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L’hôpital de Strasbourg privatise le nettoyage des chambres, et se débarrasse d’une partie de ses agents

Depuis deux ans, les Hôpitaux Universitaires de Strasbourg (HUS) transfèrent progressivement les missions de nettoyage des chambres à une entreprise privée. Mais pour les syndicats, les chambres et les sanitaires sont moins propres qu’avant et une écoute des patients ainsi qu’un suivi hors médical ne sont plus assurés.

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Dernièrement, le nettoyage a été externalisé à la "Médicale B" au Nouvel Hôpital Civil (Ph1oto wikimedia commons/ cc)

Nettoyage des chambres à l’Hôpital : Strasbourg passe bientôt au tout privé

Bientôt la fin des agents de service hospitaliers (ASH) à Strasbourg ? Ils sont encore 900, employés pour s’occuper du nettoyage des chambres, de l’entretien des locaux et de la distribution des repas dans certains services. Ils pourraient à terme être totalement remplacés par des employés d’un prestataire privé.

Elles étaient près de 1 000 ASH, mais depuis deux ans, c’est l’entreprise privée GSF qui s’occupe de ces missions de nettoyage à l’hôpital. Cela a commencé dans les bureaux, puis dans les services de gynéco-obstétrique et de pédiatrie, où 80 CDD n’ont pas été renouvelés.

Un remplacement en marche

Amélie (le prénom a été changé) travaille dans le département de gynéco-obstétrique du CHU de Hautepierre, où la privatisation a démarré. Elle fait partie des 8 agents qui ont été gardés sur les 36 d’origine. ASH aux HUS depuis près de 30 ans, elle ne cherche pas à édulcorer la situation pour expliquer comment le personnel a vécu l’annonce de l’externalisation :

« Ça a été le choc total, du jour au lendemain. On a été mis devant le fait accompli, alors qu’on fait partie d’une famille.. Les gens n’étaient pas bien. »

De son côté, la direction des HUS assure que le processus est partiel et échelonné, comme l’explique Marie Muller, chargée « accompagnement et projet social » aux ressources humaines :

« Ce n’est qu’une externalisation d’une partie des missions et cela se fait secteur par secteur. Cela a commencé par les parties communes, les bureaux etc, puis les services de gynéco et de pédiatrie ».

Elle explique que l’externalisation la plus récente a eu lieu à l’automne dans la Médicale B du Nouvel Hôpital Civil (NHC), où on retrouve des services de médecine interne et d’endocrinologie.

À terme, tous les départements concernés

Pour les syndicats, la dynamique n’est plus si partielle que ça. Ce qui inquiète Emilie Cantau, secrétaire adjointe CFDT, syndicat majoritaire des HUS :

« Pour l’instant, les secteurs « sensibles » comme le bloc opératoire devraient garder leurs ASH, et, au pavillon gériatrie de la Robertsau, on a aussi négocié pour qu’elles ne soient pas externalisées, car elles distribuent les repas. Mais l’externalisation est prévue pour tout ce qui n’est pas réanimation, psychiatrie ou médecine chirurgicale… »

Au syndicat SUD, Sandrine Cnockaert assure que d’ici un an, tout le nettoyage sera privatisé et les ASH actuelles auront disparu :

« La direction est au taquet sur l’externalisation, ils ont non seulement affirmé fin mars qu’ils ont décidé de continuer, mais même d’avancer le processus : des postes qui devaient être externalisés en 2018 vont l’être à partir de maintenant. L’idée est que fin 2018, tout soit effectué par le prestataire privé. On nous a dit qu’il resterait entre 400 et 500 ASH, c’est-à-dire seulement les titulaires de la fonction publique, qui seront repositionnées sur des travaux de blanchisserie, de manutention… »

L’hôpital public à la diète

Dès les premières externalisations, l’intersyndicale s’était vue expliquer que l’objectif de la direction des hôpitaux de Strasbourg était de réaliser 2 millions d’euros d’économies par an. Aujourd’hui, l‘administration des HUS nuance et explique qu’il s’agit d’un élément parmi une stratégie plus large, comme le dit Marie Muller :

« Il y a une tendance de fond à l’externalisation dans les hôpitaux universitaires. Mais l’hôpital n‘est pas une entreprise privée, il ne s’agit pas de faire des économies à tout prix. C’est une façon de dégager une manne d’investissement pour des projets futurs. »

Cela s’inscrit quand même dans des plans d’économies répétés depuis quelques années, comme le plan 2015-2017 devant économiser 50 milliards d’euros. L’hôpital public doit se serrer la ceinture, et c’est, entre autres, la masse salariale qui est visée.

 

Dernièrement, le nettoyage a été externalisé à la "Médicale B" au Nouvel Hôpital Civil (Ph1oto wikimedia commons/ cc)
Dernièrement, le nettoyage a été externalisé à la « Médicale B » au Nouvel Hôpital Civil (Ph1oto wikimedia commons/ cc)

Moins de personnel… et de problèmes ?

