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Nouvelle manifestation des ouvriers de Clestra : « La direction veut nous jeter comme des chiens »

Face à une direction soupçonnée de mener un plan social déguisé, une soixantaine de salariés de Clestra ont manifesté devant le conseil régional à Strasbourg ce mardi 1er août. Rencontre avec ces travailleurs en grève depuis près d’un mois.

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Nouvelle manifestation des ouvriers de Clestra : « La direction veut nous jeter comme des chiens »

Les drapeaux écarlates de la CGT métallurgie flottent au gré du vent et contrastent avec le ciel gris de ce mardi 1er août. La pluie battante n’a pas entamé la détermination des ouvriers de Clestra, en grève depuis le 3 juillet. Abrités sous quelques parapluies, une soixantaine de salariés de l’entreprise de cloisons pour bureaux manifestent devant le conseil régional du Grand Est à Strasbourg. Les employés dénoncent l’absence de dialogue avec la nouvelle direction de l’entreprise, soupçonnée de mener un plan social déguisé. À l’intérieur, le représentant syndical CGT Amar Ladraa est reçu par le directeur général adjoint de la région Grand Est, François Charlier.

« La direction ne lâche rien, alors nous non plus : on a besoin de savoir où on va », Raymond, 53 ans, en poste depuis 17 ans chez Clestra Photo : RM / Rue89 Strasbourg / cc

Un avenir incertain

Placée en redressement judiciaire en août 2022, l’usine de production de cloisons intérieures, basée à Illkirch-Graffenstaden, a été reprise en octobre 2022 par les frères Romain et Alexandre Jacot, gérants du groupe Jestia, spécialisé dans la gestion d’Ehpad et de fabrication de mobilier. Un premier plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) a ensuite entrainé la suppression de 57 postes sur ce site. Pour favoriser le maintien d’un maximum d’emplois, l’entreprise a reçu de l’Etat un prêt d’un montant de quatre millions d’euros ainsi qu’une avance remboursable de la Région Grand Est de l’ordre de 900 000 euros. Mais comme le dénonce Amar Ladraa, représentant du syndicat CGT métallurgie, « depuis, une trentaine de salariés sont partis, certains de leur plein gré, d’autres sous la pression… »

Les ouvriers de Clestra dans l’attente des représentants syndicaux, en réunion avec la Région Photo : RM / Rue89 Strasbourg / cc

Face à ces départs, les ouvriers accusent les repreneurs de ne pas tenir leurs engagements et craignent pour l’avenir de leur emploi. Car les nouveaux propriétaires de Clestra entretiennent le flou sur l’avenir de l’entreprise. Alors qu’un déménagement de la chaîne de production est prévu sur un site cinq fois plus petit, les salariés se demandent si leurs effectifs fonderont dans de telles proportions. De plus, début mai 2023, la nouvelle direction de Clestra a proposé un accord de rupture conventionnelle collective qui aurait entrainé le départ de 40 salariés supplémentaires. Cette proposition a été refusé par le syndicat CGT. Depuis, les ouvriers de l’usine ne travaillaient plus que quatre jours par semaine du fait d’une baisse de commandes selon la CGT.

« Comme si on ne valait rien »

Marc Andreoli, 44 ans, travaille depuis 18 ans en tant qu’ouvrier polyvalent à Clestra. Après quatre accidents du travail tout au long de sa carrière, il explique que son travail a abimé tout le côté droit de son corps avant de confier, écœuré :

« Si on devait bosser les samedis, on acceptait. Les heures supplémentaires, on les prenait. Pendant le Covid, nous, on travaillait. On a donné nos vies pour cette entreprise. Aujourd’hui, ils veulent nous démanteler, sucrer toutes nos indemnités, et ils nous jettent comme des chiens, comme si on ne valait rien. »

« On est tous usés par le travail », lâche Marc Andreoli, en référence à ses quatre accidents du travail Photo : RM / Rue89 Strasbourg / cc

Plusieurs salariés décrivent la pression exercée de la part des frères Jacot. « Ils poussent les gens vers la sortie, un par un », souffle un salarié à son collègue. L’ouvrier, qui préfère reste anonyme par peur de représailles de son employeur, regrette de « ne pas être parti » lors du premier Plan de Sauvegarde de l’Emploi. Un autre salarié décrit la surveillance mise en place depuis la reprise du groupe Jestia :

« On nous flique continuellement. Qu’il y ait du travail ou non, on est dans l’obligation de rester à notre poste. Alors qu’avant, ce n’était pas un soucis pendant un moment creux d’aller chercher un café par exemple. »

« C’est légitime de demander une réponse alors qu’on est dans le flou total quant à l’avenir de l’entreprise », martèle un autre ouvrier de 27 ans. En poste depuis huit ans sur la chaîne de production, d’abord en tant qu’intérimaire pendant deux ans, il peut se permettre de continuer la grève grâce à l’argent qu’il avait mis de côté pour ses vacances. Il retrace ensuite :

« Quand je suis rentré dans cette boîte, elle était numéro un mondial, et j’en étais fier. Aujourd’hui, on ne sait plus où on va. Je n’aurais jamais accepté d’être titularisé dans les conditions de travail actuelles. Avec tout ça, on veut au moins avoir la possibilité de partir décemment, et pas comme des malpropres. »

« Simplement » pour garder leur emploi

Jean-Philippe, 57 ans, travaille pour Clestra depuis 38 ans. À quatre ans de la retraite, il estime « ne plus rien avoir à perdre » :

« Depuis le début, les repreneurs ne cherchent pas à nous connaître. De mes 35 ans dans cette boîte, je n’ai jamais vu des salariés aussi démotivés. C’est normal, ils voient leurs collègues qui partent tous un par un. J’ai un collègue qui est parti alors qu’il avait 58 ans. Il en pouvait plus et a fini par céder à la pression exercée par la nouvelle direction. Avant, on se battait pour une augmentation et aujourd’hui, on se bat simplement pour préserver ce qu’on a… »

« Après 38 ans dans l’entreprise, ça fait mal de voir comment nous sommes traités » Jean-Philippe, à 4 ans de la retraite Photo : RM / Rue89 Strasbourg / cc

Sollicitée à l’issue de la manifestation, la Région Grand Est réaffirme son soutien aux ouvriers de Clestra tout en estimant que l’opacité dénoncée par les salariés relève du dialogue social interne à l’entreprise.


#Clestra

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