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Noëlle, 76 ans, vit sans chauffage : « J’additionne les pulls et je profite de la chaleur de la plaque de cuisson »

Avec l’augmentation du prix de l’énergie, certains n’allument plus le chauffage. Mi-décembre, alors que les températures sont négatives, Rue89 Strasbourg a interrogé des habitants de l’Esplanade qui s’adaptent comme ils peuvent.

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Noëlle, 76 ans, vit sans chauffage : « J’additionne les pulls et je profite de la chaleur de la plaque de cuisson »

« Quand j’ai froid, je bois des tisanes, des trucs chauds. J’ai plein de plaids à la maison », témoigne Deniz. Comme beaucoup d’habitants du quartier de l’Esplanade à Strasbourg, elle limite énormément le chauffage en cette mi-décembre, malgré des températures négatives en Alsace. Animatrice périscolaire dans une école du quartier, elle gagne environ 1 000 euros nets par mois :

« Là, j’ai eu trop froid alors j’ai allumé le chauffage. J’ai peur de la facture qui va arriver mais tant pis, je préfère ne pas tomber malade, je me dis qu’on verra bien. J’allume un peu le chauffage dans les pièces où je suis, mais pas à fond évidemment. On doit choisir entre ça et les autres dépenses… Là on va manger des pâtes certainement du coup. »

Deniz a décidé de mettre le chauffage : « Il faisait trop froid… On verra bien pour le montant de la facture. »

Des raisons économiques et écologiques

Les hauts immeubles de l’Esplanade construits dans les années soixante sont souvent mal isolés. Plus de 13 000 personnes vivent dans ce quartier qui jouxte le campus universitaire. Olivier et Lorraine, étudiants, marchent rue d’Oslo. Le premier raconte qu’exceptionnellement cette année, il n’a allumé le chauffage que dans sa salle de bains et que cela suffit pour son studio. La deuxième, n’a même pas touché à ses radiateurs : « Je suis habituée à vivre comme ça depuis longtemps, il n’y a pas de différence cette année pour moi. »

Olivier et Lorraine sont étudiants à Strasbourg et vivent dans des studios quasiment non chauffés. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Outre les raisons économiques, les personnes interrogées évoquent quasi-systématiquement la nécessité écologique de ne pas trop consommer. C’est le cas de Noëlle, 76 ans, qui se désole que ce soit le prix de l’énergie qui pousse tout le monde à diminuer le chauffage. Cette année pour la première fois, elle a décidé de ne pas du tout l’utiliser :

« J’additionne les pulls, je profite de la chaleur de la plaque de cuisson quand je cuisine, j’utilise des bouillottes. Je ne sais pas quoi faire de plus. Il fait 14°C dans mon appartement aujourd’hui. C’est froid, mais je supporte pour l’instant. Je n’ai pas non plus de télévision, ni internet… Avec l’augmentation des prix, je dois faire attention à tout. Je m’achetais des livres avant, maintenant je dois aussi limiter ça. »

Noëlle utilise notamment une bouillotte pour supporter les 14°C chez elle. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Certaines personnes âgées ne comprennent pas et risquent de payer cher

Christelle, infirmière à domicile, bien emmitouflée dans une écharpe et un bonnet, ne met quasiment pas le chauffage chez elle, excepté dans la pièce où ses enfants font leurs devoirs. Elle s’apprête à sonner chez un patient. La soignante observe que couper le radiateur peut-être source d’angoisse :

« Des personnes âgées ont l’impression de revenir à l’époque des privations de la guerre. L’isolement lié au Covid les a fait beaucoup souffrir. Et maintenant, elles ne peuvent plus vivre confortablement chez elles. Comme le chauffage est collectif, il est limité dans certains bâtiments. Je n’arrive pas à faire prendre la douche à une dame, parce qu’elle trouve qu’il fait trop froid dans la salle de bains par exemple. Des patients ne comprennent pas bien ce qu’il se passe et risquent de payer très cher parce qu’ils allument le chauffage normalement. J’essaye de leur expliquer, mais c’est compliqué. »

Christelle est infirmière à domicile dans le quartier. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

« Nous payons les défaillances en tant que locataires »

Isabelle, secrétaire du syndic d’un immeuble rue de Londres, explique avoir mis dans les boîtes aux lettres des notes pour prévenir les locataires sur le coût de l’énergie : « On veut être sûr que tout le monde soit au courant que le prix s’est multiplié, et allume ses radiateurs en connaissance de cause. » Christine, auxiliaire de vie, constate que le message est passé. Et lorsqu’elle rentre chez certains patients, elle reste habillée comme à l’extérieur : « Il peut faire vraiment frais dans certains appartements. Des habitants mettent leurs vieux tapis contre le bas de leur porte pour se protéger. »

L’Esplanade est un quartier populaire, avec des logements sociaux et étudiants. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

« Aujourd’hui il faut juste payer et fermer sa gueule », s’insurge Philippe, veuf et retraité :

« J’ai travaillé toute ma vie, j’ai commencé comme cuisinier à 15 ans. Maintenant je me retrouve à faire attention à tout. J’ai acheté de grosses chaussettes. Il fait 17°C chez moi. Je chauffe quand même, mais je suis stressé parce que si la facture est trop élevée, je ne pourrai pas demander d’accompte à un patron. »

Philippe estime que les logements devraient être mieux isolés et les systèmes de chauffage rénovés, plus efficaces :

« C’est nous qui payons les défaillances en tant que locataires avec nos charges, et on n’a pas le choix, c’est tellement difficile de trouver un bon appartement à Strasbourg. Mais souvent, les propriétaires se fichent de ça. »

Philippe craint l’arrivée de la facture de chauffage. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Vivre dans le froid ou payer

Christiane, retraitée également, éteint les radiateurs à chaque fois qu’elle sort d’une pièce. Pour Sonia, sage-femme, « heureusement qu’il y a le chauffage à l’hôpital ». Elle a opté pour des lampes LED qui consomment moins et met le radiateur « au cran 2 ou 3 sur 5, et jamais longtemps ».

Sonia limite le chauffage et met des pulls et des grosses chaussettes chez elle. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Beaucoup n’ont pas attendu les demandes du gouvernement pour limiter leur consommation d’énergie. L’angoisse de trop consommer, le dilemme entre vivre dans le froid et payer plein pot s’installe davantage cette année, bien au-delà du quartier de l’Esplanade.

C’est le cas d’Anne, à Kolbsheim, qui a contacté Rue89 Strasbourg après un appel à témoignages. Au chômage, la quinquagénaire raconte n’avoir quasiment pas de chauffage cette année dans sa maison pour l’instant, car « le mazout est devenu trop cher » et qu’elle « rembourse encore aujourd’hui l’utilisation pendant l’hiver dernier de (son) radiateur électrique d’appoint » :

« Le matin, il y a des fleurs de givre aux fenêtres. Je suis congelée. Je mets trois pulls et des gants à l’intérieur. Je me sens grippée en ce moment. J’allume parfois brièvement mon radiateur pour avoir 12°C dans la pièce où je suis. »

Le givre se dépose sur les fenêtres d’Anne à Kolbsheim. Photo : remise

Alexandre, lui, habite dans le quartier du Neudorf à Strasbourg. Température intérieure chez lui : 15-16 °C, « par choix, autant pour le climat que pour le prix » : « J’étais à 18°C l’année dernière. Mon appartement est bien isolé ce qui me permet de ne pas avoir de courants d’air ou de murs froids. C’est une chance que tout le monde n’a pas. »

Les immeubles de l’Esplanade, construits dans les années 60, sont parfois mal isolés. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

#fin de l'abondance

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