Les syndicats considèrent, eux, que la direction veut se défausser de la gestion du personnel. En externalisant peu à peu, ils n’auraient plus besoin de s’occuper, entre autres, d’un absentéisme qui touche particulièrement les ASH. Christian Prud’homme, secrétaire général du syndicat Force Ouvrière (FO) aux HUS, trouve que cet argument a bon dos :

« C’est vrai qu’environ 12% des agents sont concernés par un absentéisme régulier. Mais là ce sont des économies de bouts de chandelles. Nous pensons que la direction aurait pu optimiser ces postes, trouver d’autres solutions, rendre le travail plus attrayant. »

Pour Amélie, c’est un vrai problème qui devrait être pris en compte dans la réflexion autour de l’absentéisme, plutôt que d’être balayé d’un coup d’externalisation :

« On fait un travail très physique, pour certaines depuis plus de 20 ans… Certaines d’entre nous ont eu des déchirures d’épaules. Imaginez nettoyer votre douche 25 fois par jour. On peut comprendre pourquoi il y a des absences. »

« On perd vraiment en qualité »

D’après Christian Prud’homme, ces changements sous considérations économiques se sont faits au détriment de la qualité du service. Selon lui, les chambres sont moins propres pour les patients :

« On a demandé des compte-rendus pour les services externalisés, mais cela reste assez opaque. Donc on a fait notre propre enquête. C’était catastrophique, il y avait de la poussière dans les chambres… Les salariés extérieurs ne sont pas suffisamment formés à l’ensemble des protocoles de nettoyage des chambres, de l’environnement et du matériel. Les chambres souvent ne sont pas faites à temps pour recevoir les nouvelles admissions. La plupart de ces employés ne sont pas vaccinés alors que c’est une obligation pour pouvoir travailler dans les HUS. »

Amélie raconte la dégradation de la propreté dans les bureaux et espaces communs :

« Les WC étaient tellement sales que les gens demandaient s’il y en avait d’autres ailleurs. Et dans les chambres, ils ne nettoient que le fond de la douche, pas les parois, ni le siphon, etc. »

Du côté de GSF, on veut bien entendre la critique, mais on nuance. Patrick Chatelux, directeur général de la filiale GSF Saturne, qui assure les externalisations aux HUS, affirme que le travail de ses employés ne va qu’en s’améliorant :

« Je peux comprendre qu’il y ait des remarques et des déceptions, mais il faut laisser du temps au temps. Le démarrage a été difficile car on ne succède pas à des années d’expérience en claquant des doigts. Mais aujourd’hui, deux ans après le démarrage au CMCO, il y a une satisfaction de la part de la direction des HUS. »

Il concède que, pour les autre services, cela n’était pas parfait au début, mais défend la qualité des prestations de GSF :

« À Hautepierre, le démarrage a été compliqué, mais aujourd’hui on constate que ça fonctionne. Au centre-ville (au NHC, ndlr), on est encore dans la phase de début, mais on engage les moyens pour s’améliorer. On a eu des bons retours, le matériel a été reconnu comme performant, nos chariots sont bien plus performants que les précédents. Les cadres hygiénistes le constatent. »

Un cahier des charges insuffisant ?

L’administration aussi se veut rassurante et selon elle, la qualité de l’accueil n’est pas altérée par les externalisations. Le bio-nettoyage, essentiel dans un milieu où les infections ne doivent avoir aucune chance, est « irréprochable dans les HUS », selon Marie Muller :

« Le prestataire nous est lié par un cahier des charges pour que les standards d’hygiène soient identiques. En plus, on a créé une équipe de contrôleurs qualité, six personnes de l’hôpital qui vérifient quotidiennement que cela se passe comme il faut. »

Sauf que d’après le syndicat SUD, cela ne se passe pas si bien, car un nouvel appel d’offres a été lancé en février, pour assurer un respect plus strict des conditions de nettoyage :

« On était au terme des trois ans visés par le premier appel d’offres, et la direction générale a alors dit : “on a revu notre copie avec GSF au niveau de l’entretien”. La direction veut plus de qualité, donc c’est bien que quelque chose n’allait pas. Et ils ont d’ailleurs dit qu’il y aurait de la formation des agents. Mais ça fait deux ans que ça dure et toujours rien. »

Pour Patrick Chatelux, cela prouve au contraire la confiance des HUS :

« Nous avons été reconduits au mois de mars. Le nouveau cahier des charges formalise juste mieux les contrôles. D’ailleurs, notre travail est contrôlé tous les jours par des contrôleurs mis en place par les HUS. Et tous les mois, un bilan est fait lors d’une réunion avec la Direction. Nous travaillons en étroite collaboration avec les HUS, cela marche bien ».

