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« Nécessaire », « améliorable » ou « injuste et brutale » : les députés du Bas-Rhin s’expriment sur la réforme des retraites

Les députés du Bas-Rhin expriment leur position et leurs arguments concernant la réforme des retraites projetée par le gouvernement d’Élisabeth Borne. Sans surprise, les élus de la majorité soutiennent l’ambition gouvernementale tandis que les députés Nupes appellent à s’opposer au projet.

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C’est le dossier politique explosif de ce début d’année 2023. La Première ministre Élisabeth Borne a dévoilé le 10 janvier 2023 les grandes lignes de la réforme des retraites : âge légal du départ à la retraite repoussé à 64 ans, passage à 43 annuités pour une retraite complète… Le projet gouvernemental et le manque de concertation avec les partenaires sociaux a braqué les huit principaux syndicats français qui se sont constitués en intersyndicale. Selon un récent sondage de l’Ifop pour le JDD, près de 70% des Français se disent opposés à cette modification en profondeur du système de retraites. La première journée de mobilisation s’annonce importante. Les députés du Bas-Rhin expriment, à Rue89 Strasbourg, leur position sur le sujet.

« Si on ne fait rien, c’est tout le système qui se casse la gueule »

Sur les neuf députés bas-rhinois, cinq appartiennent à la majorité gouvernementale. Aucun d’entre eux ne s’inscrit en frondeur face à la réforme à venir. Appartenant au groupe Renaissance, la députée de la quatrième circonscription Françoise Buffet justifie son adhésion au projet gouvernemental par la croissance du nombre de retraités :

« Le constat est très simple : la population française vieillit. Quand il y avait trois cotisants pour un retraité dans les années 70, il y a aujourd’hui 1,7 cotisants pour un retraité. On a un déséquilibre qu’il faut combler. »

Françoise Buffet, ancienne adjointe à l’éducation de Roland Ries. Elle est aujourd’hui députée apparentée Renaissance. Photo : EJ – BDLR

La communication est rodée du côté des soutiens de la réforme. Marcheur de la première heure, député Renaissance pour un second mandat, Bruno Studer soutient aussi la nécessité de réformer pour maintenir le système de retraite par répartition : « Je tiens à préserver notre système qui repose sur la solidarité intergénérationnelle. Je ne veux pas d’autres ressources ou d’autres taxes et impôts qui financent nos retraites. » Vincent Thiebaut, député du parti Horizons, aussi membre de la majorité, résume : « Si on ne fait rien, c’est tout le système qui se casse la gueule. » Un discours qui résonne comme l’argument récurrent des politiciens néolibéraux : « There is no alternative » (Il n’y a pas d’alternative).

Bruno Studer, le soir du premier tour des élections législatives de 2022. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

« Je ne soutiens pas une réforme difficile pour le plaisir »

« Je ne suis pas masochiste. Je ne soutiens pas une réforme difficile pour le plaisir », continue Bruno Studer. Du côté des députés de la majorité présidentielle, les arguments positifs et séduisants pour ce projet gouvernemental se font rares… et parfois contradictoires. Bruno Studer soutient que « les femmes seront les gagnantes de cette réforme qui permettra de mieux prendre en compte leur carrière et les congés parentaux ». Vincent Thiebaut émet lui quelques réserves avant d’exprimer un soutien définitif à cette réforme : « Mon vote dépendra quand même des futures modifications du texte. J’espère qu’elles iront dans le sens d’une meilleure prise en compte des carrières hachées. »

Député Modem de la sixième circonscription du Bas-Rhin, Louise Morel se félicite de « l’idée de garantir une retraite minimale à 1200 euros pour les carrières complètes » tout en espérant des avancées à travers le débat parlementaire : « Au sein du mouvement démocrate, nous sommes favorables à ce que cette retraite minimale puisse bénéficier aux retraités actuels. »

« On peut manifester sans paralyser tout le pays »

Face à la mobilisation prévue le jeudi 19 janvier, tous les députés de la majorité appellent à la mesure et à la patience. Louise Morel se dit « assez surprise des manifestations alors que l’on a pas encore le texte dans les détails. Ce dernier sera présenté en conseil des ministres le 23 janvier ». Bruno Studer plaide pour l’amélioration de cette réforme par « la concertation avec les organisations syndicales et les partis politiques ». « On peut manifester sans paralyser tout le pays », rappelle l’enseignant de profession.

