits Chimiques Ugine Kuhlmann (PCUK), un fabricant de pesticides, déverse entre 700 et 750 tonnes de déchets sur ce terrain, sans autorisation. Les déchets se présentent sous la forme d’une poudre blanche qui contient un puissant insecticide connu sous le nom de lindane. Selon l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), cette molécule, interdite en France depuis 1988, est toxique en cas d’ingestion ou d’inhalation. Elle induit aussi des effets graves pour les organes qui y sont exposés à long terme. Elle est également très toxique pour les organismes aquatiques.

Un panache de pollution de 2 km sous Colmar

À l’époque, la poudre s’envole et pollue les environs. Suite aux plaintes des habitants, en 1974, les déchets sont recouverts d’une couche de remblais. L’entreprise PCUK cesse toutes ses activités la même année. En 1985, le Bureau des Recherches géologiques et Minières (BRGM) réalise une couverture argileuse au dessus du dépôt. En 2009 et 2010, l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) reprend les travaux pour imperméabiliser et limiter les infiltrations d’eau de pluie, en installant une couche de géotextile.

La situation actuelle, couche par couche. (Document ADEME)

Dans les années 2000, l’Ademe pratique des analyses pour surveiller la qualité des eaux souterraines aux abords de ce stockage de déchets. Une pollution sévère de l’eau est mise en évidence. Le lindane, vraisemblablement lessivé par les eaux de pluie vers la nappe phréatique, est détecté par les tests sous quatre formes différentes (l’agencement des atomes change), toutes toxiques. Michel Roeder, membre du bureau de l’association Tiefenbach Environnement, explique que « sur de nombreux points à Colmar, la concentration est bien au dessus des normes de potabilité. » Il faut préciser que les puits de captage de l’eau potable destinée au réseau de consommation se situent en amont du dépôt et ne sont pas concernés par cette pollution.

Celle-ci s’est répandue sous forme d’un panache d’une longueur d’environ 2 kilomètres d’après les relevés. Les molécules toxiques ont suivi les mouvements des eaux souterraines et se sont donc dirigées vers l’Est, puis vers le nord-est. Depuis 2015, un arrêté préfectoral interdit l’usage de l’eau de la nappe pour la consommation, l’irrigation, l’arrosage et l’abreuvage, dans un périmètre basé sur la position estimée du panache de pollution. Cette mesure concerne donc les puits et captages d’eau (notamment privés) situés dans la zone.

(Doc. remis)

Les travaux d’imperméabilisation limitent la diffusion

Franck Lemoing, ingénieur pour l’Ademe en charge du dossier du lindane de Wintzenheim, indique « une stabilisation voire une légère régression de la pollution observée au niveau de nombreux puits depuis les travaux de confinement de 2008. » Selon lui, « la démarche d’imperméabilisation aurait fonctionné, en limitant la diffusion des composés toxiques après lessivage par les eaux de pluie. »  

Le rapport d’interprétation publié en 2017 souligne que le panache est effectivement globalement stable. Cependant, la variation des mesures au niveau de certains puits « met en évidence un étirement potentiel du panache au sud et à l’est, au-delà du périmètre de restriction d’usage défini par l’arrêté préfectoral. » Le bureau d’étude Artelia, qui a réalisé le suivi pour l’Ademe, estime alors « qu’un agrandissement du périmètre de restriction serait nécessaire pour assurer la sécurité sanitaire de la population. » Celui-ci a pourtant toujours la même envergure depuis 2015.

Michel Roeder, qui étudie de près les résultats du suivi, attire l’attention sur certaines données :

« Au niveau de trois puits à l’Hôpital Pasteur de Colmar, à environ 1 250 mètres du dépôt, les résultats sont préoccupants. En 2018, la concentration en lindane avait fortement augmenté dans un puits, pour atteindre une valeur de 3,2 µg/l, soit 32 fois supérieure à la norme de potabilité qui est de 0,1 µg/l. Pour la dernière étude qui date de 2019, l’Ademe explique que ce même puits est à sec, et qu’il n’a donc pas été possible de réaliser le prélèvement. Cependant, pour deux autres puits situés également à côté de l’Hôpital Pasteur, la concentration en lindane a encore augmenté. »

Résultats des relevés effectués sur un puits qui mettent en évidence une forte augmentation de la concentration de delta HCH et gamma HCH, deux formes de lindane. L’eau ne rentre plus dans les normes de potabilité depuis longtemps, les concentrations devraient être sous la ligne noire en bas du graphique. (Doc remis)

Les molécules toxiques, probablement encore diffusées via les eaux souterraines

Franck Lemoing de l’Ademe « n’explique pas ce pic », mais estime « qu’il faut le prendre avec des pincettes, les mesures réalisées n’étant peut-être pas fiables. » L’étude d’Artelia souligne que même si le risque de lessivage par les eaux de pluie est devenu faible grâce au géotextile, celui-ci n’est peut-être pas efficace à 100%. Pour Pascal Lacombe, « les déchets n’étant pas contenus dans une bulle étanche, des échanges avec l’environnement continueront temps que le lindane sera dans le sol. » Aussi, les militants s’interrogent sur les fluctuations du niveau des eaux souterraines, qui pourraient créer un contact entre celles-ci et la couche polluée la plus basse, permettant ainsi la diffusion des substances toxiques, d’autant plus que des incertitudes demeurent quant à la profondeur du dépôt.

Michel Roeder pointe du doigt un manque de transparence des autorités : « Il est très difficile d’obtenir des informations. Une seule fois, l’Ademe a délivré un bulletin d’information dans les boites aux lettres en 2016. » L’article 6 de l’arrêté préfectoral de 2015 indique pourtant que « la population concernée doit être informée par tous les moyens adéquats sur la pollution des eaux souterraines et sur les recommandations d’usage. »

25 à 35 millions d’euros à trouver pour dépolluer

Localement, l’association Tiefenbach Environnement se mobilise et a notamment mis en ligne une pétition pour la dépollution du site. Suite à la pression mise par l’association, le 27 septembre 2019, le conseil municipal de Wintzenheim a voté une motion pour la dépollution du site. Le 19 décembre 2019, le conseil de l’agglomération de Colmar s’est prononcé « en faveur d’un renforcement des mesures de précaution pour assurer la qualité de l’eau de la nappe phréatique. » Il demande aussi à l’État « d’envisager, si la pollution devait s’élargir, de faire extraire les produits stockés. »

D’après Franck Lemoing, « une éventuelle extraction des déchets ne pourra se faire qu’en la présence d’un projet de reconversion du site permettant de supporter les coûts importants qu’impliquerait ce chantier. » Les estimations varient entre 25 millions d’euros, pronostiqués par l’Ademe en 2008, et 35 millions d’euros selon Claude Muller, maître d’oeuvre et directeur des travaux de la dépollution du Lindane du site de Huningue (abouti depuis novembre 2019), lors d’une conférence en février où il a été invité par Tiefenbach Environnement.


#Wintzenheim

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