Amélie est sceptique sur une éventuelle amélioration :

« À mon avis, ça ne va rien changer. On voit bien que les nouvelles jeunes femmes bossent dans la précarité, elles sont tout le temps en train de courir. Elles n’ont pas le matériel qu’il faut, et quand on les voit nettoyer, on voit bien que ce n’est pas du tout comme on nous a appris à nettoyer. On n’est même pas sûr qu’elles n’utilisent pas les mêmes lavettes pour les toilettes et les tablettes. »

Les syndicats dénoncent des chambres moins propres dans les HUS (Photo Randalfino/FlickR/cc)
Les syndicats dénoncent des chambres moins propres dans les HUS (Photo Randalfino / FlickR / cc)

L’entreprise affirme pourtant former ses employés de manière adéquate :

« Quand on a commencé ce n’était que du nouveau personnel. Et il fallait bien commencer le travail. Mais on a recruté une experte santé pour assurer la formation des employés, quelqu’un du milieu pour faire bien les choses. »

« On connaissait nos malades »

Surtout, des patients habitués à voir les mêmes agents, à nouer parfois une relation avec eux, doivent maintenant s’adapter à recevoir des personnes différentes tous les jours. Le syndicat FO précise que certaines ASH avaient acquis des connaissances liées aux pathologies traitées dans leur service, des régimes spécifiques, un relationnel et un discours avec le patient approprié et propre au travail en milieu médical.

C’est un volet important de la fonction qui disparaît, d’après Amélie, d’autant que les nouveaux employés ne font pas partie de l’hôpital et font l’objet d’un turn-over important :

« Nous les ASH, on passait peut-être un peu plus de temps dans les chambres que le reste du personnel. On rapportait à l’équipe ce que les malades ne leur disaient pas. On les connaissait. Les nouveaux agents n’ont pas le temps de voir tout ça ».

À GSF, on balaie l’argument du turn-over par des chiffres, avancés par Patrick Chatelux :

« On nous parle de turn-over, mais au moins on a un taux d’absentéisme bien moindre que le personnel interne : entre 7 et 9%, contre près de 40%. »

Des jobs précaires à l’hôpital

Pour Emilie Cantau de la CFDT, le transfert d’emplois publics vers de nouveaux jobs précaires va générer des problèmes et de nouvelles dépenses. Pour Amélie, on ne devrait même pas comparer :

« On ne critique pas ces nouveaux agents de nettoyage… Mais les ASH  passaient 15 minutes à deux dans chaque chambre. Les nouveaux sont seuls et n’ont à peine que quelques minutes… Comment peuvent-ils prétendre faire le même travail ? »

Personnel en tension et processus brouillon

L’inquiétude grandit au sein des ASH, qui sentent bien qu’un tel plan d’externalisation sonne le glas de leur fonction, à plus ou moins brève échéance. Du coup, les agents sont ballottés entre les possibilités de reconversion, selon qu’elles aient été embauchées comme fonctionnaires, ou contractuelles. Dans le pire des cas, elles sont licenciées, comme l’explique Christian Prud’homme :

« Il y a deux ans, 127 postes d’ASH ont été externalisés, dont 80 CDD n’ont pas été reconduits. »

De son côté, Marie Muller assure que l’administration des ressources humaines travaille avec les syndicats et les agents pour trouver la meilleure des solutions :

« Les agents titulaires de la fonction publique ont trouvé un autre poste. On a effectué un suivi personnalisé, chaque agent a été vu deux fois. Les personnes voulant rester dans le même métier ont été placées sur des postes vacants dans d’autres services. Parmi les autres, certaines voulaient devenir aide-soignantes, et nous avons pris en charge la formation. »

Système D et bricolage de personnel

Vu de l’intérieur, le processus a été violent. Amélie rapporte du stress, une ambiance exécrable et une grande incertitude parmi les ASH :

« Il y a eu des tensions entre nous, et une grande souffrance. On se demandait qui vont-ils garder, qui va partir ? »

Pour sa part, l’administration l’a gardée… mais lui a demandé de former les nouvelles équipes issues du privé, qui ont remplacé ses collègues :

« J’ai moi-même dû être formée sur leurs produits, leur matériel, qui étaient différents des nôtres. Et puis, j’ai dû leur expliquer tout ce qu’il fallait faire, le nettoyage de la chambre, du sol, de la salle de bain, les toilettes, la douche… »

Une question d’argent et de temps

Depuis l’externalisation de son service, Amélie n’est techniquement plus ASH mais agente logistique. Elle explique qu’avec cette nouvelle division, plusieurs tâches restent en suspens :

« Maintenant, les prestataires font le ménage et nous on s’occupe du repas. Très bien mais avant, on s’occupait de l’état général de la chambre aussi. Les fleurs par exemple, qui s’en occupe ? L’entreprise ne le fait pas, personne ne se sent concerné et elles pourrissent dans les chambres. Il y a d’autres choses : un pot d’urine peut rester 2-3 jours dans la chambre, si personne ne remarque qu’il est là. »

Pour elle, l’avenir de sa fonction et de l’hôpital public est sans appel :

« Les gens ne voudront plus venir ici. Ceux qui ont de l’argent iront de plus en plus dans le privé, où ils auront un meilleur service, et les autres devront se contenter de ce qu’on a ici. »


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