Seul député bas-rhinois encore indécis, Patrick Hetzel (LR) estime que « beaucoup d’incertitudes et d’inconnues demeurent ». Son choix dépendra ainsi des amendements qui, selon lui, doivent « aller vers une réforme équitable, qui prendra mieux en compte des étapes de la vie familiale et qui valorise le travail avec une retraite minimale à 1200 euros y compris pour les retraités actuels ».

« La retraite ne doit pas être l’antichambre de la mort »

L’argument de la retraite minimale à 1 200 euros figure parmi l’un des rares arguments concrets et positifs des soutiens de cette réforme. Mais ce point suscite beaucoup d’incompréhensions et d’espoir, il pourrait ainsi se retourner contre les partisans du projet gouvernemental. À ce sujet, la députée de la première circonscription, Sandra Regol (EELV) rappelle tout d’abord que le principe d’assurer aux retraités une pension équivalente à 85 % au moins du Smic est inscrit dans la loi depuis la réforme des retraites de 2003. Puis l’élue écologiste affirme l’importance des retraités dans l’activité associative et la solidarité :

« Aujourd’hui un tiers des retraités sont bénévoles dans le secteur associatif ou celui de l’aide à la personne. Ce sont aussi eux qui assurent le plus de garde d’enfants. Ils gardent autant les enfants que les gardes maternelles. Libérer ce temps c’est un système de solidarité crucial pour le tissu associatif et les familles. »

Député La France Insoumise (LFI) de la deuxième circonscription, Emmanuel Fernandes se veut fidèle à l’esprit du fondateur de notre système de retraite Ambroise Croizat. Photo : Danae Corte / Rue89 Strasbourg

Député La France Insoumise (LFI) de la deuxième circonscription, Emmanuel Fernandes se veut fidèle à l’esprit du fondateur de notre système de retraite Ambroise Croizat :

« Ambroise Croizat disait en 45 que la retraite ne devait pas être une antichambre de la mort mais une nouvelle étape de la vie. Très clairement, avec cette réforme, on revient à l’idée du travail jusqu’à l’épuisement. On sait par ailleurs que l’espérance de vie en bonne santé est de 62 ans pour les hommes et de 64 ans pour les femmes. C’est un curseur morbide qu’on déplace, on va officiellement acter du fait que l’être humain est destiné à produire jusqu’à ce que sa santé se dégrade. »

« On peut faire reculer le gouvernement »

Ingénieur de profession, Emmanuel Fernandes rejette aussi l’idée d’une réforme nécessaire et incontournable :

« Si on taxait de 2% seulement la fortune des milliardaires français on pourrait couvrir l’ensemble des déficits projetés par le COR sur le système de retraite. Je veux dire : on a là très clairement une vision idéologique : le gouvernement préfère sacrifier des années de bonheur pour les Français plutôt que de s’attaquer aux causes de nos malheurs, qui sont l’injustice du partage de la richesse, que les ultrariches s’en mettent plein les poches et les pouvoirs publics ne jouent plus leur rôle de redistribution. »

Les députés Nupes espèrent ainsi une mobilisation massive ce jeudi 19 janvier : « Il y a une unité du pays contre ce projet injuste, injustifié et brutal, estime Emmanuel Fernandes, si on est très nombreux dès jeudi, avec un mouvement dans la durée, qui déplace des masses comme en 95, on pourra faire reculer le gouvernement. »


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